Récemment, Apple et Epson ont été soupçonnés d’obsolescence programmée…
L’obsolescence programmée, c’est quoi ?
Il s’agit d’une pratique dont le but est de réduire la durée de vie d’un produit pour contraindre le consommateur à acheter. C’est ainsi qu’Apple briderait les performances des anciens iPhone, ou qu’Epson s’arrangerait pour que ses imprimantes alertent le consommateur qu’il doit changer ses cartouches d’encre, même si celles-ci ne sont pas totalement vides.
Existe-t-il d’autres types de manipulations ?
Il faudrait que les industriels soient sacrément insolents pour pratiquer délibérément l’obsolescence programmée. Mais il ne leur est pas nécessaire d’en arriver là pour vous extorquer des comportements de consommation : ils ont en effet à leur disposition des moyens plus « psychologiques » de le faire. Dans le langage courant, ces moyens relèvent du marketing. En réalité, le marketing se base principalement sur des travaux de recherche en psychologie qui ont permis de découvrir les différents facteurs qui influencent vos comportements. Ce sont d’ailleurs des psychologues qui ont été les premiers à appliquer les résultats de leurs recherches au monde du commerce :
- Kurt Lewin a mené des études destinées à modifier certaines habitudes de consommation des ménagères au début des années 1940.
- Ogden R. Lindsley (1922-2004) et John B. Watson (1878-1958) se servaient des perspectives offertes par le conditionnement opérant pour construire des messages publicitaires plus efficaces. Pour faire simple, il leur suffisait d’associer un produit ou une marque à des émotions positives pour augmenter leurs attraits auprès du consommateur et donc favoriser les comportements d’achat.
Dans leur excellent ouvrage « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens », les psychologues Joule et Beauvois énoncent des théories et techniques issues de la recherche en psychologie sociale et qui constituent l’essence des stratégies marketing : l’amorçage, la théorie de l’engagement ou la stratégie du « pied-dans-la-porte » sont quelques exemples des nombreux pièges à votre activité de décision.
Les banques et la technique du « choix par défaut »
Aviez-vous remarqué que certains distributeurs automatiques de billets (DAB) vous proposent de retirer « par défaut » un montant de 40 euros, avant même de vous faire choisir une somme plus faible ? (les DAB du Crédit du Nord ou LCL par exemple).
Le « choix par défaut » c’est quoi ?
Le « choix par défaut » est une technique d’influence du comportement qui a été énoncée par l’économie comportementale, un champ de recherche à mi-chemin entre la psychologie et l’économie. Le choix par défaut est l’option proposée d’emblée par le concepteur d’un produit ou d’une offre, même si d’autres options sont disponibles. Par exemple : une photocopieuse qui imprime par défaut en couleur plutôt qu’en noir et blanc ; ou bien pré-cocher la case « j’accepte de recevoir des e-mails concernant vos nouveaux produits » ; ou encore le renouvellement d’abonnement automatique à une revue ou à un site de rencontre, etc.
Comment le choix par défaut influence vos comportements ?
Cette « architecture » du choix par défaut paraît anodine, pourtant elle peut énormément influencer vos comportements au quotidien, sans même que vous vous en rendiez compte. Et cela pour au moins 2 raisons : tout d’abord parce que vous pourriez penser qu’il n’y a pas d’autres choix possibles et donc ne pas chercher plus loin, mais aussi et surtout parce que le choix par défaut facilite la tendance au moindre effort. Car même si cela peut vous étonner, le fait d’exercer un choix est relativement « coûteux » en terme d’effort, et vous avez tendance à préférer ce qui vous est familier et automatique. D’un point de vue évolutionniste, c’est même une façon pour votre cerveau de limiter sa consommation énergétique : le choix par défaut a donc des avantages biologiques.
Voilà pourquoi la plupart d’entre vous préfèrent l’option par défaut, qu’elle vous soit favorable ou non, plutôt que d’avoir à choisir vous-mêmes. Devant un DAB du LCL, vous aurez donc tendance à retirer 40 euros sans chercher à savoir si vous pourriez retirer uniquement 20 euros (alors qu’en réalité, vous auriez la « liberté » de modifier ce choix par défaut). Les plus septiques d’entre vous pourraient me répondre que retirer 20, 30 ou 40 euros d’un coup ne change pas grand chose. Mais en fait, la somme retirée et disponible dans votre portefeuille est souvent dépensée beaucoup plus vite que celle qui reste sur votre compte, vous amenant donc à retourner plus fréquemment au DAB.
Remarque : toutes les enseignes n’utilisent pas le « choix par défaut » uniquement pour privilégier leurs propres intérêts. Certains fabricants peuvent au contraire adopter cette technique pour vous rendre service, voire même pour améliorer la qualité de vie des personnes, comme par exemple lutter contre l’obésité, privilégier le don d’organes, réduire la consommation de papier, etc. (ces exemples sont détaillés dans les références citées à la fin de ce post).
Les banques et le paiement sans contact
Je ne vais pas entrer dans le détail car j’ai déjà écrit un post à ce sujet. Mais pour résumer, chacun de vos comportements d’achat, aussi banal soit-il (acheter une barre de chocolat par exemple) est réalisé dans le contexte d'un ensemble particulier de conditions qui jouent un rôle important dans votre motivation et vos apprentissages. Parmi ces conditions, il y a bien-sûr le plaisir éprouvé par l’achat du produit (satisfaire une envie de chocolat pour reprendre mon exemple), mais pas uniquement. Votre comportement d’achat est aussi déterminé par l’ « effort » nécessaire pour le mettre en oeuvre : à faim équivalente, vous serez plus enclin à acheter une barre de chocolat si vous devez la payer en posant votre carte bancaire que si vous devez l’acheter avec des pièces de monnaie, surtout si vous n’avez pas d’espèces sur vous. De plus, dépenser une pièce de 2 euros pour acheter une barre de chocolat entame votre capital d’une façon beaucoup plus concrète que si vous deviez la payer par carte bancaire : l’achat virtuel vous donne en effet l’impression de moins dépenser votre argent puisque vous ne voyez pas tout de suite vos économies diminuer.
En définitive, la diminution de l’ « effort » d’achat et l’impression que vous avez de moins dépenser votre argent augmentent le « pouvoir attractif » de la barre de chocolat : payer avec une carte bancaire « sans contact » augmente ainsi votre « motivation » d’achat. Par rapport à un paiement en espèces, le règlement de petits achats via votre carte « sans contact » risque donc de vous faire dépenser plus d’argent, que vous le vouliez ou non.
Pour conclure…
« Le sentiment de liberté est le signe très net d’un genre de contrôle qui se distingue des autres par le fait qu’il ne provoque pas de contre-contrôle » (Skinner, 1974, p. 201). Pour le dire autrement, vous vous sentez libres dans la mesure où vous ne tentez pas d’échapper à une forme de contrôle. Ainsi, les « contrôleurs » modernes sont passés à des contrôles positifs : les entreprises se font conseiller par des spécialistes du comportement humain, elles déploient des stratégies pour agrandir votre asservissement, tout en veillant à préserver votre sentiment de liberté.
Principales références
Packard, V. (1978). L’homme remodelé. Calmann-Lévy.
Singler, E. (2015). Green Nudge. Londres : Pearson.
Skinner, B. F. (1974). Pour une science du comportement : le béhaviorisme. Paris : Delachaux & Nestlé.
Thaler, R. H. et Sunstein T. R. (2010). Nudge. Paris : Vuibert.
Joule, R. B. et Beauvois, J. L. (2002). Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens. Presses universitaires de Grenoble.