Debussy, Poulenc, Honegger, par de jeunes interprètes, à Montmorency

Le chef Romain Dumas et l'orchestre "Les Bagatelles" C) Pierre Schneider

Il n'y a pas que les théâtres prestigieux dans la vie. Voici un concert d'un ensemble dont vous n'avez sans doute jamais entendu parler, "Les Bagatelles", dirigé par l'excellent chef Romain Dumas, accompagné par quatre jeunes solistes formidables, à l'alto, à la harpe, au saxophone et au trombone (instruments guère fréquents!), dans de la musique française dont vous avez entendu parler, mais à peine. Et tout cela non dans les beaux quartiers de Paris mais au coeur du Val-d'Oise...

Me voici à Montmorency

"Il n'y a pas que les théâtres prestigieux dans la vie" Voilà comment, après ma soirée bourgeoisement douillette à écouter le Philharmonique de Vienne, je fus interpellé par quelques amis qui, trois jours plus tard, prenaient la direction du Val-d'Oise. "Il y a aussi des endroits plus modestes, avec des gens moins connus, où l'on fait de l'excellente musique" Je n'en doutais évidemment pas et je m'en suis fait parfois l'écho ici même. Mais c'est ainsi...

C'est ainsi que, par mes propres moyens, je me retrouvai, le jour déclinant, dans des rues désertes bordées de hauts murs traversant d'autres rues montant vers d'obscures frondaisons -Montmorency est bordée par une épaisse forêt- qui accentuaient encore la pénombre et l'humidité des lieux. Personne sur les trottoirs étroits et l'impression véritable de toucher du doigt la question prégnante de la "cohésion des territoires", dans le rôle du Parisien terrorisé par la campagne proche comme si l'ogre allait en surgir pour le dévorer.

Une belle église et des turfistes

L'antique silhouette d'une immense église, aux contreforts de pierre juste éclairés, semblait sortie d'un roman de Victor Hugo. Deux agents municipaux (j'étais fort en avance) m'indiquèrent un centre-ville que je n'aurais jamais deviné moi-même, sinon que, devant la façade de l'édifice, un panorama s'étendait devant moi sur la vallée, malheureusement déjà plongée dans une nuit partielle. Je gagnai à toute vitesse, pour me réchauffer, la placette à l'instant désignée, visant l'unique rade où quelques turfistes s'escrimaient à perdre leurs derniers euros sur l'ultime course du jour. Il y avait de l'autre côté un ravissant bâtiment civil des années révolutionnaires, qui se révéla l'ancien tribunal. J'étais donc au coeur de Montmorency qui déjà, juste passé vingt heures, s'apprêtait à s'endormir.

La collégiale St-Martin de Montmorency, soir C) Bertrand Renard, pour Culturebox

Les raretés de la musique française

Heureusement, une demi-heure plus tard, s'était réunie dans la fameuse église une assistance fort raisonnable de gens éveillés. Edifice magnifique que cette collégiale Saint-Martin, et qui domine la région, de la fin du gothique ou du premier Renaissance, avec de superbes vitraux d'époque et, au fronton, la sculpture de Saint-Martin partageant son manteau avec le vagabond! Ce que je n'ai pas dit, c'est que j'avais été surtout poussé à Montmorency non par le prestige d'un ensemble mais par un programme rare, de cette musique française que j'aime tant, que je trouve si méconnue et qui, d'ailleurs, avait pour sujet ce soir-là une période encore moins connue, ou plus négligée, la première partie du XXe siècle. Sans... sa seule vraie vedette, Ravel!

Poulenc moine et voyou

A commencer par "Deux marches et un intermède" de Poulenc. L'immédiat après-guerre et le double Poulenc: son côté voyou dans la première marche, joyeuse et très "Chanson de France", qui pourrait être une musique pour le film de Tati, "Jour de fête". Son côté moine dans l'Intermède, à l'atmosphère grave d'un motet Renaissance, puis dans la seconde marche, solennelle aussi mais plus triomphale. On est inquiet au début de ces cuivres dont le son fait trois fois le tour du choeur avant de revenir vers nous mais ce n'est pas la faute des musiciens, excellents, où l'on reconnaît d'ailleurs un hautboïste de l'Opéra de Paris.

Dumas et les musiciens C) Pierre Schneider

Le brillant altiste Zientara

Je n'avais jamais entendu parler, et pour cause, de Daniel Faidherbe. Si j'ai bien compris il dirige un conservatoire, peut-être celui de Montmorency. Il a écrit "Impressions" pour alto et orchestre, oeuvre modeste, pas assez développée mais joliment tournée, souvent sur des thèmes polonais car il est originaire du pays minier où les Polonais sont venus en masse travailler le charbon. Mais je découvre surtout le tout jeune altiste, Paul Zientara: le son est très beau, plein, la ligne musicale excellente, le sentiment est juste et sans pathos, il "habite" l'oeuvre avec exactement le style qu'il faut, il la magnifie presque. Accompagnement impeccable de Dumas, qui se révèle bien meilleur chef (c'est ce qu'on lui demande!) que "speaker", car on l'a prié de présenter le programme  et l'on sent, le pauvre, qu'il "traque"! Mais il dirige ce programme qu'il a voulu, me dit-on, avec goût, précision et souplesse et avec les couleurs exactes de chaque partition.

