Dans les nombreuses propositions de l'année Beethoven -un peu perturbées, je vous l'accorde- on a encore des découvertes à faire comme ces oeuvres de jeunesse pour mandoline...
Beethoven touché par la mandoline
On associe évidemment fort peu Beethoven à la mandoline. Même dans la fiche en ligne consacré à l'instrument? Beethoven n'est pas cité. La mandoline (associée à l'Italie comme la guitare l'est à l'Espagne) était cependant à cette époque-là fort populaire mais liée à une musique ensoleillée, charmeuse -celle des Concertos que Vivaldi a écrits pour elle, celle de la "Sérénade" du Don Giovanni de Mozart, opéra chanté en italien et a priori situé en Espagne. Le sombre Beethoven touché par la mandoline caressante et séductrice qui sera bientôt le plus bel accompagnement des roucoulades napolitaines?
Eh! bien, oui. Selon des circonstances particulières, évidemment, et comme les quatre compositions ne portent aucun numéro d'opus, il est facile d'en conclure qu'elles sont des oeuvres de jeunesse. D'un Beethoven de l'époque des premiers grands chefs-d'oeuvre, grâce à son amitié avec Wenzel Krumpholz.
Des Tchèques passionnés de mandoline
Ce Krumholz était le frère du plus connu Jean-Baptiste, virtuose tchèque de la harpe installé à Paris et qui se suicida, parce que sa femme le trompait, en se jetant dans la Seine depuis le Pont-Neuf. Le petit frère, Wenzel (en allemand) ou Vaclav (en tchèque), étant premier violon à l'Opéra de Vienne, donna à un Beethoven de 25 ans des leçons de violon et peut-être aussi de mandoline (Beethoven en conserva une très ancienne, une mandoline milanaise) car la mandoline, par la tessiture et le doigté, est plus proche du violon... que de la guitare. La sonatine en ut mineur fut donc composé spécialement par Beethoven pour son ami Krumpholz.
Joséphine, un béguin de Ludwig?
Un autre personnage, Jan Kuchar, directeur de l'Opéra italien de Prague où fut donc créé le Don Giovanni de Mozart (Kuchar tenait le clavecin lors de la première), se passionna aussi pour la mandoline et y passionna un certain comte de Clam-Gallas, mécène et personnalité incontournable pour les créateurs qui arrivaient à Prague... comme Beethoven quelques années plus tard. Or derrière le comte il y avait une comtesse... qui fut la dédicataire du grand air Ah! perfido. Mais auparavant de l' Andante avec variations pour mandoline et piano qu'on retrouva dans la bibliothèque du comte et qui est dédié à ladite comtesse, Joséphine. Qui tenait la mandoline, qui tenait le piano dans les soirées praguoises au coin du feu?
La mandoline de Beethoven après celle de Hummel
Quand Krumpholz s'éteignit en 1817, Beethoven composa pour lui un chant funèbre pour trois voix d'hommes. Trois hommes l'accompagnèrent à son tour dix ans plus tard dans sa demeure dernière, Gänsbacher, Schubert et Hummel. Ce Johann-Nepomuk Hummel qui fut le compositeur le plus abondant pour la mandoline, un concerto, diverses pièces et une Grande sonate d'au moins un quart d'heure (les pièces de Beethoven durent entre deux et huit minutes)
Le choix a donc été, pour cet excellent mandoliniste qu'est Julien Martineau, de centrer ce Cd sur Beethoven (car il eût pu en faire, comme quelques de ses prédécesseurs, un "Beethoven-Hummel" assumé, vus les liens entre les deux hommes). Donc on aura les 4 pièces du grand homme, la Sonate de Hummel et quelques transcriptions. Pourquoi pas?
Beethoven en masque italien
Qu'on ne s'attende pas, en ce qui concerne Beethoven, à de hauts chefs-d'oeuvre: un Adagio ma non troppo et deux Sonatines (la deuxième d'une brièveté toute webernienne) ouvrent le Cd. L'Adagio est une mise en bouche qui nous renvoie au coeur du XVIIIe et bien malin qui pourrait y voir la patte de Beethoven. On apprécie déjà la belle musicalité rêveuse de Julien Martineau pendant que Vanessa Benelli Mosell met un peu de temps à trouver le toucher juste (intro brutale), il est vrai que l'accompagnement est fort scolaire: surprenant pour un Beethoven qui sera un tel génie du piano...
