L'opéra d'un auteur fêté à la cour de Louis XVI, sur un autre roi, Richard Coeur de Lion, un chef énergique et habitué de ces musiques, Hervé Niquet, une jolie et vive mise en scène avec de charmants ballets; bref une soirée heureuse comme elle avait pu l'être en 1784... cinq ans avant la catastrophe.
Première production de l'opéra royal depuis la Révolution
Et c'est une "production maison", insiste-t-on, la première depuis la Révolution et la mise en sommeil de l'opéra royal, réveillé il y a une vingtaine d'années et désormais promis à la musique mais qui, depuis qu'il a rouvert, n'avait accueilli que des spectacles créés ailleurs. Or, pour ce Richard Coeur de Lion on n'a pas lésiné: ravissants décors découpés (comme on les faisait encore pendant tout le XIXe siècle, signés Antoine Fontaine) et qui changent à vue, nous permettant d'admirer la machinerie du bâtiment, costumes bien jolis (de Camille Assaf) qui nous situent non au Moyen Âge mais à l'époque de l'oeuvre, lumières (d'Hervé Gary) qui intègrent la salle durant par exemple un superbe orage "qui fait peur" ou lors d'une bataille finale qui nous envoie son comptant de fumée. Et très élégante chorégraphie (de Jeannette Lajeunesse Zingg) qui, sur des pas classiques, reussit à s'intégrer parfaitement à l'histoire qui nous est contée("danse des drapeaux" et "danse des épées" comprises)
Le roi n'est qu'un prétexte
Une histoire dont, malgré le titre, on comprendra vite qu'elle n'est pas un drame sévère comme aurait pu en écrire, sur ce même roi guerrier d'Angleterre, un Verdi ou un Wagner. N'attendez ni le récit de sa lutte impitoyable avec le Français Philippe Auguste (alliés durant les Croisades, ennemis pour la (re) conquête des provinces de France, et Richard finira tué en Limousin d'un coup d'arbalète) ni quoi que ce soit de la vie trépidante de ce roi qui, en dix ans de règne, ne passa que dix mois en Angleterre, lui qui ne parlait même pas anglais, pour être enterré au final en Anjou, à Fontevraud.
Non le roi Richard n'est qu'un prétexte, celui investi du titre suprême autour de qui tout s'organise et qui n'a qu'un petit rôle (un ou deux airs à chanter et quelques ensembles), ce qui fit hésiter (nous dit-il) le ténor Reinoud Van Mechelen avant de comprendre qu'il fallait un interprète de sa trempe et de sa présence pour que l'opéra tînt en équilibre.
La romance de Blondel et le départ de Louis XVI
L'histoire (livret de Sedaine, un des excellents dramaturges de son temps) nous transporte donc le long du Danube où l'empereur allemand tient Richard prisonnier (pour des raisons fort compliquées que vous trouverez dans les dictionnaires!) et où surgit un chevalier aveugle avec son page qui le guide. Cet aveugle est un faux aveugle: Blondel. Qui a réellement existé, fut trouvère, compagnon de Richard, objet de chansons, de contes, d'une sorte de légende. Et pas seulement par l'air fameux "Ô Richard, ô mon roi!" qu'il entonne, repris par les soldats fidèles à Richard, air que les gardes suisses entonnèrent à leur tour devant Louis XVI en octobre 1789, provoquant, dit-on, la fureur du peuple et l'expédition des femmes à Versailles pour ramener "le boulanger, la boulangère et le petit mitron". Ainsi un air de Grétry serait à l'origine du départ définitif de Versailles du roi et de la reine de France.
