Comme si de rien n’était

@ Pascal GUYOT / AFP

Les écoles vont donc rouvrir demain lundi 26 avril, après quatre jours de distanciel et deux semaines de vacances anticipées. Si on peut, à la lecture de certains chiffres, espérer être au début d’un « plateau haut » après ces trois semaines, les indicateurs nationaux et locaux sont peu ou prou les mêmes que ceux qui avaient prévalu à la mise en place de ce "confinement" avec écoles fermées. Autrement dit ce qui nécessitait une fermeture il y a trois semaines n’empêche pas, aujourd’hui, une réouverture complète. Pour quelles raisons avait-on fermé, au juste ?

Fermeture politique

Quand le président Macron avait annoncé, le 31 mars, la fermeture des établissements scolaires pour trois semaines (quatre dans le secondaire), vacances incluses, on avait naïvement pensé qu’enfin l’exécutif avait entendu, qu’enfin la présidence, le gouvernement avaient pris conscience : entendu les alertes des épidémiologistes, qui disaient qu’il fallait serrer la vis pour de bon et fermer les écoles ; entendu les professeurs, les familles, qui voyaient les cas covid+ se multiplier, les classes fermer par centaines, les chiffres doublant ou triplant d’une semaine sur l’autre ; pris conscience, au-delà des contaminations en milieu scolaire, du rôle de l’école dans la circulation invisible du virus ; pris conscience qu’opérer un tour de vis dans la lutte contre l’épidémie passait nécessairement par une maitrise de ce qui se passe à l’école, quitte à la fermer pour un temps.

On s’est bien trompé.

De toute évidence, l’exécutif, président en tête, n’a pas écouté, n’a pas réalisé. La fermeture des écoles début avril ne doit rien à une quelconque prise de conscience, rien à une capacité d’écoute soudaine, pire : rien à la situation sanitaire. E. Macron en a lui-même fait l’aveu assumé, le 6 avril, au Parisien : « Je ne conditionne pas la réouverture des écoles à des indicateurs sanitaires. Pourquoi ? Parce que ces trois semaines d’absence physique de cours sont déjà un effort important ». Trois semaines, vraiment ? En réalité 3 ou 4 jours en primaire et 9 dans le secondaire. Et puis, de quel effort parle-t-on, au juste ?... Jeudi 15 avril, en visio avec une quinzaine de maires, E. Macron confirme les dates d’ouverture des écoles (26 avril) et des collèges et lycées (3 mai) et répète que « ça ne dépend pas de l’épidémie ».

La réouverture des écoles est donc un acte politique totalement déconnecté de la situation sanitaire, tout comme leur fermeture n’avait, on le comprend maintenant, rien à voir avec l’épidémie. L’école est une variable d’ajustement dans la communication sanitaire de l’exécutif.

Pourtant, E. Macron lui-même reconnait que « l’école est un lieu où le virus circule, mais n’est pas un lieu où le virus circule davantage ». Qu’il circule autant qu’ailleurs devrait être suffisant pour avoir à son endroit la plus grande des prudences, d’un point de vue sanitaire. Pour Antoine Flahault, épidémiologiste, l’école est « un des derniers réservoirs d’interaction humaine » quand les magasins, les bars, les salles de sport et la plupart des lieux qui accueillent le public sont fermés, « un des derniers leviers sur lequel on pouvait agir ». Le directeur de l’Institut de santé globale pense que « le gouvernement décide de rouvrir de manière précipitée, malgré nos mises en garde. Les indicateurs ne sont pas suffisamment verts » ; « la France est sur la bonne pente, rouvrir les écoles comporte un haut risque de stopper la tendance ». L’épidémiologiste Catherine Hill partage les mêmes craintes : « Cela va faire davantage circuler le virus. Or la situation sanitaire reste grave dans le pays avec un nombre d’arrivées en réanimation encore très élevé ». C’est précisément ce que redoute Djillali Annane, chef de service réanimation hôpital Raymond Poincaré : « Nous savons qu’avec le variant britannique, les enfants sont contagieux. Il y a un risque au redémarrage des activités scolaires de voir l’épidémie réaccélérer ». Pour Dominique Costagliola, directrice de recherche à l’INSERM, pour que la baisse se concrétise « il faudrait avoir pris des mesures qui permettent de limiter le risque dans les écoles : de la vaccination des personnels aux mesures d’aération, des choses qui n’ont toujours pas été faites jusque-là ».

