Noël 2017 au balcon

jay Cave

« L’homme est né libre, mais partout il est enchaîné » (Rousseau).

Nous sommes libres d’acheter tout ce qui nous plaît, même si nous n’en avons pas les moyens. Et c’est certainement au mois de décembre que nous tenons le plus à cette liberté de nous ruiner : il est une tradition culturo-religieuse bien ancrée en occident de se mettre à découvert le dernier mois de l’année.

  • Une enceinte Google Home (149€), la Google Home Mini (59€),
  • Les PS4 (299€99) ou Nintendo Switch (359€99),
  • Une petite veste Paul Smith (700€), le parfum Terre d’Hermès (99,90€)
  • L’iPhone X (pas moins de 1000€), l’Apple Watch 3 (477€99),
  • Une putain d’enceinte Bose (599€).

A priori, nous n’avons pas besoin de tous ces trucs. Mais il n’est pas nécessaire qu’un produit soit utile pour que nous en ayons besoin. Notre dépendance aux choses est le fruit d’un apprentissage qui se met en place dès la naissance. Nous avons ainsi appris à fonctionner avec des objets sans importance et aujourd’hui, ils donnent un sens à notre vie. Nous en sommes parfois tellement dépendants que si nous devions nous en passer, cela serait au prix d'une grave dépression.

Nous ne voulons plus consommer de toxiques, nous voulons nous régaler avec du bio. Alors les annonceurs s’adaptent et nous proposent :

  • Du saumon fumé à emballage sans bisphénol,
  • Des ballotins de chocolats sans gluten ni lactose,
  • Une bonne dinde à 0% de pesticides.

Nous nous sentons libres dans la mesure où nous ne tentons pas d’échapper à une forme de contrôle. Un monde libre est « un monde où le contrôle du comportement humain est une mauvaise chose, où le désir de changer l’autre est essentiellement hostile » (Skinner, 1974, p. 201). Ainsi, les « contrôleurs » modernes sont passés à des contrôles positifs : les marques se font conseiller par des spécialistes du comportement humain, elles déploient des stratégies appuyées par les dernières connaissances en neuromarketing pour agrandir notre asservissement, tout en veillant à préserver notre sentiment de liberté. Elles allègent habilement notre perception du montant de nos dépenses en nous proposant de les échelonner ou de les différer, de contracter un financement Sofinco ou encore de régler nos achats via Apple Pay.

Vu sous cet angle, Noël est une période de l’année durant laquelle la notion de liberté individuelle devient donc toute relative : il faut offrir un tas de cadeaux relativement inutiles à chacun des membres de sa famille.

La faiblesse de l’être humain : nous ne sommes pas programmés pour anticiper le futur

Nos comportements sont plus facilement influencés par une moindre conséquence disponible immédiatement, que par une conséquence plus importante disponible plus tard. C’est ce que l’on appel le principe de contiguïté temporelle. Et c’est d’ailleurs l’un des plus gros problèmes de l’être humain : « Nous faisons régulièrement cette expérience de notre extrême difficulté à résister aux comportements dont les issues nous sont manifestement peu favorables, en comparaison avec d’autres comportements, au bénéfice plus élevé, mais malheureusement trop éloigné » (Descamps et Darcheville, 2009, p. 22). Par exemple :

  • Les fumeurs préfèrent une dose de nicotine disponible immédiatement plutôt que d’arrêter de fumer pour bénéficier d’un effet salutaire à long terme sur leur santé (c’est une des raisons pour laquelle il est si difficile d’arrêter de fumer).
  • La gourmandise procure un plaisir gustatif immédiat, contrairement aux régimes dont les effets bénéfiques sur la santé sont différés (c’est une des raisons pour laquelle il est si difficile de perdre du poids).
  • Faire de l’exercice physique ou réviser pour ses examens ont des effets bénéfiques à long terme, contrairement à d’autres activités qui nous procurent un plaisir plus rapidement disponible, comme par exemple aller boire un verre avec ses amis.
  • Etc.

