Malgré la recrudescence des cas de covid-19 dans le pays, il fallait de toute évidence une vraie rentrée de septembre – la plus normale possible – pour tout le monde : élèves, parents, enseignants, nous avons tous besoin de travailler – le plus normalement possible – malgré la présence du virus, qui est là, bien installé autour de nous, donc potentiellement dans les écoles comme dans le reste de la société. Le président du Conseil Scientifique, Jean-François Delfraissy, n’a pas fait de mystère, à la veille de la reprise : « Il y aura des contaminations à l’école, des enfants vont se contaminer, probablement quelques enseignants aussi mais on va le gérer ».
Pour ma part, j’espérais de tout cœur avoir tous mes nouveaux élèves et pouvoir lancer l’année le plus rapidement possible, trop conscient de l’importance de construire ensemble et sur des bases solides cet an II de l’école sous coronavirus.
Mardi, 8 h 30 : c’est reparti comme en quarantaine quarante
En ce jour de rentrée, je consulte à nouveau le dernier protocole sanitaire en date : 6 pages, contre 57 pour celui de mai, qui disent en gros : le plus important est que tous reprennent, donc on va se contenter de lavages de mains pour les élèves et du port continu du masque pour les enseignants.
Quand je descends retrouver les collègues, Marie, la directrice, distribue justement à chacun un sachet de 5 masques DIM en tissu, fournis par l’Education nationale. Je ne suis pas emballé : d’une, ils m’ont l’air bien léger, question protection (ceux offerts par ma commune sont autrement mieux, doublés et tout), de deux ils ressemblent à des slips, mais bon puisque c’est fourni par la boite…
Quand j’ai dit à mon voisin, hier soir, qu’on allait devoir porter le masque toute la journée, il a haussé les sourcils et m’a répondu : « Bof, comme tout le monde quoi ». Sauf que non, pas comme tout le monde, il ne s’agit pas que d’inconfort, le visage et la voix sont au cœur de la communication de l’enseignant. J’ai expérimenté le masque en classe, en mai et juin : il faut parler plus fort, articuler davantage, poser sa voix, c’est assez exigeant 6 heures par jour pour une population qui consulte pour des problèmes de voix deux fois plus que la moyenne des salariés ; et puis il n’y a pas que la communication verbale, on exprime beaucoup de choses avec le bas du visage habituellement, nous voici réduits à une paire d’yeux et des sourcils, ça limite les nuances, surtout que ces élèves, contrairement à ceux de mai, ne nous connaissent pas et ne savent pas remplir les vides de nos masques.
Quant à mes collègues de CP, je les plains, l’apprentissage des sons avec un masque, c’est un peu comme découper avec des moufles, et mes collègues de maternelle, je préfère même pas y penser, les pauvres. J’ai en revanche une pensée pour Adélaïde, mon élève sourde qui lisait sur mes lèvres, il y a deux ans : comment va-t-elle faire cette année en 4ème ? Nous on a reçu un masque transparent, c’est rigolo mais c’est salaud, comme dit la chanson : en 5 secondes il y a de la buée et ça colle à la bouche.
Bon, je suis plutôt content de découvrir mes nouveaux élèves, au moins je les vois en entier, eux, et je suis heureux de voir que tous ceux présents sur ma liste de classe sont là. Une seule n’est pas revenue depuis mars, tous les autres étaient présents au moins les deux dernières semaines de juin. Je les remonte quand même comme des coucous en leur disant qu’après l’année qu’on a vécue, on a intérêt à se mettre au boulot fissa.
Mardi, 13 h 40 : un cas suspect dans ma classe
En début d'aprem, la directrice vient chercher Moussa dans ma classe et me prend à part pour m’expliquer. Son père est positif au covid, Moussa doit être testé et mis en quatorzaine, je ne le reverrai que dans 14 jours. Allons bon. Et on fait quoi, nous ? On attend, le résultat de son test à lui, Moussa, dans les 48 heures si tout va bien. En espérant qu’il soit négatif.
