Un Cd de la jeune pianiste Célia Onesto Bensaid, paru il y a déjà quelques semaines et qui pourrait passer un peu inaperçu alors que les nouveautés de la rentrée se bousculent. Trois compositeurs à l'honneur: Ravel, Philip Glass et la jeune Camille Pépin.
Des albums faits de piécettes
On l'avoue, on a accueilli ce Cd avec un peu de méfiance: le nom de la pianiste, le nom de l'album, Metamorphosis. Encore un de ces albums-concepts, s'est-on dit, formés de piécettes plus ou moins nécessaires, habillés d'un titre sentimental ou écolo: Emotions de Gautier Capuçon, aussi mal accueilli par la critique qu'encensé par le public. Complices du duo... de complices Alexandre Tharaud-Jean-Guihen Queyras. Water d'Hélène Grimaud. Et bientôt Un violon à Paris de l'autre Capuçon, Renaud. On en oublie. Pensée parfois "philosophique" (ah?) ou simple prétexte à enfiler des oeuvrettes certes charmantes mais souvent indignes des grands artistes qui les proposent. Il fut un temps (on va joue les vieux ronchons) où jamais de grandes maisons n'auraient demandé à des Richter, Grumiaux, Long, Oistrakh, et même à un Barenboim ou à une Argerich, d'enfiler ce qui est réservé à ces fins de concert où l'on a envie de descendre doucement de notre petit nuage. Et d'ailleurs on a entendu des interprètes un peu pervers (et parmi les plus grands) qui font exprès, quand ils sont lassés de se livrer à l'adoration de leur public (et qu'ils ont faim, simplement), de choisir le morceau le plus insipide pour que tout le monde rentre chez soi.
Une relation entre les oeuvres pas toujours limpide
Nonobstant, on imagine les conseillers marketing de ces mêmes grandes maisons qui obéissent désormais aux actionnaires disant à l'artiste: Le concerto de Machin, d'accord, mais c'est pas vendeur. On le fait mais en échange sors-nous un truc qu'on peut acheter dans les grandes surfaces, pour conquérir un autre public. Public qui repartira comme il est venu mais, en attendant, Gautier Capuçon avec son Emotions, a cassé la baraque...
On n'est pas dans ce registre-là avec Onesto Bensaid, même si la relation qu'elle établit entre les oeuvres n'est pas toujours très limpide. On se rapproche plus d'Hélène Grimaud mais sans forcer les comparaisons entre des oeuvres qui n'ont à voir entre elles... que les doigts de l'artiste et sa propre intuition. Enfin si, un peu tout de même, mais limité à trois compositeurs, et cela aurait pu n'en être que deux, même si l'on accueille la pièce de Camille Pépin avec intérêt -et parce que c'est une femme (soyons de notre temps!) et surtout parce que c'est une femme de talent.
Jeux de miroirs, Shakespeare à l'appui
Onesto Bensaid nous rappelle (et ce n'est pas toujours connu) que la pièce pour piano, sinon la plus ambitieuse de Ravel du moins la plus longue (une demi-heure, pour un homme qui érigeait la concision en vertu), avait pour but de montrer des images visuelles et des atmosphères autour de personnages se regardant dans un miroir. Et Ravel citait Shakespeare: La vue ne se connaît pas elle-même avant d'avoir voyagé et rencontré un miroir où elle peut se reconnaître. Au-delà, on ne voit pas très bien, à part dans l'Alborada del grazioso (Aubade du bouffon en espagnol), où se situe l'homme au miroir entre les Noctuelles (des papillons) et les Oiseaux tristes, entre Une barque sur l'océan (avec un pêcheur?) et La vallée des cloches.
Et métamorphoses
L'oeuvre de Philip Glass, elle, est en cinq mouvements aussi, et dure à peu près autant que le Ravel. Metamorphosis (qui donne son titre à l'album), c'est La métamorphose de Kafka (l'histoire de cet homme transformé sans savoir pourquoi en monstrueux insecte) et c'est du pur Philip Glass -compositeur dont on entend assez peu le piano seul- qu'Onesto Bensaid réussit avec talent à différencier, donnant des couleurs subtilement semblables et différentes à chaque pièce, qu'elle a aussi l'idée toute simple de séparer, les alternant avec celles de Ravel.
Au coeur de la musique répétitive
Car on est, évidemment, dans cette musique répétitive qui peut lasser (on avoue que ce n'est pas toujours notre tasse de thé!), dès le début de la Metamorphosis One avec ces accords changeant sur une ou deux notes (Beethoven l'a déjà fait dans la Sonate au clair de lune), puis ce rythme de balancement hypnotique dont Onesto Bensaid tient la mesure avec obstination, gardant toute sa place à la respiration de l'oeuvre, si importante chez Glass, où les silences sont essentiels tels ceux qui transpirent d'une toile d'Edward Hopper. La Metamorphosis Four, dans le registre plus grave du piano, est plus proche de l'écriture classique d'un Schubert, avec des variations de tempo mais selon les mêmes canons répétitifs. La Metamorphosis Two est plus faible, reprenant les éléments des deux autres avec moins d'inspiration, y compris mélodique. La Metamorphosis Three semble développer, dans la puissance de ses accords initiaux, une plus farouche ambition mais c'est cette fois peut-être Onesto Bensaid qui la bride, malgré la beauté du toucher et les recherches de nuances qu'elle déploie -d'ailleurs dans toute l'oeuvre. La Metamorphosis Five reprend jusqu'à l'obsession les motifs et les cellules mélodiques de la première mais il faudrait les entendre à la suite -or, intelligemment, elles encadrent l'album- ou avoir la partition dans les mains pour en saisir... le jeu des miroirs!
Ravel et... Jackson Pollock
Des Miroirs, justement, Célia Onesto Bensaid propose une version de qualité, destructurée par la construction de l'album: elle trouve le ton juste, aérien des Noctuelles et subtilement liquide d'Une barque sur l'océan et propose des Oiseaux tristes très beaux, aux limites du silence. En revanche son Alborada del gracioso est trop brutale et La vallée des cloches s'éteint dans la brume et manque de structures. Il semble aussi qu'elle ait voulu trouver la même lumière que pour les Metamorphosis, une unité de teinte et de couleurs à tout son disque, ce qui la prive d'accentuer les contrastes et de trop particulariser les univers.
L'oeuvre de Camille Pépin (31 ans), Number One, se veut ou un hommage ou une réponse (une transcription?) sonore à l'oeuvre de Jackson Pollock et à sa technique du dripping où la peinture coule sur la toile. Ne gardons à l'écoute que le sentiment d'une oeuvre qui tente plusieurs "états" du piano (percussif, cristallin, répétitif, à effet de cloche, jazzy) avec une belle énergie et une écriture qu'Onesto Bensaid structure cette fois très bien. On notera cependant qu'une peinture, dans cet espace fermé qui est celui de la toile, contenue par nos yeux dans sa globalité, n'est pas une musique dont la construction et l'appréhension se font dans le temps. Mais la tentative est néanmoins intéressante, en tant qu'oeuvre de Pépin et non de réponse à Pollock.
Maurice Ravel (Miroirs), Philip Glass (Metamorphosis), Camille Pépin (Number one). Céline Onesto Bensaid, piano. Un Cd NoMadMusic