Découvrons le jeune quatuor Elmire dans Beethoven et Tanguy à l'Orangerie de Sceaux

Le quatuor Elmire: alto, 2e violon, violoncelle, 1er violon D.R.

Le festival de l'Orangerie de Sceaux change de période: au lieu d'être programmé de mi-août à mi-septembre il l'est désormais de mi-juin à mi-juillet. J'ai assisté au concert du jeune quatuor Elmire, une découverte.

Les durs effets de la canicule

Une découverte, au moins pour ceux qui étaient présents vendredi dernier en fin d'après-midi, au pic (quasi) de la canicule. Des annulations de toute sorte avaient émaillé la journée entière car... non on ne climatisait pas l'orangerie des châteaux au XVIIIe siècle. Peut-être aussi un programme exigeant en avait-il détourné certains.                                                      Et c'est ainsi que nous nous retrouvâmes une petite quarantaine devant un jeune quatuor un peu dépité (et nous avec), au milieu des statues grecques musculeuses qui ornent l'orangerie de l'ancien château de Colbert. Une série de courants d'air opportunément distribués en rendait l'atmosphère parfaitement supportable. Et nous pourrons dire, si le quatuor Elmire fait la carrière qu'on espère pour lui, "j'y étais". Tant pis pour les absents...

Eric Tanguy écoutant son quatuor

Un homme se leva au premier rang: Eric Tanguy, un de nos meilleurs compositeurs, à l'honneur à Sceaux cette année dans plusieurs oeuvres. Ce soir c'était son Deuxième quatuor, créé en 2000 par le quatuor Ysaye. Tanguy est violoniste de formation, il aime les cordes, nous dit-il, les combinaisons des cordes, et la musique de chambre en général (son catalogue dans ce domaine est très fourni et très divers)

Cyprien Brod, Khoa-Nam Nguyen, Eric Tanguy, Issey Nadaud, Rémi Carlon. D.R.

 

Oeuvre concise (un quart d'heure), en trois mouvements classiques (Vif-lent-vif) qui commence un peu à la manière de celui de Ravel, quatre lignes mélodiques puissantes, aux quatre instruments, se croisant comme si chacun gravissait la même colline par différentes voies. C'est une écriture, ensuite, où chacun paraît autonome, ce qui demande une grande complicité. On ne retrouve pas, comme on le devrait, un premier violon (Cyprien Brod) qui impose: l'énergie est distribuée entre les quatre dans un bel équilibre, même si l'on n'a guère remarqué les "jeux par deux" que nous vantait Tanguy.

Une formation de moins de trois ans d'âge

Le son profond du violoncelliste (Rémi Carlon) ouvre le mouvement lent, prolongé par le 2e violon de Khoa-Nam Nguyen (comme si la phrase de l'un sortait de la phrase de l'autre) puis Brod puis l'alto d'Issey Nadaud. Tanguy installe un climat de mélancolie immobile, de recueillement angoissé, dans un passage de témoin entre les musiciens qui supposent, comme dans les relais sportifs, de respirer ensemble. Le dernier mouvement retrouve la vigueur, la nervosité du quatuor de Debussy (en plus atonale) ou de certains Bartok.

Les Elmire se sont constitués il y a deux ans et demi. Ils ont comme maîtres et modèles le quatuor Ysaye et le quatuor Modigliani (enseignements des deux premiers violons, Luc-Marie Aguera d'Ysaye et Philippe Bernhard, ex de Modigliani) Ils ont déjà (ou désormais) l'écoute mutuelle, la rondeur et la complémentarité du son, la clarté de l'engagement (aucun d'eux, pour l'instant, ne cherche une carrière ailleurs), l'ambition aussi. Les voici qui s'attaquent au 15e Quatuor de Beethoven.

Khoa-Nam Nguyen (2e violon), Cyprien Brod (1er violon), Rémi Carlon (violoncelle), Issey Nadaud (alto) D.R.