Cela change avec la Sonatine en ut mineur que l'on croirait, elle, transcrite de Scarlatti: construite comme une vraie sonate, avec un mouvement initial bâti sur une superbe mélodie d'une tristesse toute... méditerranéenne et où on est encore plus éloigné de Beethoven que dans tout le reste. Martineau, quasi solitaire (l'accompagnement est à peine marqué) varie le ton, l'intensité, les couleurs. Un mouvement plus rapide, pré-mozartien, presque un pastiche, suit, avant le retour de la première mélodie: curieuse pièce, décidément, si l'on se dit: "C'est du Beethoven", mais pleine de charme!
Les couleurs du Sud par des hommes du Centre...
Quant à la dernière Sonatine en ut majeur, imaginez Ludwig sur le port de Naples dansant la sartarelle ou la tarentelle: c'est encore plus inattendu, avec une belle complicité entre les deux musiciens. L' Andante avec variations dédié à la comtesse Joséphine, est une pièce plus mûre, qui appartient vraiment au jeune Beethoven, avec toujours cette couleur du Sud si curieuse à lier à Beethoven mais une écriture plus vive, plus aboutie, et le duo Martineau-Benelli Mosell y trouve un juste équilibre.
La Sonate de Hummel joue délibérément elle aussi l'esprit italien avec un fort belle mélodie initiale "venu de là-bas" qui sera décliné en variations; elle confirme aussi (avec une partie de piano bien plus intéressante à défendre pour Benelli Mosell) tout le bien que l'on doit penser de la musique de Hummel, en tout cas pour les pièces (concertos pour piano, Septuor) qu'on a eu l'occasion d'entendre. Mais Hummel a eu le tort de mourir trop tard (en 1837) dans un monde déjà largement romantique, romantisme qui l'inspira pourtant à la fin de sa vie. Le second mouvement est une délicieuse danse sicilienne où la musicalité du duo est à son meilleur. L'Allegretto final joue un charmant jeu napolitain où l'on imagine une parade d'Arlequin, Polichinelle et Truffaldin sur un port.
Des transcriptions d'un intérêt inégal
Le choix a donc été de continuer autour de Beethoven. Avec des bonheurs inégaux. On n'est ainsi guère fou de la transcription d'une transcription (!) (d'un certain Hans Sitt, violoniste tchèque du XIXe siècle) de l' Allegretto de la 7e symphonie, pour mandoline, contrebasse et piano, où l'on entend surtout le piano! La pièce de Walter Murphy, A fifth of Beethoven, pour la même formation plus des tambours, est beaucoup plus rigolote, sentant bon le psychédélisme des années 70, même dans l'adaptation de Bruno Fontaine.
On aime bien aussi la Lettre à l'immortelle bien-aimée du tout jeune Corentin Apparailly qui aurait pu servir de musique au Parrain -je le dis en étant, tel Renaud Capuçon, un fervent admirateur de beaucoup de musiques de films, surtout quand il s'agit, comme Le Parrain, de l'immense Nino Rota. Mais moins des piécettes de genre comme le Rondino sur un thème de Beethoven de Fritz Kreisler: on imagine un pauvre Napolitain, par un printemps fleuri vers 1890, cherchant quelque sou à la terrasse d'un brillant café de Vienne ou de Budapest. Mais il fallait bien être le plus exhaustif, dans un programme qu'on réservera d'abord à ceux qui veulent la moindre pièce (ou piécette) du dieu Beethoven mais qui trouvera sans doute aussi d'autres amateurs, et d'abord d'un instrument rare très joliment servi par... un duo de talent.
Beethoven -Suites: oeuvres pour mandoline et piano de Beethoven, Hummel, Kreisler, Apparailly, Murphy. Julien Martineau, mandoline, Vanessa Benelli Mosell, piano (et Yann Dubost, contrebasse, José Fillatreau, drums, Bruno Fontaine, arrangement de Walter Murphy) Un Cd Naïve.