Fin de rodage pour le gouvernement Ayrault

Ecartés des allées du pouvoir pendant dix ans, les socialistes ont repris en main l’exécutif depuis six mois. Cet éloignement prolongé des sphères de décisions a manifestement laissé des traces : coordination ministérielle défaillante, domaines de compétences empiétés, communication gouvernementale approximative, « éléments de langage » inexistants…

C’est peu de dire qu’en six mois, l’équipe de Jean-Marc Ayrault s’est fait une spécialité du cafouillage, ouvrant ainsi un boulevard à la nouvelle opposition. De fait, la droite instruit quotidiennement un procès en amateurisme qu’elle a substitué, pour son plus grand bonheur, à celui en illégitimité qu’elle avait ouvert dès après le 6 mai.

Mis à part Laurent Fabius, Pierre Moscovici et Michel Sapin, tous les autres membres du gouvernement, et à commencer par leur chef, n’ont jamais détenu le moindre portefeuille ministériel. Ils sont peut-être les amateurs que dénonce l’UMP mais ce sont surtout des néophytes qui doivent faire leurs armes et leurs preuves.

Et à y regarder de plus près, les fameux « couacs », qui du reste n’en sont pas tous, se concentrent sur quelques membres du gouvernement – les plus politiques ou les plus exposés. Pour le reste, l’écrasante majorité de l’équipe Ayrault ne fait pas parler d’elle, ce qui peut conduire à penser, sauf démonstration du contraire, qu’elle « fait le job » en silence.

A ce premier paramètre de la découverte du métier s’ajoute la méthode qui est la marque de fabrique du président de la République. Pragmatique, François Hollande est un partisan du dialogue, de la négociation, de la patience et du compromis. Une image inversée de son prédécesseur. A cette aune, l’irritation de la droite est aisément compréhensible.

Là où Nicolas Sarkozy, remplaçant son premier ministre, fonçait en jouant sur l’émotion pour faire du spectaculaire, François Hollande préfère rester en retrait, prendre son temps et laisser Jean-Marc Ayrault monter en première ligne. Au final, c’est lui qui fait la lecture la plus juste de la Constitution.

La vitesse de croisière, c’est maintenant !

Mais cet aspect institutionnel de la fonction préoccupe-t-elle les Français ? Pas sûr ! S’ils ont signifié à l’ancien locataire de l’Elysée que l’agitation perpétuelle avait ses limites, ils estiment probablement – les sondages de popularité le montrent - qu’un effacement trop prononcé n’est certainement pas un gage de réussite. Surtout alors que la crise s’intensifie et qu’on leur demande des efforts redoublés sans vraiment annoncer la couleur.

Ce retrait du chef de l’Etat donne une impression d’absence de cap politique fixé à l’action du gouvernement. Ce sentiment est accentué par le choix initial de François Hollande : multiplier les commissions de réflexion. Il se trouve que près de six mois après sa victoire, la phase de la réflexion s’achève pour le président et celle de la décision va s’ouvrir pour son premier ministre. On arrive à la fin de la période de rodage.

Dans les 15 prochains jours, au moins deux documents qui engagent l’avenir de l’économie et des institutions -  les rapports Gallois et Jospin – vont être remis à Jean-Marc Ayrault. Il ne sera plus temps de jouer la montre ! L’exécutif devra prendre ses responsabilités et trancher dans le vif. Il ne sera plus question d’essayer de contenter tout le monde dans la majorité. La vitesse de croisière, c’est maintenant !

A défaut d’impulser une nouvelle cadence politique de façon à donner une autre image de la gouvernance, François Hollande et Jean-Marc Ayrault risquent de compromettre sérieusement l’ensemble du quinquennat. Après les procès en illégitimité et en amateurisme conduits par la droite, ils risqueraient de tomber sous le coup d’un troisième en incompétence. A n’en pas douter, une telle combinaison auraient des retombées électorales catastrophiques pour le PS.

Selon une tradition instaurée par le général de Gaulle, chaque premier ministre est élevé au grade de Grand Croix dans l'Ordre national du mérite pour marquer ses six premiers mois à Matignon. Pour Jean-Marc Ayrault, cette date tombera le jour du conseil des ministres du 14 novembre. Un moment symbolique pour entrer dans cette nouvelle phase gouvernementale, celle de la fin du cafouillage, celle de la fin de la déconstruction du sarkozysme et celle du début de la construction politique hollandaise.

 

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu