Jean-Baptiste Doulcet: "Un prix au concours Long-Thibaud vous oblige encore plus à faire vos preuves, à prouver que vous tenez la route!

Jean-Baptiste Doulcet C) Masha Mosconi

Jean-Baptiste Doulcet, on l'avait entendu au concours Marguerite Long-Jacques Thibaud (la présidente du jury était Martha Argerich) en novembre 2019: il y avait obtenu le 4e prix mais surtout le prix du public. On l'a retrouvé cet été dans un joli et talentueux festival de l'arrière pays héraultais, où il jouait deux fois. Entretien sous les cyprès, à la fois post-concours... et post-Covid (on l'espère)

Un prix interrompu

On avait été très séduit, et apparemment pas que nous puisqu'il avait obtenu le prix du public, par cette interprétation subtile et presque métaphysique du 3e concerto pour piano de Bela Bartok. C'était en finale du Long-Thibaud, en novembre 2019, où, de l'avis général, il aurait dû faire mieux que 4e. Il faisait partie, deux mois plus tard, de l'écurie des jeunes pianistes qui jouaient simultanément l'intégrale des sonates de Beethoven pour La folle journée de Nantes. Et puis patatras! le Covid a tout arrêté. Mini-embellie l'été 2020; et de nouveau... Comment le vit un jeune pianiste (Doulcet a 28 ans, comme Gabriel Stern, Rémi Geniet, Sélim Mazari, dont nous vous parlions à propos de La Roque-d'Anthéron) quand la lumière vient sur lui et s'éteint aussitôt? Avec philosophie? Doulcet, évidemment, passera pudiquement sur les moments de doute. Mais son itinéraire à lui était déjà particulier...

Doulcet au prieuré de Saint-Julien avec la bassoniste Lola Descours C) Bertrand Renard, France Info Culture

Un improvisateur passionné

J'étais d'abord reconnu, je crois, dans le milieu comme un excellent improvisateur, et cela demeure une passion pour moi. J'avais été d'ailleurs, au Conservatoire, dans la classe d'improvisation de Jean-François Zygel. Mais il n'y a pas de marché pour cela, en-dehors du jazz... ou de Zygel! Le cinéphile passionné qu'est Doulcet n'hésitant pas à improviser sur des films muets, à l'instar d'un Paul Lay. Et c'est vrai que, malgré ma formation classique, cette double casquette me donnait l'impression de regarder ce monde-là de l'autre côté de la vitre. C'était un choix conscient... et inconscient d'une certaine manière. Pour refuser de regarder en face mon manque de rigueur face à l'étude d'une partition. J'arrivais les mains dans les poches et hop! deux heures d'impro, le tour était joué, le public heureux. On avait eu la preuve avec un Doulcet de 21 ou 22 ans, il y a quelques années, dans ce même festival près d'Olargues (Hérault), dans un prieuré au milieu des cyprès et des vignes: vous disiez à Doulcet aussi bien à la manière de Tchaïkovsky dirigeant Brahms qu' à la manière de Mozart mangeant des spaghettis et le garçon démarrait avec une imagination folle.

Le vieux village d'Olargues C) Bertrand Renard, France Info Culture

Prise de conscience et rebond beethovénien

Mais évidemment une carrière, quel que soit le pays, passe par les concours: On vous le dit, vos professeurs, vos camarades, mais il faut que ça percute en nous... Et voilà: le Clara-Haskil en Suisse où il arrive en demi-finale (un prix remporté il n'y a pas si longtemps par Adam Laloum)... et ce Long-Thibaud dont on retiendra plus encore le Prix du Public et les acclamations qui vont avec (on y était!) C'est rassurant, finalement. Pas seulement parce qu'on est reconnu par ses pairs et qu'on voit son nom désormais à côté des leurs. Mais parce qu'on entre aussi dans le club des musiciens de notre propre génération qui sont reconnus... En fait (ajoute-t-il après un petit moment de réflexion) ça fait du bien.