Bien sûr, il ne faut rien dire, ni aux enfants ni aux parents.
Et s’il est positif ?...
Avec mes 28 élèves restants, je remets une couche sur les consignes de sécurité, le lavage des mains, et englue régulièrement les miennes de gel hydroalcoolique.
A midi je lis vite fait les dernières déclarations du ministre. Sans surprise, il a l’air satisfait, très confiant, et sans surprise, « tout est prêt », exactement comme en mars quand rien n’était prêt. Je repense à cette lettre ouverte de plusieurs associations de pédiatres et à leurs inquiétudes, je repense aussi à cette tribune signée par de nombreux chercheurs, infectiologues, chefs de services dans les hôpitaux, universitaires : « Compte tenu du protocole en vigueur en France, rien ne semble empêcher les écoles de devenir des clusters ».
Je décide quand même de rester positif en espérant que Moussa ne le soit pas.
Mercredi : les élèves au niveau
Je me suis penché sur les évaluations officiellement proposées par le ministère pour juger de l’impact du confinement sur le niveau des élèves. Bof. Donner l’aire d’un triangle, en début de CM2, après deux mois de confinement, sérieusement ? Mes collègues et moi décidons de laisser passer la première semaine, histoire de remettre tout le monde dans le bain, avant de passer les élèves au tamis des évals.
J’ai bien fait d’attendre : en fait, les outils que j’utilise habituellement, chaque année, sont rodés et suffisamment pertinents pour avoir une idée très précise du niveau de chacun, et je peux facilement comparer ce cru avec les générations précédentes (ce que ne permettent pas les évals officielles).
La surprise est plutôt bonne, je ne trouve pas les élèves trop largués. Les collègues ont décidément bien bossé pendant et après le confinement. Il y a des écarts, c’est vrai, un peu plus grands que d’habitude, mais je m’attendais à pire. Bon, il va quand même falloir que je m’occupe sérieusement de Lola, de Sammy, de Mario, de Dhina et de deux ou trois autres…
Jeudi : Moussa positif
Jeudi matin, les résultats du test PCR de Moussa nous parviennent : il est positif (asymptomatique, comme beaucoup d’enfants). Marie m’informe de la marche à suivre : on attend l’avis de l’ARS, puis la décision du rectorat. Dans le quartier une école a déjà fermé une classe. J’espère qu’ils ont du personnel en nombre pour gérer la situation, à l’ARS : m’est avis qu’il va y avoir un paquet de situations comme celle-ci.
Quand je reviens devant mes élèves, j’ai un peu la tête ailleurs. Je ne peux pas m’empêcher de regarder le voisin de Moussa, qui a passé 3 heures à ses côtés, mardi. Je commence à envisager sérieusement la possibilité que ma classe ferme, des idées de quarantaine, de classe à distance me traversent l’esprit et me foutent le bourdon.
Merde, on vient à peine de commencer.
Le soir, je prends les feuilles de renseignements données par les parents et prépare une liste de diffusion avec les mails et les numéros de tel, on ne sait jamais.
Quand je sors de l’école en vélo, je croise Emma, qui me voit pour la première fois sans masque et me dit : « Ah ça fait bizarre de vous voir en vrai ! ».
Vendredi : 130 classes fermées en une semaine... ou en un jour ?
Le ministre vient d’annoncer les chiffres des écoles et classes fermées. Depuis un ou deux jours, on peut trouver des recensements officieux, via les Stylos Rouges, des cas avérés, des classes fermées, etc. Il était donc temps que JMB communique, évidemment tout va bien, il n'y a que 120 à 130 classées fermées sur 60 000 et une vingtaine d’écoles dont la moitié à la Réunion qui a repris deux semaines avant tout le monde (une semaine après la rentrée il y avait là-bas 30 écoles fermées). « C’est un chiffre petit », se félicite le ministre, qui ajoute que cette semaine de rentrée a été « plutôt bonne ».