Bernstein, prénom Eudes

Voici un saxophoniste, Eudes Bernstein. Il est éblouissant dans l'éblouissant "Concertino de chambre" de Jacques Ibert, joyeux, comme si c'était le saxo d'un ange farceur. Ibert a écrit ce concerto en 1935 pour l'Allemand Sigurd Rascher qui avait la réputation de monter très aigu dans le registre de l'instrument; le jeune Bernstein est très bien dans cette tessiture difficile. La "particularité" de Rascher agaçait beaucoup le Français Marcel Mule, son grand rival, qui insistait, lui, sur la longueur du souffle et Ibert, qui se disait sûrement qu'il ne fallait pas se fâcher avec son compatriote amené forcément un jour à jouer son oeuvre, réussit un mouvement lent en forme de paisible mélopée, avec parfois des couleurs... brésiliennes.

Bernstein, impeccable, fait aussi des cabrioles dans le "Caprice en forme de valse" de Paul Bonneau, ce charmant compositeur qui fonda et dirigea l' orchestre lyrique de la R.T.F., se spécialisant dans ce qu'on appelait la "musique légère" dont il régala les auditeurs de notre radio nationale. Son "Caprice", virtuose, est un peu long cependant, ou joué trop "haché" par nos musiciens, on finit par n'y voir que des pirouettes.

Une harpiste "habitée"

J'ai eu ensuite un vrai coup de coeur pour la toute jeune Madeleine Fougeras. Quand elle ne joue pas, elle regarde sa harpe avec sourire et tendresse, comme si elle contemplait une amie chère. Ses "Danses" de Debussy sont charmantes (la "Danse profane", valse à contre-temps, a beaucoup de goût, malgré quelques notes trop sourdes), mais elle est surtout "habitée" dans ce bijou qu'est le "Concerstück" de Gabriel Pierné.

Pierné réussit là un petit chef-d'oeuvre, mélodieux, vibrant et grave, d'un très beau lyrisme, parfois fauréen, où retentit soudain une grande phrase à la Bach. J'y avais entendu Lily Laskine, la plus grande harpiste du XXe siècle en même temps qu'une petite femme modeste et délicieuse, et si accessible! Fougeras, qui progressera encore, se perd parfois dans les roulades virtuoses mais quelle joie de jouer, quelle élégance, quelle tenue musicale!

De g. à dr. P. Zientara, E. Bernstein, M. Fougeras, S. Philippeau, R. Dumas, et, passant la tête, madame la maire C) Bertrand Renard pour Culturebox

Et le travail de Dumas est exemplaire!

D'autres récits de Dumas

Comme dans la "Pastorale d'été" d'Honegger où tous les instruments sont sollicités à la manière d'un concerto grosso. Evocation douce, austère presque, d'un jour d'été paisible, mais pas du tout impressionniste, non. Un été protestant, qui refuse la volupté du soleil et se consacre à des activités dignes...

Entre Simon Philippeau, qui joue du trombone. Il commence par l' "Elégie" de Fauré. Quelle drôle d'idée, me dis-je, que d'adapter cette cantilène recueillie, originellement au violoncelle, pour ce gros instrument! Mais voici que l'oeuvre triste et sombre parfaite pour l'intimité d'un salon résonne comme si elle devenait une sonnerie aux morts dans la cour des Invalides. C'est très gonflé, parfait de justesse de la part de Philippeau, magnifiquement construit par Dumas et "Les Bagatelles". Un regret que le concert se termine par le "Concertino d'hiver" de Milhaud, à l'écriture un peu ingrate, mais où le tromboniste, uniquement accompagné par les cordes de l'orchestre, se montre aussi intense musicien que ses camarades!

Cela s'appelle, j'avais oublié de le préciser, le FMAJI, ou Festival Musical d'Automne des Jeunes Interprètes. Si tous les concerts et tous les groupes sont de cette qualité-là, ils ont de la chance, les Valdoisans (on dit comme ça? Je ne suis pas sûr...)

Orchestre de chambre "Les Bagatelles", direction Romain Dumas: Poulenc (Deux marches et un intermède).  Faidherbe (Impressions, avec Paul Zientara, alto). Ibert (Concertino de chambre) et Bonneau (Caprice en forme de valse) avec Eudes Bernstein, saxophone. Debussy (Danse sacrée, danse profane) et Pierné (Concerstück) avec Madeleine Fougeras, harpe. Honegger (Pastorale d'été). Fauré (Elégie) et Milhaud (Concertino d'hiver) avec Simon Philippeau, trombone. Collégiale Saint-Martin à Montmorency (95) le 12 octobre.

Prochains concerts du FMAJI le 9 novembre à Montmagny (Eglise St-Thomas), le 25 novembre à Groslay (église St-Martin), le 9 décembre à Andilly (Complexe polyvalent) et le 14 décembre à Enghien (Centre des Arts)