On l'a entendu à Olargues deux soirs de suite, dans Beethoven à nouveau puisque c'était le thème du festival de 2020 (annulé) que les artistes pressentis l'an dernier ont honoré cette année fidèlement. Quelques instrumentistes à vent de nos meilleurs orchestres (le clarinettiste Renaud Guy-Rousseau du National de France, le hautboïste Ilyes Bouffaden de l'orchestre de chambre de Paris, le corniste Nicolas Josa de l'Opéra de Paris et la bassoniste Lola Descours qui part au Philharmonique de Rotterdam après 10 ans à l'orchestre de Paris) accompagnant Doulcet dans un homogène et lumineux Quintette pour piano et vents que le jeune Beethoven écrivit en hommage à celui de Mozart. Puis le lendemain une magnifique version "chambriste" (accompagnement d'époque réduit pour quatuor à cordes et contrebasse) du plus beau des concertos, le 4e où le moelleux du toucher, le sens du rebond, l'élégance fluide de Doulcet, faisaient merveille dans ce décor d'église romane, à la fois mystique et difficile pour le son, où le quatuor Hanson et la contrebassiste Chloé Lucas avaient su modeler leur dialogue à la douce clarté du piano.

Jean-Baptiste Doulcet C) Masha Mosconi

Un appétit perdu peu à peu

Fidélité d'un Doulcet et des Hanson à des organisateurs d'un festival qui avaient su les repérer quand ils étaient jeunes -et c'est d'ailleurs un hommage qu'il faut rendre à ces nombreux festivals sans grands moyens qui fleurissent dans la France entière et remarquent souvent des talents en devenir dont certains grandiront vraiment. Les artistes, quand ils le peuvent, savent être fidèles mais c'est aussi en sens inverse. Très franchement, continue Doulcet, il y a eu une vraie loyauté des directeurs artistiques: on a été repoussé d'un an, ce qu'on n'a pas fait en 2020, on le fait en 2021...

Cela n'a pas empêché les moments de doute, de remise en cause, jusqu'à même se demander si l'on ne va pas passer à autre chose. D'autant quand on voit s'ouvrir, Long-Thibaud oblige, des perspectives inédites qui se referment. Après le Long-Thibaud j'avais beaucoup d'appétit. Et puis... vous êtes dans les starting-blocks, et plus rien. Vous avez des promesses à tenir et vous ne pouvez plus rien montrer. A telle enseigne qu'en juillet 2020, pendant l'unique concert que j'avais encore, c'est comme si j'avais perdu l'habitude de jouer. Le 2e confinement m'a obligé à réfléchir et je me suis rendu compte que je transformais ma passion pour la musique (donc fougueuse, dévorante, exténuante parfois et qui souffre aussi, avec ses nécessités d'excès, de nécessités d'abstinence) en une relation à la musique  -et plus apaisée, sereine, mais cette fois aussi nécessaire que l'air qu'on respire.

Doulcet, Lucas et le quatuor Hanson C) Bertrand Renard, France Info culture

Puis retrouvé dans un automne intense

Doulcet, dans ses programmes, son intérêt intense (en ce moment) pour Liszt, qu'il trouve plus facile que Chopin, son désir de construire des thématiques (Liszt-Fauré-Janacek),sa curiosité, différente de ses camarades et tout aussi intrigante, représentant d'une génération du piano français (on l'a déjà dit ici, on le répète) dont on peut de plus en plus être fier; et, en cette fin d'été, déjà passé ou dans un avenir proche, le festival de Nohant, Piano en Valois à Angoulème, les Jacobins à Toulouse (mi-septembre), les Lisztomania de Châteauroux (où il retrouvera Grosvenor, Kantorow, Guy ou Chamayou et mènera une académie... d'improvisation); puis un récital à l'Opéra de Saint-Etienne... L'ère du Covid, pour lui et les autres, semble pour l'instant derrière eux (et nous)! Qui s'en plaindrait?

Le festival "Autour du quatuor" a lieu tous les ans la 3e semaine d'août à Saint-Julien, près d'Olargues (Hérault) sous le nom de Festival du Jaur et de l'Orb. Et, hors festival, François Salque (violoncelle) et Vincent Peirani (accordéon) y donneront un récital dimanche prochain 12 septembre.