Un protocole insuffisamment renforcé qui masque mal les manques

Le nouveau protocole sanitaire est tombé vendredi 23 avril, précisant les grandes lignes tracées par J. Castex et JM Blanquer la veille. Il y a des annonces positives, il faut le signaler, ça n’a pas souvent été le cas ces derniers mois, mais aussi pas mal d’impasses et de manques.

Les mesures positives

La plus importante, sans doute : la fermeture de classe dès le premier cas positif. On sait que JM Blanquer n’est pas chaud du tout pour cette mesure qui entraine beaucoup de fermetures de classes (il l’avait qualifiée il y a quelques jours d’« ascenseur pour l’échafaud »…), il a donc vraisemblablement perdu un arbitrage important. Cette mesure de bon sens garde toutefois des zones d’ombres : la classe ferme quand un élève est positif, mais l’enseignant n’est pas nécessairement cas contact, c’est « le contact-tracing qui devra évaluer si les personnels doivent être également considérés comme contacts à risque ». Par ailleurs il y a un flou sur la fermeture de la classe en cas de positivité de l’enseignant. La FAQ du ministère dit que « l’apparition d’un cas confirmé parmi les personnels n’implique pas automatiquement la fermeture de la classe », alors que le ministre Blanquer indiquait dans sa lettre aux enseignants le même jour qu’« à partir d’un cas confirmé, la classe de l’élève ou du professeur concerné sera fermée ».

L’autre point très important, pointé par les profs depuis plusieurs semaines, est le principe de non brassage des élèves : « lorsqu’un enseignant absent ne peut être immédiatement remplacé, les élèves ne peuvent en aucun cas être répartis dans les autres classes. L’accueil des élèves est alors suspendu dans l’attente de l’arrivée du professeur remplaçant ». Jusqu’ici, faute de remplaçant, les élèves des collègues absents (par exemple ceux qui étaient cas contact domestique, 17 jours d’isolement…) finissaient dans les classes des autres, on avait parfois 32 ou 33 élèves de trois classes mélangés. Le ministre Blanquer a annoncé le recrutement de 5 000 remplaçants (avant les vacances il assurait pourtant qu’il n’y avait pas de problème de ce côté…), ajoutant même vendredi sur France info « en mai et juin nous ouvrirons autant de postes que nécessaire ». On attend de voir qui sera recruté, combien et comment…

Enfin, alors que le sport en gymnase était inexplicablement redevenu possible en mars, il est de nouveau interdit, de même que la piscine.

Ces mesures positives font d’autant rager qu’elles sont demandées depuis des mois par la communauté éducative, profs, syndicats, parents ; en serait-on là si on avait mis en place tout ceci il y a des semaines ?

On attend de voir

Le ministère a annoncé un nouvel objectif de 600 000 tests par semaine, des tests salivaires mis en place depuis le mois de mars, mais qui peinent à se déployer (sur les 300 000 tests promis, on était arrivé une semaine à en faire 240 000, le ministre avait même menti à ce sujet, provoquant l’ire de Matignon). Les auto-tests ont été commandés par millions pour les profs (2 par semaine) et pour les plus de 15 ans, mais ils n’arriveront qu’à partir du 10 mai, soit une semaine après la reprise du présentiel dans le secondaire… Une semaine, vu la situation, ça peut être un vrai problème. Par ailleurs on n’a aucune indication sur les effectifs chargés de l’acheminement, du stockage, du ramassage des déchets potentiellement infectés et de la supervision : vendredi 23 avril, le syndicat national des médecins scolaires n’était au courant de rien.

Les impasses

Toujours pas de nouvelle des masques chirurgicaux mis à disposition des profs et des élèves, ni des masques FFP2 pour les enseignants de maternelle, pourtant au milieu d’élèves non masqués 6 heures par jour.

Alors que le ministre Blanquer lui-même avait qualifié les cantines de « maillon faible » sanitaire, rien n’est vraiment proposé en plus de ce qui se fait actuellement. JMB a déclaré sur France info que « quand on peut avoir son enfant chez soi pour le déjeuner, c’est mieux », actant ainsi définitivement que les cantines ne sont toujours pas sécurisées.

Enfin, tout arrive, voilà des mois que les scientifiques en parlent, l’aérosolisation, principale voie d’infection, est désormais considérée par l’exécutif. Mais dans l’Education nationale, on refile la patate chaude aux collectivités, encouragées par le ministre Blanquer à fournir elles-mêmes les détecteurs de CO2 et autres purificateurs d’air HEPA demandés depuis des mois par les profs (certaines villes n'ont d'ailleurs pas attendu pour combler les manques de l'EN). Alors que le ministère investit des millions sur les auto-tests pour vérifier qu’on n’a pas chopé le virus, il n’allonge toujours pas un kopeck sur ces appareils qui permettraient en amont de mieux maitriser la transmission du virus par aérosol dans les classes. C’est à n’y rien comprendre, sauf si on se souvient qu’il y a quelques mois encore, le ministre Blanquer rejetait les purificateurs avec dédain : « On a fait une étude scientifique sur ces purificateurs et ce n'est absolument pas probant, d'après tout ce que nous avons vu. Au contraire, il semble même que parfois ça renvoie le virus ». Encore une source scientifique du ministre à jeter à la poubelle.

