Baron orange, saison 5 : cellule indigestion de crise

 

NOIR. Fondu sur le panneau :

« Rentrée J-1 »

 

SCENE 1. INT / JOUR. Cabinet du ministre.

LE MINISTRE, DANIEL DIRCAB et VALERIE DIRCOM sont attablés autour du bureau, à la main ils ont tous les trois une liasse de feuilles.

LE MINISTRE (parcourant le document). Bien, petit rappel concernant la procédure en cas de gamin covid+. Les circo font remonter et on attend l’avis de l’ARS, suite à quoi le rectorat ferme la classe et met les élèves et le prof en quatorzaine, avec obligation de test et retour à J+14 en montrant patte blanche. C’est bien clair ?

DANIEL DIRCAB. Les directeurs d’école peuvent fermer une classe par mesure de précaution, c’est ça ?

LE MINISTRE. Officiellement oui, mais le mieux c’est qu’ils se tiennent tranquille et laissent faire « les autorités sanitaires et administratives ».

VALERIE DIRCOM (le même document en main). Très bien, de toute façon le Conseil Scientifique est assez formel, il y aura peu de fermetures, quelques cas de contamination d’enfants et de profs, mais on va gérer.

DANIEL DIRCAB (pose son document). Espérons que la rentrée se passera mieux au niveau national qu’à la Réunion, où on a quand même fermé 30 écoles sur 77 à Saint-Denis la semaine de la rentrée…

LE MINISTRE (avec en main un document qu’il parcourt). Allons, allons, soyez positif, Daniel !... Je veux dire, positif, pas au covid, hein ! Ah ah ah !

DANIEL DIRCAB et VALERIE DIRCOM. Ah ah ah !

 

NOIR. Fondu sur le panneau :

« Rentrée J+3 »

 

SCENE 2. INT / JOUR. Cabinet du ministre.

Les mêmes, un peu moins détendus.

DANIEL DIRCAB (embêté). Nous avons pas mal de cas de gamins covid+, monsieur le ministre.

LE MINISTRE. C’est combien, « pas mal » ?

DANIEL DIRCAB. Plusieurs centaines.

LE MINISTRE (grimace). On va communiquer, il faut minimiser, rassurer tout le monde, juste avant le weekend c’est très bien. Des éléments, Valérie ?

VALERIE DIRCOM (fouille dans ses papiers). Heu, oui… On n'a qu'à communiquer uniquement sur les classes fermées sur le premier jour d'école, ne pas prendre en compte les fermetures issues des jours suivants, mêmes si les cas de covid+ sont avérés, ça diminue déjà pas mal. Autour de 120, 130 classes. Et on laisse penser que ce sont les chiffres de la première semaine.

LE MINISTRE. Très bien. Sur combien d’écoles ?

DANIEL DIRCAB. 50 000.

VALERIE DIRCOM. Vous pouvez dire 62 000, en comptant les collèges et les lycées… où il n’y a pas de fermeture.

LE MINISTRE. Très bien ça. Appelez-moi une radio grand public, je vais causer dans le poste et porter la bonne parole.

 

NOIR. Fondu sur le panneau :

« Rentrée J+6 »

 

SCENE 3. INT / JOUR. Cabinet du ministre.

Les mêmes, un peu tendus.

DANIEL DIRCAB (embêté). On nous signale vraiment beaucoup de gamins covid+, monsieur le ministre…

LE MINISTRE (agacé). Oui, je sais, Daniel, je sais…

DANIEL DIRCAB. On ferme les classes à tour de bras… Les ARS sont submergées, les rectorats aussi. Et puis on a un souci avec le protocole : vu le bazar dans le pays, les parents ont du mal à faire tester leur gamin, les résultats mettent parfois 5 jours avant de tomber et…

LE MINISTRE. … Comme pour tout le monde, Daniel, tout le pays veut se faire tester, qu’est-ce qu’on y peut ?

DANIEL DIRCAB. Le problème c’est qu’à ce rythme, on risque de ne pas pouvoir rouvrir les classes à J+14 comme prévu… Ca va faire des classes fermées en plus dans les chiffres…

LE MINISTRE. Il faut gagner du temps, alléger la chaine de décisions, c’est trop long.

DANIEL DIRCAB. Sur le terrain, on peut peut-être se passer de l’avis des ARS, de toute façon, ils disent de fermer dès qu’un cas est positif.

LE MINISTRE. Très bien, ça.

DANIEL DIRCAB. … et les rectorats peuvent communiquer auprès des circo pour dire qu’ils suivent l’ARS, comme ça on peut fermer direct en cas de covid+.

LE MINISTRE. Faisons ça.

VALERIE DIRCOM (toussote). Hum… On a un souci avec les masques, monsieur le ministre.

LE MINISTRE. Quoi, les masques ? Quels masques ?

VALERIE DIRCOM. Les masques en tissu, les DIM qu’on a distribués aux profs.

LE MINISTRE (sarcastique). Allons bon, quoi encore ? Ils tiennent chaud, c’est ça ?

VALERIE DIRCOM (gênée). C’est que… ils ne protègent pas.

LE MINISTRE. Comment ça, ils ne protègent pas ?

VALERIE DIRCOM. C’est-à-dire qu’ils ne protègent les profs que si en face l’élève a un masque aussi, d’après le protocole.