En résumé, plus la conséquence est distante, moins ses effets sur nos comportements sont importants.

Vers une auto-destruction de l’humanité ?

Si les comportements humains sont si sensibles à leurs conséquences à court terme, c’est principalement pour des raisons adaptatives (sans cette contiguïté temporelle entre comportements et conséquences, il ne pourrait y avoir de sélection possible des comportements adaptatifs). Mais paradoxalement, ce principe pourrait aussi conduire à l’extinction de la race humaine, dans la mesure où l’on ne réussira probablement pas à adopter des comportements respectueux de l’environnement dont les conséquences bénéfiques pour notre planète sont bien loin d’être immédiates…

7,3 milliards d’individus sur terre en 2017, contre deux milliards en 1930. Si l’on tient compte d’une baisse actuelle du taux de fécondité dans le monde, nous devrions atteindre les 9,6 milliards d’êtres humains en 2050. Néanmoins, si cette diminution du taux de fécondité ne se maintenait pas, nous atteindrions plutôt les 11 milliards en 2050 et plus de 28 milliards à la fin du 21ème siècle. La population actuelle pourrait donc tripler en moins de 100 ans.

C’est une spirale sans fin : pour développer l'économie et nous faire consommer, nous créons des biens inutiles qui deviennent indispensables. La chaîne de production est presque inarrêtable, dans la mesure où le nombre d’humains ne cesse d’augmenter, que l’obsolescence de ces appareils n’est pas prête d’être déprogrammée, et qu'il sera difficile de diminuer le niveau de vie de tout un chacun. Certains d’entre nous sont prêts à dépenser jusqu’à 500€ pour une cafetière Nespresso, ce cadeau empoisonné obligeant l’heureux élu à acheter des capsules en aluminium fabriquées à la chaîne et qu’il devra se faire chier à trier dans la bonne poubelle en admettant qu’il soit soucieux de son environnement.

Sans nous en rendre compte, nous avons modelé un monde de plus en plus fourni en besoins artificiels : « L’humanité a lentement mais sans méthode créé des environnements dans lesquels les individus se conduisent avec plus d’efficacité et éprouvent sans aucun doute les impressions qui accompagnent le succès. C’est un processus continu » (Skinner, 1974, p. 209). Et nous engendrons cette croissance au détriment de la planète, puisque ce grand gâchis organisé est indissociable de ses effets sur l’environnement et du réchauffement climatique.

Si nous n’avons pas vu venir cette auto-destruction bien entamée, c’est que ces conséquences écologiques mettent beaucoup trop de temps à se produire pour influencer efficacement nos comportements de consommation : le bénéfice à court terme d’acheter une cafetière Nespresso est souvent préféré au bénéfice à long terme de ne pas s’étouffer sous des billiards de capsules non recyclées.

En cette fin d’année 2017, non loin de Bandol, mon thermomètre affiche une température de 15°C. Je me réjouis de pouvoir fêter Noël au balcon et relativise notre auto-destruction imminente.

Un espoir de sauver la planète ?

En gros, nous avons 3 options pour espérer nous sauvez de nous-mêmes :

  • Coloniser une autre planète possédant les ressources nécessaires à notre survie (eau + oxygène),
  • Limiter le nombre de naissances pour ne pas être en excédant démographique. En plus, maintenir une croissance privilégiant un développement durable pour ne pas épuiser toutes nos ressources,
  • Compter sur une perte massive de population (guerre, épidémie ou catastrophe climatique) pour être moins nombreux.
  • Ou bien, et c’est un sacré challenge, réapprendre à se satisfaire de moins :

Principales références :

Descamps, C. et Darcheville, J. C. (2009). Introduction aux neurosciences comportementales. Paris : Dunod.

Singler, E. (2015). Green Nudge. Londres : Pearson.

Skinner, B. F. (1974). Pour une science du comportement : le béhaviorisme. Paris : Delachaux & Nestlé.