Site naturel remarquable, réserve minéralogique, haut lieu touristique et escale appréciée des marins avant le grand large, l’île de Groix (Morbihan) a désormais sa bière, la « GX », fabriquée avec de l’orge cultivée localement en agriculture de conservation.
Avec AFP et Stéphane Izad
À l’instar d’autres îles, telle la Morgat à Belle-Ile ou les Naufrageurs à Oléron, Groix a désormais sa brasserie artisanale, qui emploie cinq personnes et a commencé mi-juin à fabriquer ses premiers brassins dans l’île de huit kilomètres sur trois.
« Elle a tout de Groix en elle », dit le slogan de la « GX », nom hérité de l’immatriculation des thoniers de l’île. Son concepteur, Jean-Pierre Rennaud, un microbiologiste qui a fait toute sa carrière chez Danone, s’est donné l’ambition de « tout faire localement », hormis le houblon, produit malgré tout à dans le même département Morbihan.
« On s’occupe beaucoup de la mer, mais on oublie la terre, alors que le blé de Groix servait à fabriquer le pain de Louis XIV », raconte M. Rennaud, 60 ans, tombé amoureux il y a 15 ans de ce « jardin au-dessus de l’océan ».
« Après avoir travaillé pendant 10 ans à des projets de régénération de la terre dans les pays du Sud, j’ai voulu rendre à l’île ce qu’elle m’avait apporté et je me suis rappelé que mon premier métier était brasseur », poursuit l’ex-directeur de la brasserie Kronenbourg de Rennes.
L’orge brassicole est cultivée sur cinq hectares de terres, à quelques centaines de mètres de la brasserie. À terme 20 ha, louées à Jean-Philippe Turlin, un agriculteur partisan de l’agriculture de conservation, sorte de permaculture à grande échelle.
« C’est compliqué de cultiver sur une île, car les coûts de transport sont importants. Là j’ai un débouché local assuré », se félicite l’exploitant, passé en sept ans de « 25 à 150 vers de terre au kilo », indicateur de fertilité des sols, et qui n’utilise d’herbicide qu’« à dose homéopathique ».
Ses principes : pas de labour, couvert végétal, semis direct et rotation des cultures pour préserver la biodiversité, régénérer les sols en recréant de la biomasse et éviter l’érosion.
« En agriculture régénératrice, les sols sont un sacré puits de carbone. Ils compensent ici le double du carbone émis par la brasserie », souligne Jean-Pierre Rennaud, également président du conseil scientifique de Planet A, un collectif qui planche sur l’agriculture durable.
Une fois récoltées, les céréales sont maltées et brassées sur place dans des cuves de quatre mètres qui ont été amenées par bateau, couchées dans des camions. Une logistique qui vire parfois au casse-tête, reconnaît M. Rennaud.
Autre particularité de la brasserie : la récupération des drêches, coproduits de l’orge, pour fabriquer des gâteaux avec la biscuiterie de l’île. Un projet de méthaniseur est également à l’étude.
Premiers à commercialiser la boisson, les cafetiers de Groix sont parfois très enthousiastes, telle Dorota, patronne du Triskell, qui entend « privilégier les produits locaux ». D’autres comme Morganne, patronne du mythique Ti Beudeff, attend « de voir comment est la bière et à quel prix » avant de la proposer à la pression.
M. Rennaud vise 30 % des ventes de bière sur Groix et mise sur les 100.000 visiteurs annuels de l’île pour développer la commercialisation de la GX. Le maire Dominique Yvon y voit lui « un atout pour l’emploi et l’image de l’île ».
Troisième région productrice de bière avec une centaine de brasseries, la Bretagne a inauguré le renouveau des brasseries artisanales en France avec l’arrivée de Coreff en 1985.
« Beaucoup de brasseries bretonnes s’engagent dans la localisation de leurs matières premières et s’inscrivent dans une dynamique de reconstruction de la filière agricole dédiée à la brasserie », souligne Maxime Costilhes, de l’association Brasseurs de France. Un mouvement encouragé selon lui par « l’attachement des Bretons à la Bretagne » qui favorise la consommation locale.
Pour M. Rennaud, la minéralité « exceptionnelle » de Groix, avec son glaucophane bleu et ses grenats rouges, et son hygrométrie « presque deux fois inférieure à la Bretagne », font de la GX un produit proprement « groisillon ».
D’autant qu’au début du 20ème siècle, une maison sur trois à Groix était…un café. « Les thoniers s’y partageaient l’argent de la marée », rappelle le maire. Aujourd’hui, l’île de 2.360 habitants compte 17 cafés, « une bonne proportion », juge-t-il.