Réchauffement climatique : vers l'extinction de l'espèce humaine ?

Jim Forest

"L'homme a payé chacun de ses progrès d'une atteinte à son environnement qu'il ne pouvait prévoir et qu'il n'est pas capable de réparer" (C.D. Darlington).

L'actualité illustre chaque jour un peu plus l'un des plus grands paradoxes de l'être humain : alors que vous êtes à peu près tous conscients de l'impact négatif de vos comportements sur l'environnement, vous persistez malgré tout dans vos mauvaises habitudes de consommation. Comment expliquer que les gouvernements ne parviennent pas à changer leurs politiques alors qu'ils vont droit dans le mur ? C'est ce paradoxe que va tenter d'expliquer ce post…

1ère partie de l'explication : les modes de vie consuméristes

Le progrès d'aujourd'hui est devenu la menace de demain.

L'économie d'un pays ne peut se développer qu'à partir du moment où vous consommez. La société a donc intérêt à vous proposer un maximum de biens, même les plus inutiles. Les annonceurs ont en effet bien compris qu'il n’était pas nécessaire qu’un produit soit utile pour que vous en soyez dépendant et sont d'ailleurs bien armés pour vous donner envie d'acquérir les produits les plus dispensables. Une fois créés un tas de besoins artificiels, les centres commerciaux vous permettent d'y subvenir en ouvrant leurs portes 7 jours sur 7. Via internet, vous n'avez même plus besoin de vous déplacer et vous pouvez consommer en dehors des horaires d'ouverture. Pour les plus modestes d'entre vous, les enseignes ont pris soin de faire fabriquer des biens à moindre coût afin de vous les revendre au meilleur prix, et vous offrent en outre l'opportunité d'échelonner vos paiements ou de solliciter un crédit à la consommation.

Voilà comment, depuis le milieu du XXème siècle et l'avènement de la société de consommation, les objets s'entassent autour de vous. La chaîne de production devrait même continuer de s'accélérer, dans la mesure où le nombre d’humains ne cesse d’augmenter et que l’obsolescence de ces objets n’est pas prête d’être déprogrammée.

C’est donc une spirale sans fin. Le problème, c'est que nous avons modelé cette croissance au détriment de la planète, puisque ce grand gâchis mondialement organisé est indissociable de ses effets sur l’environnement et du réchauffement climatique.

2ème partie de l'explication : la règle de la contiguïté temporelle

Si vos comportements de consommation sont si résistants au changement, c'est également pour des raisons inhérentes à un mécanisme d'apprentissage assez simple à comprendre : vos comportements sont façonnés et maintenus par leurs conséquences. Si vous persistez à acheter encore et encore, c'est en effet parce que vous en tirez des bénéfices qui vous y encouragent. Et la satisfaction que vous pouvez tirer chaque jour de vos comportements d'achat est d'autant plus grande que la quantité de biens disponibles dans votre environnement est importante.

Vous pourriez rejeter cette explication en argumentant que vos comportements de consommation ont aussi des conséquences néfastes sur l'environnement (catastrophes climatiques, épidémies, etc.) qui devraient au contraire vous amener à revoir vos habitudes de consommation à la baisse. Mais en réalité, ces conséquences écologiques sont trop distancées de vos comportements de consommation pour qu'elles puissent véritablement les influencer. Il a en effet été démontré que plus une conséquence est temporellement distante de vos comportements, moins ses effets sur vos comportements sont importants (c'est le principe de contiguïté temporelle). Ces effets sont d’ailleurs d’autant moins importants que la conséquence est moins probable. Toute incertitude quant à votre réelle responsabilité dans le réchauffement climatique est effectivement une "excuse" pour ignorer les conséquences.

En résumé

Deux phénomènes complémentaires et indissociables permettent d'expliquer en partie pourquoi vous ne parvenez pas à vous empêcher de surconsommer malgré le consensus scientifique sur le changement climatique :

  • Les exigences du système économique ont fait naître dans votre environnement une multitude de biens dont le nombre ne cesse de s'accroître.
  • En acquérant ces biens, vous satisfaites à très court terme un besoin fabriqué de toute pièce par les annonceurs qui renforce vos comportements d'achat. Ces conséquences immédiates de consommation sont mises en concurrence avec leurs conséquences à long terme sur la planète, ces dernières exigeant une maîtrise de soi à grande échelle.