Vu ce qui se passe sous mes yeux, j’ai une autre lecture de la situation : les chiffres annoncés par le ministre vendredi tôt le matin sont forcément les chiffres arrêtés au jeudi soir. Or, il faut 48 heures, minimum, entre les tests PCR, l’avis de l’ARS et la décision du rectorat, pour fermer une classe. Autant dire que les chiffres présentés par JMB comme ceux de la première semaine d’école sont en réalité ceux du premier jour d’école : les 120 ou 130 classes fermées l’ont été suite à des cas positifs pour le seul jour de mardi. Ce n’est que vendredi qu’on aura les chiffres de mercredi, et samedi ceux de jeudi, mécaniquement, et on peut imaginer que pour les cas de jeudi et vendredi, autant de fermetures se joueront.
De mon côté, j’attends toujours la décision de fermeture pour ma classe, cela fait plus de 24 heures maintenant que l’ARS est en possession du test positif de Moussa. J’espère que la décision se fera rapidement : Moussa était positif mardi matin lorsqu’il était avec nous, et nous sommes vendredi, si d’autres élèves ont été contaminés ils jouent depuis trois jours avec leurs copains dans la cour, mangent avec eux à la cantine, ont peut-être croisé leurs grands-parents, etc. Quant à moi, j’ai beau mettre un masque, je suis avec eux toute la journée et eux n'en ont pas, et puis je fréquente les autres adultes de l’école, notamment dans la salle des maitres quand nous mangeons tous, sans masque, forcément.
Tiens, depuis que j'ai croisé le médecin scolaire, je ne mets plus le masque slip DIM, seulement les chirurgicaux bleus : le médecin scolaire m’y a fortement encouragé, il a l’air aussi sceptique que moi, pour les slips DIM.
« Personne contact »
Je suis sur le point de partir, ce vendredi, j’ai mon casque à la main, quand Marie et le médecin scolaire me donnent l’info : l’ARS a rendu son avis, je suis officiellement « personne contact », je dois rester confiné (youpi, ça m’avait manqué) jusqu’au 14ème jour suivant le dernier où j’ai été en contact avec Moussa, et faire un test PCR à J+7.
Il faut maintenant attendre la décision du rectorat qui va très officiellement entériner la fermeture la classe, j’espère que cela se fera le plus tôt possible, histoire que les familles trouvent comment faire, pour leurs gamins, que tout ça puisse se régler ce weekend.
Je demande au médecin scolaire ce que je dois faire avec mes proches : rien. Ils ne sont que « contact de contact », donc chez moi tout le monde va continuer à aller au travail et à l’école, sauf si bien sûr je suis positif mardi au test PCR, alors chacun de mes proches deviendra « personne contact » à son tour. Bien sûr, d’ici mardi je vis avec eux…
Sur le chemin du retour, sur mon vélo, je suis un peu amer : c’est vraiment con, à part ça la première semaine s’était très bien passée ! Les bases de la classe, de son organisation, de notre relation, aux élèves et moi, ont été bien posées, et voici que tout s’arrête ! Je vais prendre contact avec les parents, envoyer du travail, mais je ne sais pas trop quoi, on vient de commencer l’année…
Je trouverai.
Epilogue
Samedi, 14 h 00, coup de téléphone de Marie. Le rectorat a donné son feu vert, mes élèves et moi sommes officiellement « évincés » de l’école. Une lettre de l’ARS arrive dans nos boites mails, pendant que la CPAM prend contact avec tous.
Edit du 9 septembre : la suite de ce récit à est lire dans ce nouveau billet, où il est question de procédure, du fameux masque DIM, de test PCR et de continuité pédagogique.
Nota : je vous recommande cet article qui résume "Ce que l'on sait et ce que l'on ignore encore du Covid-19 chez les enfants", et qui redit notamment qu'ils sont, sans qu'on sache pourquoi, nettement moins contaminants que les adultes.
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