Aux "Flâneries musicales", les élèves du conservatoire de Reims nous montrent leur talent

Tous nos jeunes musiciens. Ils se reconnaîtront C) Jean-Marie Leclere

C'est une des qualités des "Flâneries musicales de Reims" que de donner leur chance aux jeunes pousses du Conservatoire de la ville. Conservatoire "à rayonnement régional" comme il en est de plus en plus, et de haut niveau, dans la France entière. Un joli concert avait lieu cet après-midi-là dans la banlieue de Reims, l'occasion d'entendre de jeunes musiciens dont certains deviendront peut-être, on leur souhaite, des noms très connus.

Un trio rare

Le site est sans intérêt mais les sièges, au moins, sont confortables. On est à Bétheny, mais pas dans l'église, à l' "Espace Thierry Meng" et l'estrade, toute petite, est déjà encombrée du piano. Un public "d'après-midi", jeune et beaucoup moins, les familles sans doute des musiciens qui ont été auditionnés pour présenter les meilleurs de leur établissement.

Le premier groupe est rare: la pianiste Félicité Lainé, 17 ans, Thibaut Will au violoncelle, 20 ans environ, la jeune Malou Mourot à la clarinette. Un mouvement du "Trio" de Brahms, vivement pris, avec beaucoup de fougue, la clarinette et le violoncelle se marient très bien et mademoiselle Lainé réussit à faire entendre une jolie présence sans couvrir ses partenaires ni se laisser étouffer par eux

Trouver le bon style

Ils nous offrent ensuite le mouvement lent du "Trio" opus 11 de Beethoven. Peut-être le violoncelle est-il un peu trop lyrique, ce qui irait mieux à Rachmaninov ou Chopin qu'à Beethoven. Il faut encore, à ces jeunes gens, apprendre à trouver le bon style, la bonne couleur. Mais c'est globalement très beau, avec une attention mutuelle qui fait plaisir et l'on est ravi de voir que l'esprit de la musique de chambre est déjà ancré en eux comme une évidence.

L'emblème de Reims, la cathédrale. C) Ian Griffiths, Robert Harding Heritage

Des flûtes très contemporaines

C'est encore plus nécessaire pour la pièce contemporaine de Yoshihisa Taïra pour 4 flûtes, "Fu-Mon". Souffle à vide, d'abord (comme si l'on expectorait de son instrument un trop-plein d'air), plusieurs fois répété avant les premières notes, celles-ci d'abord façon vol du bourdon puis pépiements d'oiseaux. Deux des flûtes lancent alors des sons plus construits, une continuité musicale, les autres jouent en soutien. Stridences aiguës, Taïra écrit très bien pour les quatre instrumentistes qui se passent le relais, aucun n'est laissé à l'écart.

Ils se nomment Adélie Ranaivoson, Marine Cucurou, Cyprien Sarrazin et Jean-David Rochoux. Ils savent s'écouter. Surtout, ils ont su mettre au point une telle oeuvre où le son du voisin est son propre son, même s'ils passent tout à coup de la traversière au piccolo, évidemment pas en même temps, ce qui complique. Reprise des sons d'oiseaux, parfois à "bouche fermée". Une dame (âgée) s'agite devant nous: est-ce de la musique?

Sa petite fille reste stoïque. La pièce de Taïra est belle  et bien défendue, n'ayant pour seul défaut qu'on ne distingue pas quand  elle peut s'arrêter (elle pourrait continuer des heures!)

Un guitariste en retrait

On est moins convaincu par le jeune guitariste Corentin Caussin: le ton est un peu timide, il y a encore des maladresses dans le jeu des cordes et le sens de la construction doit être travaillé. Il faut dire que la pièce "Rêverie nocturne" d'un certain Giulio Regondi n'est pas bien passionnante. La "Sonatina" de Moreno Torroba, a de beaux moments et Caussin finit ,par un "Candombé", musique originaire d'Afrique noire aux temps anciens. Il lui faut renforcer sa présence en scène, affermir son jeu...