Les monuments d'un Beethoven sourd

Nguyen, l'altiste, nous en rappelle les circonstances douloureuses et (musicalement) fascinantes: un Beethoven complètement sourd, qui sort de la 9e symphonie et qui consacrera ses dernières forces à la composition de six quatuors entre 1823 et 1826, chronologiquement les 12e, 15e, 13e, 14e,16e, avec la Grande Fugue qui est une autre fin du 13e mais qui a son autonomie. Etrange conclusion de vie musicale, à la fois pécuniaire (beaucoup de formations de quatuors fleurissaient à Vienne, à qui il fallait fournir du matériel) et mystique, Beethoven lui-même les décrivant comme des musiques de l'avenir qui réussissent cependant le miracle d'être parfaitement audibles (on dit que les auditeurs de l'époque en étaient émus aux larmes) et de nous faire, encore aujourd'hui, quand on les entend, réaliser leur puissance et, toujours, leur incroyable modernité.

"Joué avec la plus grande humanité"

Comme si Beethoven faisait surgir la musique qu'il avait en lui dans ce cadre strict et nu qu'est le quatuor à cordes, en l'organisant à peine, selon des formes inhabituelles mais en insistant sur le climat nécessaire à des oeuvres devant être jouées avec la plus grande humanité. Le 15e quatuor dure trois quarts d'heure: mélodie à l'unisson puis chacun emprunte sa route, jeux sur les intensités sonores, thème tendre (au violoncelle), bouffées de danse allemande, moments de nouveau contemplatifs, instantanés lyriques (retour des danses allemandes, bien plus énergiques et presque joyeuses, puis qui tutoient l'éthéré comme si elles s'éloignaient dans la mémoire d'un homme sourd qui ne les entend plus) Raffinement, dialogue (beau dialogue!), passion et douleur. Mais passion.

Les Elmire saluant après le concert D.R.

Sélectionnés pour un grand concours...

Et tout cela dans cette très belle entente de son, d'écoute à quatre, qui nous fait vraiment tendre l'oreille à ces jeunes musiciens où chacun a déjà sa respiration, son identité sonore. On a discuté avec eux après le concert (en les remerciant déjà d'avoir eu cette ambition-là), dans un de ces échanges autour d'un rafraîchissement que ménage agréablement le festival: ils font partie des dix sélectionnés du concours de Banff, au Canada, l'un des deux concours qui comptent pour les quatuors à cordes (l'autre étant à Munich): concours exigeant et souple, apparemment, où le 15e de Beethoven sera à présenter. Musicalement ils sont au point. Il leur reste, au-delà de l'écoute, à respirer plus largement, à trouver pour chacun une liberté sonore, une forme d'intuition qui va au-delà de la barre de mesure, pour monter encore plus haut dans l'exigence de ce monument. Peut-être aussi, plus trivialement, au premier violon de prendre davantage le pouvoir et à l'alto d'être, de son, encore plus présent. Quelques beaux rendez-vous cet été (à Evian ou aux Arcs) précéderont Banff, qui se situe fin août. On prendra de leur nouvelle et on s'est promis d'aller les réécouter APRES.

Eric Tanguy (Quatuor à cordes numéro 2) et Ludwig van Beethoven (Quatuor à cordes numéro 15) par le quatuor Elmire (Cyprien Brod, Khoa-Nam Nguyen, Issey Nadaud, Rémi Carlon) Orangerie de Sceaux (92) le 28 juin.

Le programme de l'orangerie de Sceaux se prolonge jusqu'au 21 juillet (en fin de semaine) Quelques rendez-vous: le trio Wanderer (4 juillet), Augustin Dumay et Vanessa Wagner (7 juillet), les musiciens de l'académie Jaroussky (12 juillet), Nicholas Angelich (18 juillet), Marie-Josèphe Jude et Jean-François Heisser (21 juillet). Renseignements sur le site www.festival-orangerie.fr