Un Cd, un concert. La jeune soprano Raquel Camarinha et son pianiste Yoan Héreau consacrent le Cd à la mélodie française (Debussy, Ravel, Poulenc et Delage) et ont donné un concert au Théâtre de l'Athénée où... ce n'était pas tout à fait le même programme!
Facilité vocale
Moi qui suis si amateur de musique française, je leur rendrai grâce déjà car les mélodies de Debussy ne sont finalement pas si fréquentées, quant à Poulenc... Le cycle le plus célèbre étant finalement le "Schéhérazade" de Ravel (aussi parce qu'on l'entend souvent dans sa version avec orchestre) et c'est d'ailleurs par là que, dans le joli théâtre de l'Athénée-Louis-Jouvet fort bien rempli, commençait le récital.
Raquel Camarinha, on en entend parler depuis quelque temps, en particulier si l'on fréquente les "Folles journées" de Nantes où elle est régulièrement invitée, et depuis... bien avant son titre de "Révélation Artiste lyrique" aux Victoires de la musique classique en 2017. Je l'ai d'ailleurs entendue dans la carte blanche donnée à Emmanuel Rossfelder cette année (chronique 3 du 4 février) où elle chantait ravissamment Rodrigo et la zarzuela. Mais il y avait peut-être valeur de test l'autre lundi dans ce théâtre en forme d'écrin. Dans une belle robe imprimée cachemire Camarinha aura en tout cas prouvé largement sa facilité vocale, peut-être un peu moins un talent de "conteuse" encore à travailler.
Des songes qui n'aboutiront pas
Elle est très à son affaire (et cela commence donc très bien) dans "Asie", la longue mélodie (près de dix minutes) qui ouvre "Schéhérazade" La voix a fait des progrès considérables en quelques années, elle est souple, Camarinha semble la conduire où elle veut, dans cette vaste tessiture d' "Asie" où il faut mettre de la fermeté (très bien, la prononciation!) et une infinie langueur. "Asie", c'est la mélodie des regrets, un rêve de toutes les beautés de l'Asie, "vieux pays merveilleux des contes de nourrice", où l'on "voudrait voir" tant de choses et tant de gens, de Sinbad aux mandarins. C'est ravissant, les aigus délicieux et cette longue jeune femme hiératique au regard noir est exactement ce que décrit le poème, noyée dans des songes qui n'aboutiront pas.
Une princesse chinoise qui attend l'aventure
Elle aura, dans les deux poèmes qui suivent et les "Quatre chants hindous" de Maurice Delage (où cette fois l'on se déplace, de Madras à Bénarès; on les avait entendus, ces poèmes, par Sabine Devieilhe, poussés qu'ils sont dans l'extrême aigu), cette même attitude de princesse chinoise qui attend l'aventure, figée dans l'illusion du repos. Les notes cristallines, légèrement orientalisantes, du piano d'Héreau, se font plus intimes, suspendues comme des gouttes de perle après les déchaînements d' "Asie" où le pianiste devait faire entendre tout un orchestre. Mais sans jamais couvrir la voix de sa partenaire même si, dans l'espace de l'Athénée, le son saturait parfois.
Arriver à sortir de soi-même
Mais peu à peu quelque chose... se grippe serait trop dire; une certaine immobilité gagne, le hiératisme de Camarinha (peut-être dû à un trac secret) finit par se transformer en rigidité. S'observe aussi peu à peu que la précision du texte s'estompe. La limite viendra des "Cinq poèmes de Baudelaire" de Debussy. C'est difficile, Debussy: il faut trouver un ton différent, il faut aussi... défendre Baudelaire. Ce n'est pas toujours le cas. Comme si la chanteuse (et la qualité musicale n'est pas en cause) n'arrivait pas à sortir d'elle-même, à incarner la vibration des mots, de la volupté d' Harmonie du soir" à la tristesse de "La mort des amants"
Ce sera mieux dans Poulenc, avec "Montparnasse" et "Hyde Park" (deux belles découvertes qui sont dans le disque) mais cela tient aussi à Poulenc, à son énergie, sa rapidité, car il faudra attendre la fin de "La dame de Monte-Carlo" pour comprendre qui elle est vraiment. On se reporte alors au disque, où il y a d'autres Poulenc. Et l'on constate que Camarinha est bien meilleur dans la tristesse lasse, la mélancolie. Des "Deux poèmes de Louis Aragon", le bien triste "J'ai traversé les Ponts-de-Cé" en forme de vieille chanson est admirable mais le "Fêtes galantes", avec un texte si... fantaisiste, manque de fantaisie.
Un très beau Leonard Cohen... et un fado
Les quatre "bis" du concert avaient pour but de montrer de la part de la chanteuse une palette plus large. Mission musicalement réussie. Le "Clair de lune", celui de Fauré d'après Verlaine ("Votre âme est un paysage choisi / Que vont charmant masques et bergamasques"), passe bien. Puis une merveille, le "Dance me to the end of love" de Leonard Cohen, dépouillée de sa dimension yiddish, dépouillée aussi de son orchestration "variété américaine", chantée sur le souffle, avec une mélancolique simplicité (et un piano à fleur de notes), et c'est absolument bouleversant.
Le fado "Meu amor, meu amor", renvoie Camarinha à ses origines portugaises, là aussi c'est une pudeur triste qui prime, sans la flamboyance tragique qu'y mettait Amalia Rodrigues. De même la belle mélodie de Kurt Weill, "Je ne t'aime pas", il faut attendre la fin pour comprendre qu'elle dit exactement l'inverse!...
Prononciation parfois à revoir
Le Cd, au lieu des "Poèmes de Charles Baudelaire", nous livre deux autres cycles de Debussy. La subtile mélancolie des "Ariettes oubliées" (poèmes de Verlaine) préserve le timbre cristallin de Camarinha malgré des graves un peu sourds mais la prononciation doit absolument se concentrer sur les consonnes: "Il pleure dans mon coeur comme il pleut sur la ville" tourne parfois au mâchouillis comme Netrebko à une certaine époque. Alors que "Chevaux de bois" est impeccable (beau travail d'Héreau, debussyste à souhait) et très bien "Green" ("Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches") comme "Spleen".
L'exemple de "La voix humaine"
On fera les mêmes remarques avec "Fêtes galantes I", l'autre recueil de Debussy, et les superbes "Fiançailles pour rire" de Poulenc sur les remarquables poésies de Louise de Vilmorin: souvent il faut que la musique aide la chanteuse à donner au texte sa substance. Au moins sait-on ce que la très douée Raquel Camarinha aura à travailler désormais: sortir de sa réserve, de sa pudeur, bref s'exposer. Ce qu'elle doit être capable de faire puisqu' avec son excellent complice, Yoan Héreau, ils ont déjà promené si souvent "La voix humaine" de Poulenc où, on le sait, il faut donner de soi.
Récital Raquel Camarinha (soprano) et Yoan Héreau (piano): mélodies de Debussy, Delage, Ravel et Poulenc, Théâtre de l'Athénée, Paris, le 11 février.
"Rencontre", mélodies de Debussy, Delage, Ravel et Poulenc. Raquel Camarinha, soprano et Yoan Héreau, piano. 1 Cd Naïve