Félicité Lainé, excellente pianiste

Lila Beauchard et Félicité Laîné entament la "3e sonate pour violoncelle et piano" de Beethoven. On entend un beau violoncelle aux couleurs (dans les graves) de contrebasse, avec un ferme mélange d'autorité, de rigueur et de sentiment de la part des deux jeunes filles. Lainé s'affirme remarquablement, le son de Beauchard est profond, on est séduit.

Et séduit encore plus par la "Sonate" de Chostakovitch, qui pourrait avoir plus de noirceur (on est presque avec elles dans la sonate romantique) au début; mais voici que Lainé prend le pouvoir, entraîne sa partenaire, trouve l'ironie de Chostakovitch dans ses rythmes syncopés, avec un son d'une parfaite sonorité, jamais tapageur. On voudrait maintenant entendre mademoiselle Lainé seule, dans le "Concerto pour piano et trompette" par exemple. Lainé sera la meilleure découverte de ce tour de piste.

Félicité Lainé C) Jean-Marie Leclere

Un beau travail d'éveil

J'ai, dans diverses activités personnelles, eu l'occasion de côtoyer des musiciens formés à Reims. Je leur rends hommage ici, la basse Gautier Joubert, la mezzo Julie Lempernesse, le remarquable corniste Etienne Devigne, qui est aussi pianiste et chef de choeur. Lainé et Beauchard sont de leur niveau. Elles ont comme leurs camarades (cela se fait désormais beaucoup) porté la bonne parole musicale avant ce concert, dans une des écoles de la ville, passage nécessaire pour éveiller le plus de bambins possible (on est entre maternelles et primaires) à la musique et aux sons, à la diversité des sons.

Marine Cucurou revient, avec un autre pianiste, Guillaume Ratieuville. Elle joue la sonate "Arpeggione" de Schubert, transcrite évidemment à la flûte. Le son est très poétique dans le "legato", un peu moins dans le "staccato", malgré une belle technique. Cucurou manque encore de "lâcher-prise" et Ratieuville ne l'entraîne pas comme Lainé entraînait Beauchard.

Encore de la flûte et des chants anglais

En revanche la "Sonate" de Poulenc (vraiment écrite pour flûte!) leur convient mieux: énergique (certains traits un peu brutaux), parfois joliment poétique, menée à vive allure, et... oui, l'esprit de Poulenc est bien là.

Pour finir, un duo plus âgé: Marjolaine Fagot est soprano, elle nous offre un choix de pièces de Britten, qui vont de l'harmonisation de chants traditionnels ("The keys of Canterbury" où "je te donne les clefs de mon coeur") à la subtilité de jeunes portraits masculins ("The Herd Boy", "Sailor Boy") Fagot a des aigus faciles, une jolie projection, un sens du mot, de la prononciation. Elle doit travailler un petit vibrato dans des graves qui pourraient s'épanouir davantage. Son accompagnateur, le guitariste Damien Treseux, est remarquable.

Et l'on finit ainsi cette grande heure variée dont on retiendra au moins le piano de mademoiselle Lainé: en revenant à Reims la prochaine fois, on verra si on s'est trompé sur elle!

Récital des "Jeunes talents du Conservatoire à Rayonnement Régional de Reims" dans des oeuvres de Brahms, Beethoven, Taïra, Pujol, Regondi, Moreno Torroba, Chostakovitch, Schubert, Poulenc et Britten. Espace Thierry Meng à Bétheny (Marne) le 26 juin.

Pour les derniers concerts des "Flâneries musicales de Reims", notons ce 11 juillet Ophélie Gaillard (violoncelle) et les musiciens du Centre baroque de Versailles, et demain le 12, en clôture, à la basilique Saint-Rémi, "La Création" de Haydn dirigée par Enrique Mazzola. Le concert-pique-nique du 21 juillet au parc de Champagne réunira les percussions brésiliennes et... Tchaïkovsky ( entre autres le 1er concerto pour piano par Jean-Philippe Collard)