Il devrait écouter le modélisateur des contaminations au CNRS, spécialiste du milieu scolaire, Bertand Maury : « La ventilation est très importante, il faut aérer toutes les 15 minutes pour réduire les risques. Pour maîtriser cette pratique, les capteurs de CO2 sont essentiels. Le gouvernement est un peu timide : qui va acheter les capteurs ? Combien seront disponibles ? ».

Dans un sondage OpinionWay / SNES, on apprenait cette semaine que 75% des français sont pour l’installation de détecteurs de CO2 et de systèmes d’aération dans les classes. Ils sont également 79% à estimer que les profs doivent faire partie des populations à vacciner en priorité…

87% des enseignants non éligibles à la vaccination

L’accent mis sur les tests est une bonne chose, mais comme le disait un internaute cette semaine, « on ne veut pas savoir qu’on est positif, on ne veut pas attraper le covid ! ». Pour cela, il n’y a que la vaccination, mais le gouvernement ne voit décidément pas les enseignants comme une priorité. On se souvient que le ministre Blanquer avait annoncé en janvier que les enseignants seraient vaccinés « en mars au plus tard, si on arrive à le faire avant, ce serait bien ».

On en est très loin aujourd’hui, seuls les enseignants de plus de 55 ans sont éligibles à la vaccination, comme le reste de la population, ce qui concerne 13% des profs Pour les 87% restants, l’horizon est maintenant à la mi-juin, autant dire qu’ils ont une petite chance d’être vaccinés pile pour le dernier jour d’école. Ce calendrier est désapprouvé par 75% des français.

Pour rappel, la France est un des pays de l’OCDE à n’avoir pas fait de la vaccination des enseignants une priorité. En mars, 19 pays sur 30 avaient déjà placé les enseignants sur la liste des personnes à vacciner prioritairement (en Allemagne, les profs sont au niveau 2 de priorité, celui des 70-80 ans). Et parmi les pays qui n’en font pas une priorité, certains comme le Japon ou l’Angleterre sont de toute façon très avancés dans la vaccination…

En France, le 22 avril, le ministère annonçait fièrement 15 000 personnels vaccinés, soit… 1,31%.

Il faut dire que les créneaux dédiés aux professions « prioritaires » que sont les enseignants, les policiers, les gendarmes, les surveillants pénitentiaires, etc., concernent un seul centre par département, et ont fréquemment été proposés à l’inscription quelques heures à peine avant, par mail :

Ce manque d’anticipation, d’organisation et de communication a causé de nombreux couacs, le plus médiatisé étant celui de Nice, où le centre qui proposait 4 000 doses a dû fermer faute de volontaires après 50 doses administrées. Rien d’étonnant quand on sait que nombre d’enseignants étaient déjà vaccinés, Nice étant la première ville de France à avoir commencé la vaccination de tous les enseignants et personnels des écoles, quel que soit leur âge…

Par ailleurs, ces centres sont l’occasion pour le gouvernement de refourguer son stock de doses AstraZeneca, ce qui en refroidit plus d’un, vu le battage négatif fait autour de ce vaccin. Il n’en fallait pas beaucoup plus pour relancer le prof bashing, les enseignants (bizarrement, pas les autres professions concernées par ces centres) étant pointés du doigt pour leur réticence à se faire vacciner… Un comble, quand on parcourt le hashtag #jeveuxêtrevacciné créé par les profs sur twitter…

Le pire, mais pas le plus étonnant, est que le ministre lui-même ait participé insidieusement à ce prof bashing : lorsque les journalistes de France info, vendredi, le questionnaient sur le vaccin, demandant « pourquoi ne pas avoir ouvert la vaccination à tous les enseignants, ne pas avoir profité de ces deux trois semaines pour vacciner en masse les enseignants ? », puis insistant d’une relance « pourquoi on ne va pas plus vite ? », JMB a insisté sur le fait que « ce n’est pas la totalité de ceux qui sont concernés qui ont profité de cette possibilité »…

C’est la base, en politique : quand vous ne voulez pas qu’on parle de vous, parlez des autres.

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