LE MINISTRE. Et alors ?

DANIEL DIRCAB. Les élèves de primaire n’en portent pas, monsieur le ministre.

VALERIE DIRCOM. Ca a fuité sur les réseaux, monsieur le ministre, des médecins scolaires, et même des ARS, se méfient de ces masques. Et bien entendu les journalistes se sont engouffrés dans la brèche [Elle sort un journal qu’elle étale devant le ministre].

DANIEL DIRCAB. J’ai également reçu du courrier des syndicats, sur ce sujet.

LE MINISTRE (furieux). Oh pétard ! Bon, d’une, vous démentez, ces masques sont aussi efficaces que les chirurgicaux, un point c'est tout. De deux, vous appelez les ARS et vous leur dites de fermer leur gueule, ils n’ont qu’à dire qu’ils parlaient des masques en tissu « maison », pas des nôtres. Y en a marre que tout le monde donne son avis, merde !!

VALERIE DIRCOM. Vous voulez que j’appelle les journalistes qui ont bavé ?

LE MINISTRE (sourire noir). Non, laissez-moi ce plaisir, je vais les appeler en personne.

 

NOIR. Fondu sur le panneau :

« Rentrée J+8 »

 

SCENE 4. INT / JOUR. Cabinet du ministre.

Les mêmes, franchement tendus.

DANIEL DIRCAB (embêté). Monsieur le ministre, on nous signale vraiment beaucoup, beaucoup de gamins covid+… Si ça continue il va falloir fermer vraiment beaucoup, beaucoup de classes.

LE MINISTRE. J’y ai pensé sous ma douche, figurez-vous. J’ai un plan.

DANIEL DIRCAB et VALERIE DIRCOM. …

LE MINISTRE. On ne ferme plus de classe.

DANIEL DIRCAB et VALERIE DIRCOM. ??

LE MINISTRE. Dans le secondaire il suffit de dire que tout le monde a des masques, donc plus de personne contact en cas de covid+, donc plus d’éviction.

VALERIE DIRCOM. Ca peut passer.

LE MINISTRE. Dans le primaire, vous me faites passer le message : si un gamin est covid+, il rentre chez lui et ne revient que quand il est négatif.

DANIEL DIRCAB. Et les autres élèves ?

LE MINISTRE. Les autres élèves, rien. Ils continuent à travailler, nom de nom ! Ca va bien deux minutes l’école à la maison, là ! Merde, l’école c’est à l’école, de toute façon les enfants ne sont pas contaminants, alors on va arrêter ce cirque ! Je ne veux plus que les classes ferment, si ça continue le pays va se retrouver en confinement de facto à cause de nous !

DANIEL DIRCOM. On change le protocole, alors ?

LE MINISTRE. Ca va pas bien, la tête, Daniel ? Non, on ne change pas le protocole ! Autant crier sur les toits qu’on s’est trompés !

DANIEL DIRCAB. Monsieur le ministre, est-ce que ce ne serait pas plus simple de jouer franc jeu, à la scandinave, et dire qu’on a sous-estimé le nombre de cas chez les enfants, qu’on doit s’adapter à la réalité du terrain, qu’on ne peut plus fermer les classes partout sinon on immobilise le pays ?

VALERIE DIRCOM. Si on insiste sur le fait que les enfants ne sont pas contaminants, ça peut passer au niveau des parents. Vous savez, on est nombreux, je veux dire ils sont nombreux à redouter le retour du combo école à la maison / télétravail et…

LE MINISTRE. Idée à la con, ça ! Les parents, c’est des parents, par définition c’est inquiet pour leur mouflet, si vous leur dites que le virus circule à l’école comme sur un Grand 8, vous allez mettre le feu au pays !

VALERIE DIRCOM. …

LE MINISTRE. Et puis, vous avez vu quand, qu’on reconnait ses erreurs, en politique ? Donc, on n’a rien sous-estimé du tout, on s’adapte, certes, mais discrètement.

VALERIE DIRCOM. Très bien, monsieur le ministre.

LE MINISTRE. De toute façon, le PM va bientôt annoncer qu'on réduit la quatorzaine à 7 jours, alors le protocole, il changera bien assez vite, et pas par notre faute.

DANIEL DIRCAB. Et… pour la suite ?

LE MINISTRE. Quoi, la suite ? Quelle suite ?

DANIEL DIRCAB. Je veux dire, quelles perspectives, quelles hypothèses ? Sur quels scénarios on travaille ?

LE MINISTRE (s’énerve). Vous vous foutez de ma gueule, Daniel ? Vous ne trouvez pas qu’on a suffisamment à faire au jour le jour ? On va pas en plus se mettre à chier des pendules tous les quatre matins !

 

Le ministre se lève et claque la porte.

Fondu au noir.

 

Merci à Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon, créateurs de la série TV "Baron Noir", pour la source d'inspiration. 

A (re)voir :

Baron orange (scénario de politique fiction éducative).

Baron orange, saison 2 : opération Chiron.

Baron orange saison 3 : missions Théodule.

Baron orange saison 4 : revalo à vau-l'eau.

Suivez l'instit'humeurs sur Facebook et sur Twitter @LucienMarboeuf.