C’est une tradition gaullienne : la politique étrangère, la diplomatie et la défense sont les domaines réservés du chef de l’Etat. Fondateur de la Ve République, le général de Gaulle a instauré ce principe jusqu’à en faire un dogme qui s’impose, en quelque sorte, à la Constitution.
Si le président de la République, « chef des armées » (article 15 de la Constitution), est bien le seul à pouvoir décider, in fine, de l’utilisation de l’arme nucléaire au terme d’un décret du 14 janvier 1964 (il s’agissait alors des forces aériennes), il n’en demeure pas moins que le premier ministre est « responsable de la défense nationale » au terme de l’article 21 de la Loi fondamentale.
De même, si « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation », selon l’article 20 de cette même Constitution, le locataire de l’Elysée « accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères », selon l’article 14.
On le voit, les domaines partagés sont en réalité, le plus souvent, des chasses gardées du président. Chacun des successeurs du général, comme lui-même du reste, a su en user pour marquer sa prééminence au sein de l’exécutif ou pour alléger la pression de la politique intérieure sur ses épaules, selon les occasions.
C’est exactement ce qui est en train de se passer avec François Hollande en ce moment. Alors que l’exécutif est soumis aux tirs tendus de l’opposition de droite et des églises sur le mariage homosexuel appelé « mariage pour tous » et sur le « coût du travail » via le prochain rapport Gallois, ainsi qu’aux conseils de poids lourds du PS sur la gestion gouvernementale, le chef de l’Etat s’est ouvert une brève séquence internationale. Comme pour souffler un peu.
Le président s’est rendu en coup de vent, dimanche 4 novembre au matin, à Beyrouth, pour rencontrer son homologue libanais, Michel Sleimane. "Il ne peut y avoir d'impunité pour les assassins de (Rafic) Hariri et de (Wissam) al-Hassan", a déclaré François Hollande, en parlant de l’ancien premier ministre et du chef des services de renseignements dont la disparition est souvent mis sur le compte du régime syrien.
Dans l’après-midi, il s’est rendu en Arabie Saoudite pour s’entretenir avec le roi Abdallah. Là encore, il devait, entre autres choses, évoquer la crise syrienne. Et l'Iran. "La France joue un rôle actif dans la région du Moyen-Orient. Nous sommes le pays le plus actif sur les dossiers de la Syrie, du Liban et du processus de paix" au Proche-Orient, a déclaré le chef de l’Etat aux journalistes qui l’accompagnent.
Se forger une stature internationale
Il devait partir ensuite au Laos pour le 9e sommet entre l’Union européenne et l’Asie (Asem), qui réunira, lundi, à Vientiane, les représentants d'une cinquantaine de pays européens et asiatiques. Pour quelqu’un qui, dit-on, n’aime pas trop les voyages en avion, ce périple de 48 heures est en quelque sorte un traitement de choc.
A l’évidence, cette respiration internationale a pour but de montrer que les activités du président ne s’arrêtent pas aux frontières de la politique domestique et qu’en dehors du projet de loi sur le « mariage pour tous » ou les rapports Gallois et Jospin, François Hollande se doit aussi de s’occuper des affaires du monde.
Cette posture, prise par tous les présidents de la Ve, a souvent l’avantage de ne pas soulever de contestation dans la classe politique et d’être appréciée par l’opinion publique : le président représente la France et on ne polémique pas avec la nation ! Qui, en effet, pourra venir reprocher au chef de l’Etat de défendre l’indépendance, l’unité et la sécurité du Liban face à des tentatives de déstabilisation extérieure ? Qui pourra lui faire grief de chercher des soutiens à Ryad pour enclencher un processus de stabilisation en Syrie ?
Ces voyages éclairs seront-ils le prélude à des annonces prochaines en matière diplomatique ? Ils passeraient ainsi du statut de soupape de politique intérieure à celui de faiseurs de détente en politique internationale. Resterait à savoir si, dans une telle hypothèse, ce cheminement aurait une influence sur la popularité du président ? A défaut, cette issue lui permettrait de commencer à se forger une stature internationale qu’il n’a pas encore acquise.