Une Folle Journée avec un grand succès selon les organisateurs. Cela est vrai. Approfondissons cependant un peu, en faisant un bilan personnel, avec ses dièses, certes, mais aussi ses petits bémols.
- Un succès retentissant, mais Beethoven oblige.96 ou 97 % de ventes, on ne va pas se plaindre. Cette réussite prouve depuis des années que la musique classique, ça marche. Même si, comme d'habitude, et quels que soient les gouvernements, on n'a toujours pas vu l'ombre d'un ministre de la Culture (le seul que j'ai vu, depuis le temps que je viens, est Frédéric Mitterrand) Une réussite qui tient beaucoup aussi à un rush inhabituel pendant les premiers jours. Mais programmer Nicholas Angelich pour le premier concert est habile, car cela vous garantit un auditorium de 2000 places rempli.
- L'an prochain (du 27 au 31 janvier), ce sera donc la musique russe autour du "Groupe des 5", ces compositeurs, Borodine, Rimsky-Korsakov, Moussorgsky, Cui et Balakirev, qui avaient tous un métier par ailleurs mais ont vraiment installé leur pays sur la scène musicale avec un autre géant, leur contemporain, Tchaïkovsky. Comme on ne remplit pas une Folle Journée avec ces six-là, René Martin, le fondateur, ira prudemment jusqu'à 1920, incluant donc Rachmaninov, les premiers Prokofiev, les premiers Stravinsky...
- Je vous ai abondamment commenté les expériences, souvent réussies, autour de Beethoven. Je suis tout de même allé entendre des concerts plus classiques. Avec une double idée: les oeuvres rares de ce diable d'homme, d'abord. Parfois pas très passionnante comme ces Trois marches opus 45 pour 4 mains par les soeurs Bijzak (ce n'est pas de leur faute). Parfois bien plus, même (il y a une raison!) si c'est plus connu, le Septuor ou le Quintette pour piano et vents.
- Au rang desdites découvertes (qui sont aussi, car c'est la seconde idée du mélomane-journaliste, entendre de nouveaux interprètes!), ce Trio pour 2 hautbois et cor anglais, très officiel opus 87, et très bien défendu par Gabriel Pidoux, Nikhil Sharma et Louis Baumann au cor anglais. Outre qu'on fait ENFIN la différence entre hautbois et cor anglais (l'un est plus bas que l'autre) on entend un Beethoven plein de verdeur, avec un joie vigoureuse presque mozartienne. Et cependant très exigeante techniquement, nous disent les musiciens eux-mêmes, qui s'amusent, comme Beethoven a laissé la cadence ad libitum, à y mettre une citation de l' Eroica et le Pom Pom Pom Pom répété, ce qui surprend et met en joie l'auditoire. Ah! oui: Gabriel Pidoux est cité aux prochaines Victoires de la musique classique le 21 février (retransmission sur France 3)
- Et donc, au rang des découvertes ou confirmations: encore de brillants violoncellistes, Aurélien Pascal ou Anastasia Kobekina. Celle-ci joliment émue et émouvante quand elle présente (en première mondiale) les Variations sur un thème de Beethoven de "mon papa" ( le compositeur Viktor Kobekin): "C'est sur un thème du concerto Tripel" On dirait un nom de bière belge. En fait le thème initial du Triple concerto.
- J'ai aussi beaucoup apprécié l'énergie et la musicalité du Quatuor (féminin) Akilone qui s'attaquait à un des monuments de la fin de la vie de Beethoven (complètement sourd) le 14e Quatuor à cordes. Cette série, qui va du 12e au 16e (avec la Grande Fugue), c'est, pour les quatuors, comme gravir l'Everest. Bravo donc à elles, et le public de ce soir-là ne s'y est pas trompé...
- Bravo aussi à Jean-Frédéric Neuburger dont on connait le talent mais qui, dans une salle difficile (saturant le son et donnant de la brutalité au piano) et devant un public fatigué (faisant du bruit en entrant après le début d'un mouvement, c'était dimanche soir un des derniers concerts) a rendu avec des moments d'une force incroyable et d'une beauté renversante la plus métaphysique des sonates pour piano -et la plus "monstrueuse", 45 minutes, la Hammerklavier. Il est un de ceux qui la jouent (tous ne le font pas volontiers), la réussite n'en est pas moins à souligner.
- Un mauvais point en revanche à Boris Berezovsky. Le pianiste russe qui avait une "carte blanche" et qui dit ne pas aimer beaucoup Beethoven (c'est son droit) a joué Ravel et Prokofiev mais pas une note du héros de l'année. Dans ce cas-là, on ne vient pas.
- Madame la directrice de la Cité des Congrès a fait des déclarations (à Ouest France, je crois) très engagées sur la nécessité d'un effort écologique, incluant le public à qui on en profite pour consigner des verres. Donc poubelles installées partout avec tri des déchets: pourquoi pas? Et gourdes données aux artistes; ce qui n'empêche pas les bouteilles d'eau en plastique dans l'excellente cantine réservée aux musiciens et à tout le personnel d'accueil et de bénévoles)
- On se méfie cependant de ces intentions qui cachent souvent une volonté de faire des économies par tous les moyens. Pour la première fois depuis 26 ans, sous prétexte que "beaucoup de gens laissaient leurs programmes sur leurs sièges", il a été décidé de ne pas en imprimer autant mais VRAIMENT pas autant. Donc les gens se battent pour trouver lesdits programmes que les premiers entrants ont réussi à arracher, sous l'oeil soit blasé soit consterné des responsables de salle qui ont entendu le même discours pendant cinq jours: "Vous avez un programme?"
- Ce n'est pas trop gênant quand c'est la 5e Symphonie (encore qu'on aurait ainsi des informations sur les interprètes), plus quand il s'agit d'oeuvres rares (le fameux Trio pour hautbois et cor anglais par exemple où il n'y avait même aucun programme imprimé) Ainsi sur le concert d'oeuvres chorales (dont la très peu connue Cantate sur la mort de l'empereur Joseph II), il fallait être germaniste et entendre Er ist tot (Il est mort) pour savoir qu'on était encore dans la cantate et pas dans le choeur suivant (très peu connu aussi) intitulé Mer calme et heureux voyage.
- Le coût de 400 programmes est le même que le coût de 200. Mais il semble qu'on veuille forcer les spectateurs à photographier sur leurs portables les informations. Outre qu'ils ne le feront pas, on rêve donc du moment (comme je l'ai vu) où 500 personnes allumeront leurs téléphones devant les artistes pour comprendre ce qui se passe. Sans parler de quelques mauvaises manières faites parfois aux artistes et aux bénévoles -nombreux, dévoués, efficaces, comme, globalement l'innombrable personnel de la Cité-, toujours pour traquer le moindre sou dépensé en l'habillant de beaux discours. Heureusement le public ne s'en rend pas trop compte (pas encore?) Et souhaitons (on peut espérer) que tout cela soit rectifié l'an prochain