Grétry invente le leitmotiv
Aventure un peu trop belle. Il y eut évidemment d'autres causes à cette expédition. Mais peu importe. Voici que Blondel va parvenir à sauver son roi grâce à l'aide de son gentil page, Antonio mais surtout grâce aux sentiments amoureux du gouverneur de la forteresse, Florestan, pour la jolie Lorette, fille d'un papa jaloux et gallois, sir Williams. Blondel va donc tirer les fils, jouant habilement et de sa prétendue cécité et d'un air de violon souvent répété (Grétry invente ainsi le premier leitmotiv) qui ajoute au complot un personnage de poids, Marguerite de Flandre, soupirante de Richard -Marie Perbost, de sa voix fraîche et bien projetée, joue délicieusement les deux personnages d'Antonio et de Marguerite.
Une musique qui a de la personnalité
Ce Blondel ressemble à d'Artagnan. On comprend vite qu'on n'ira jamais jusqu'au drame. On le comprend aussi à ces paysans idéaux qui, préparant une noce, forment une toile de fond d'un petit peuple bien propre sur lui, tel que Marie-Antoinette devait se l'imaginer à Trianon et Grétry, habilement, tend à la reine et à son entourage un miroir parfaitement hors du réel. Cela ajoute encore à notre plaisir d'une musique qui est une vraie découverte et, qui, avec un charme de tous les instants (et le spectacle va vite, dure une heure quarante, grâce à la mise en scène fluide et dynamique de Marshall Pynkoski), fait montre à la fois de savoir-faire et de personnalité: toujours le juste ton, l'emportement fougueux d'un orage ou d'une mise en accusation, la détresse violente d'un Richard, l'héroïsme jamais grandiloquent du "Ô Richard, ô mon roi" ou tel air martial en forme de marche militaire mais où Grétry, subtilement, ne déchaîne pas, comme l'aurait fait Berlioz, 70 trompettes, à peine un trait de cor ou un coup de timbales de temps en temps. Il utilise aussi très joliment ce vieux fond triste des chansons françaises dont tant d'entre elles datent de ce siècle-là, ou aussi sous forme de danse comme le très amusant "Et zic et zic et fric et froc" ("Quand les boeufs vont deux à deux, le labourage en va mieux": cela n'est-il pas totalement Trianon?)
Un excellent Blondel, un excellent spectacle
"Monsieur Grétry est de Liège (dans ce qui n'était pas encore la Belgique!); il est jeune, il a l'air pâle, blème, souffrant, tourmenté. Tous les symptômes d'un homme de génie" écrivait le baron Grimm de celui qui survivra lui, à la Révolution (une Révolution qui le couvrit d'honneur), avant d'acheter l'Ermitage de Jean-Jacques Rousseau à Montmorency où il mourut à la fin de l'Empire: Beethoven était dans la gloire, Schubert arrivait, Berlioz était né. Il faut entendre le plus bel air de l'oeuvre, "Je sens mon coeur qui bat, qui bat" , celui d'une jeune fille amoureuse, Lorette, air qui nous projette déjà en plein romantisme (et Tchaïkovsky réutilisera cet air dans La dame de pique) et qu'en son temps une Christiane Edda-Pierre murmurait admirablement...
Ce n'est pas tout à fait le cas de Melody Louledjian qui m'y met pas assez de grâce et Hervé Niquet lui-même y est un peu indifférent. Mais l'énergie et la fougue du chef et de son Concert Spirituel rendent la plupart du temps pleine justice à l'oeuvre où l'on distinguera aussi en premier, parmi une troupe de solistes d'excellent niveau, le remarquable, de fougue et de présence vocale, Blondel de Rémy Mathieu. Autant dire que la soirée passe trop vite, que quatre représentations prévues vont passer trop vite aussi et qu'on ne souhaite à ce Richard Coeur de Lion que d'être repris ailleurs, dans des lieux où Marie-Antoinette (qui ne quitta Versailles que pour se rendre à Paris) n'aurait pu même imaginer de se rendre.
Richard Coeur de Lion d'André-Modeste Grétry, mise en scène de Marshall Pynkoski, direction musicale d'Hervé Niquet. Opéra Royal de Versailles (dans le château), le 11 octobre à 20 heures, 12 octobre à 19 heures, 13 octobre à 15 heures.