Deux scénarios possibles

Pour changer vos habitudes de consommation, il ne suffit donc pas d'avoir conscience qu'il est urgent de les modifier. La modification de vos comportements n'est en effet pas vraiment une question de bonne volonté, mais elle est plutôt dépendante d'histoires et de mécanismes d'apprentissage. La démission récente de Nicolas Hulot illustre d'ailleurs bien l'impuissance des meilleures intentions face aux contingences politiques et économiques actuelles. Même en admettant que vous réussissiez à changer vos modes de vie, les dégâts écologiques déjà bien entamés sont de toute façon irréversibles et vous ne pourrez donc que les limiter.

Un scénario pessimiste

Le niveau de pollution actuel de la planète ainsi que les mécanismes inhérents de l'apprentissage de l'espèce humaine plaident en faveur de son imminente extinction. Les solutions qui impliquent de tous vous sevrer de votre façon de vivre actuelle ne sont politiquement pas réalisables. Au mieux, on pourrait imaginer que seul 10% des organismes vivants peuplant actuellement la terre survivront après l'apocalypse climatique et que c'est avec ce reliquat qu'il faudra reconstruire un monde nouveau, sans reproduire les erreurs du paradigme économique actuel. Car il faut parfois en passer par une crise significative pour voir changer véritablement les comportements. C'est ce que l'histoire nous a montré à plus petite échelle à travers l'exemple de l'effondrement de la population de l'île de Pâques entre le 16ème et le 18ème siècle. De même, l'éclatement de la bulle spéculative en 2008, l'explosion et le déversement de pétrole sur Deepwater Horizon en 2010, ou encore la tragédie de l'élixir de sulfanilamide en 1937 sont des exemples d'évènements dramatiques qui ont permis une modification radicale des réglementations.

"...bâtir une nouvelle culture depuis le tout début est peut être notre seul espoir" (Burrhus Frederic Skinner).

Un scénario optimiste

Au contraire, l'histoire nous montre également qu'il est possible de changer les choses dans le bon sens, comme par exemple l'effort concerté pour interdire et remplacer les chlorofluorocarbures qui détruisaient la couche d'ozone dans les années 1990.

Même si la diffusion de l'information est certainement incontournable pour contribuer au changement, nous avons vu que la problématique n'est pas de vous amener à une prise de conscience, mais plutôt d'actionner les bons leviers qui modifieront vos habitudes de façon effective. L'idée consiste à trouver un moyen d'augmenter l'influence que peuvent avoir sur vos comportements leurs conséquences à long terme, même si les conséquences immédiates vous entraînent dans une direction différente. Les avantages à long terme d'une nouvelle façon de consommer (préserver la planète) ne pourraient être atteints sans manipuler les conséquences à court terme de vos comportements actuels de consommation. Des exemples de réussites de telles stratégies existent déjà : rétroaction immédiate des compteurs électriques, utilisation des normes sociales pour diminuer la consommation individuelle d'électricité ou pour changer la valeur des conséquences de la consommation d'eau ou de l'utilisation de serviettes de bain dans les hôtels, récompenser les organisations qui réussissent à réduire leur empreinte écologique, etc. (ces exemples sont plus connus sous le nom de "nudges").

"Pour amener les gens à s'adapter à de nouveaux modes de vie moins consuméristes et, par conséquent, moins polluants, il n'est pas nécessaire de parler de frugalité ou d'austérité comme si cela signifiait sacrifice. Il existe des contingences de renforcement sous lesquelles les gens continuent de poursuivre (et même d'atteindre) le bonheur tout en consommant beaucoup moins que ce qu'ils consomment actuellement " (B. F. Skinner).

Principales références :

Descamps, C. et Darcheville, J. C. (2009). Introduction aux neurosciences comportementales. Paris : Dunod.

Schneider, S. M. (2012). The Science of Consequences : How They Affect Genes, Change the Brain, and Impact Our World. New York : Prometheus Books.

Wilson, D. S., Hayes, S. C., Biglan, A. et Embry, D. D. (2014). Evolving the future: Toward a science of intentional change. Behavioral and Brain Sciences, 37(4), 395-416.