Stop ou encore ? Les deux partenaires-pivots du Front de gauche (FG) vivent un moment difficile et douloureux de leur relation. Au centre du différend, les listes municipales et l'utilisation du logo du FG qui en découle. Jean-Luc Mélenchon (PG) et Pierre Laurent (PCF) se rencontrent, le 17 janvier, pour en parler.
Depuis des mois, les rapports entre le co-président du Parti de gauche et le secrétaire national du Parti communiste ne sont pas au beau fixe. C'est peu dire ! Ce blog a abordé cette question à plusieurs reprises, ici, là, là aussi et avant encore.
A chaque fois qu'il est question des bisbilles au sein du Front de gauche, les partisans du PG nie la réalité des faits ou bien reprochent aux observateurs de ne s'intéresser qu'à l'écume des choses. L'écume étant, en l'occurrence, les attaques répétées et brutes de décoffrage que Mélenchon lance contre son partenaire communiste.
Mais derrière les saillies que l'ancien candidat du FG à la présidentielle se plaît à scénariser lui-même, il y a une vraie divergence de stratégie politique. Celle-ci est vieille comme... la gauche.
Les mêmes problématiques existent depuis... 1917
Au sein du "melting pot" qui va de la gauche du Parti socialiste jusqu'à l'extrême gauche, en passant par la "gauche de la gauche" et le PCF, deux théories s'affrontent. L'une considère que la social-démocratie peut être modifiée de l'intérieur, l'autre, qu'un front anti-social-démocrate doit être construit à l'extérieur.
Pour faire simple, ce clivage existe depuis la Révolution des bolchéviques russes de 1917 qui s'est prolongée, en France, par la scission de la SFIO au congrès de Tours de 1920 et la naissance du trotskisme au début des années 1930.
Tout au long du XXe siècle ont alterné des stratégies de rupture et d'alliances (Front populaire en 1936, Programme commun en 1972) entre le PS et le PCF pendant que les adeptes de la IVe Internationale, les trotskistes, pratiquaient l'entrisme dans ces deux partis et construisaient leurs propres organisations (LO, LCR, PCI).
Près de 100 ans après 1917, les mêmes problématiques demeurent à la gauche du PS. Et les mêmes questions, les mêmes désaccords et les mêmes ruptures surgissent à l'approche des élections. Ils se focalisent donc aujourd'hui au sein du Front de gauche sur le PG et le PCF avec un apport nouveau, le ralliement d'un trotskiste historique du Front de gauche aux... socialistes, à Paris.
La moitié des recettes du PCF viennent des élus
La stratégie municipale de Mélenchon était de présenter partout des listes autonomes du Front de gauche s'opposant à la droite mais surtout, semble-t-il, aux "solfériniens" du PS, comme il baptise les dirigeants socialistes pour tenter de les distinguer de l'électorat de gauche. Celle de Laurent était de faire de la "géométrie variable", adaptable au cas par cas, car le PCF est déjà fréquemment associé à la gestion des villes dirigées par le PS.
En clair, l'un (Mélenchon) n'avait rien à perdre à choisir une stratégie d'opposition frontale car il a très peu d'élus locaux alors que l'autre (Laurent) n'avait rien à y gagner, compte tenu des contributions que lui procurent ses quelque 9.000 élus (à plus de 95% municipaux) : elles représentent près de la moitié de ses recettes (46,4%), selon l'avis de la commission nationale des financements politiques publié en annexe du Journal officiel (page 6), le 27 décembre 2012.
A cette considération matérielle non négligeable s'ajoute l'impératif politique de rester visible dans les exécutifs locaux, en évitant de courir le risque d'en être évacué par une stratégie globale d'autonomie. La raison est simple : l'implantation nationale actuelle du FG qui est inférieure à 10%. Autre impératif qui n'est pas secondaire, ces élus locaux participent à l'élection des sénateurs. Moins des conseillers municipaux, moins de sénateurs alors même qu'un renouvellement au Sénat aura lieu en septembre.
Cette différence d'approche s'est matérialisée symboliquement à Paris où les communistes sont alliés aux socialistes dès le premier tour. Au grand dam de Mélenchon qui espérait une décision inverse dans la capitale pour établir un bras de levier dans le reste de la France. Résultat, le PCF a lâché le Front de gauche dans la moitié des 428 villes de plus de 20.000 habitants. Une statistique confirmée, en creux, sur le blog d'Eric Coquerel, secrétaire national du PG, qui fait un détour saisissant, pour ne pas dire renversant, par l'assassinat de Rosa Luxembourg en 1919 pour aboutir à la stratégie municipale du FG aujourd'hui.
Un ancien dirigeant trotskiste rejoint Hidalgo
Mélenchon et Laurent vont avoir une "discussion franche et directe", selon l'expression diplomatique consacrée. Il y sera aussi question de l'utilisation de la marque "Front de gauche" puisque, évidemment, elle est revendiquée par chacune des composantes du cartel. Le problème est particulièrement sensible à Paris où, en dehors du PCF, un représentant d'une autre composante, Christian Picquet, a rallié Hidalgo.
Longtemps dirigeant de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), Picquet avait abandonné le NPA (mutation de la LCR en Nouveau parti anticapitaliste) de Besancenot pour apporter son soutien à Mélenchon dans la campagne présidentielle de 2012. Il est le co-fondateur de la Gauche unitaire, une des petites branches du FG. Sur son blog, il indiquait, le 28 décembre, qu'il refusait "les sentences définitives prononcées à l’encontre de toute forme d’entente avec des sections du Parti socialiste".
A la veille du sommet PCF-PG, le passage a l'acte de Picquet a été vigoureusement dénoncé par Mélenchon. Ce dernier en a profité au passage pour égratigner les dirigeants communistes accusés d'avoir été dans le secret de la manoeuvre du "renégat" - elle était somme toute prévisible à travers son analyse - et de n'en avoir rien dit.
Le co-président du Parti de gauche met ainsi en cause, voire en doute, la loyauté des dirigeants communistes. Cela promet effectivement une "discussion franche et directe". Et une bonne entrée en matière pour la préparation des élections européennes.