Un Cd très original qui parachève l'année Beethoven: une version inattendue de la "Sonate à Kreutzer" (sonate, rappelons-le, pour violon et piano) par le Quatuor à cordes Zaïde. Et qui est bien autre chose qu'une fantaisie transcrite pour "faire genre"
Une transcription inattendue
La petite introduction déçoit. Le son est un peu rêche, les violons grincent, cela manque de rondeur. On se demande où l'on va.
C'est que l'entreprise est étrange. De la plus longue, la plus ambitieuse -la plus réussie?- des dix sonates de Beethoven pour violon et piano (Beethoven, inventeur de la forme, les sonates de Mozart étant, rappelons pour piano ET violon, dans cet ordre) passer à un quintette à cordes! Et en passant de cet équilibre entre le son plus âpre du violon et celui plus rond du piano à un ensemble où l'on a du mal à imaginer comment va se transcrire ou se distribuer l'écriture de l'instrument à touches, faire supposer qu'il s'agit encore d'une lubie de musiciens en recherche d'un "autre" éclairage sur un répertoire qui n'est pas écrit pour eux!
D'un contemporain de Beethoven?
Eh! bien non. L'on découvre avec stupeur, en lisant les notes du quatuor Zaïde lui-même, que cette version alternative de la Sonate à Kreutzer est, sinon contemporaine de l'original, en tout cas de son auteur puisque publiée quatre ans après la mort de Beethoven, soit en 1831. L'énigme commence ici: aucune idée de celui qui fit l'arrangement: Beethoven peut-être? Ries, un de ses rares élèves? Un anonyme? Et à quelle fin, sinon sans doute une commande de musiciens amateurs à l'usage précis de leur groupe? Car, autre énigme, un quintette à cordes, oui, mais les quintettes à cordes -ceux, antérieurs, de Mozart, ceux, postérieurs, de Brahms ou Dvorak- sont écrits pour 2 violons, 2 altos et un seul violoncelle. Or la version des Zaïde, qui se sont adjoint le violoncelliste Bruno Delepelaire, est donc pour 2 violons, alto et 2 violoncelles, comme Boccherini en avait écrit, mais Boccherini était violoncelliste justement.
Un quatuor féminin
Ou comme le Quintette à deux violoncelles, chef-d'oeuvre bouleversant d'un Schubert en fin de vie, mais ce Quintette, de 1828, ne fut créé que 20 ans plus tard. On peut se dire cependant, à l'écoute de cette version, qu'on entend ici le pendant solaire de l'oeuvre automnale de Schubert, la Sonate à Kreutzer, par son énergie, l'élégance de ses thèmes, la richesse de son inspiration, son ampleur aussi (35 bonnes minutes qui passent sans effort), se plaçant dans les opus "heureux" de Beethoven.
Un "vrai" quintette révélé
Quatre jeunes femmes composent le quatuor Zaïde, qu'elles créèrent il y a onze ans. Il faut les citer: Charlotte Maclet et Leslie Boulin Raulet, les violonistes, l'altiste Sarah Chenaf et Juliette Salmona au violoncelle. Le son peut encore s'arrondir, se raffiner, mais la cohérence est là, et surtout, qu'on découvre vite, une incroyable énergie qui convient très bien à ce long premier mouvement tout en rebonds, échanges mélodiques, relances, abordé par les musiciennes (et leur compagnon) avec un dynamisme remarquable où l'impulsion et l'ardeur font largement passer les quelques défauts que j'ai cités en accroche.
Bon! Cela se gâte un peu au début du mouvement lent, qui fait du surplace. Et puis s'installe le thème et les variations qui le suivent et, sur un rythme plus paisible, le quintette trouve le ton exact qui correspond à chacune d'elles avant de retrouver les mêmes qualités du premier mouvement dans le Presto final.
Un complément juvénile mais du pur Beethoven
Ainsi a-t-on le sentiment d'avoir découvert une oeuvre nouvelle de Beethoven bâtie sur des thèmes que l'on connait. Mais comme il faut un complément, on attend les Zaïde au tournant car il s'agit cette fois d'un "vrai" quatuor, au coeur de leur travail. Intelligemment elles ont retenu l'opus 18 n° 3, qui est en fait le premier écrit de ce cycle de six, et donc le tout premier de cet ensemble qui parcourra l'entière vie de Beethoven, jusqu'à la conclure avec la série (13 à 16) qualifiée de "musique de l'avenir"
Il est déjà si beethovénien, ce quatuor n°3, et non mozartien, par ce mélange d'énergie et de mélancolie (énergie mélancolique, si l'ont veut, capacité à faire des ombres non l'annonce de la mort mais l'annonce de la tempête) que Beethoven inscrit dans une écriture où l'on sent encore évidemment l'influence des deux maîtres, Haydn et Mozart -et il fallait à Beethoven une sacrée confiance en soi pour se frotter cette fois à un genre que Haydn avait quasi créé et Mozart si illustré. Les Zaïde, très à l'écoute, très lumineuses, en proposent une lecture rêveuse et tendre dans le mouvement lent et qui, ailleurs, retrouve la fougue et la vivacité de leur quintette. De sorte qu'on n'a pas le sentiment non plus d'un simple complément de programme parce qu'il fallait tenir le temps d'un Cd. Mais évidemment c'est le "Quintette à cordes de Beethoven" que l'on retiendra d'abord
Beethoven: Sonate à Kreutzer (arrangement pour quintette à cordes à deux violoncelles); Quatuor à cordes opus 18 n° 3. Quatuor Zaïde (avec Bruno Delepelaire, violoncelle) Un Cd NoMadMusic