Nudge est un terme anglais que l’on pourrait traduire par « pousser du coude discrètement pour attirer l’attention », ou bien « donner un petit coup de pouce ». C’est également le titre d’un livre écrit en 2008 par Thaler et Sunstein, respectivement professeurs de sciences comportementales et de droit. Pour ces auteurs, le nudge est en quelque sorte l’ensemble des techniques issues de la science du comportement et des théories de l’éducation qui permettent d’aiguiller les comportements des gens « dans le bon sens », sans les y contraindre. Le but des nudge est donc d’améliorer le fonctionnement de nos sociétés et la qualité de vie des citoyens sans nuire à leur impression de libre arbitre.
En voici un premier exemple, trivial, mais parlant : dans les toilettes des hommes de l’aéroport d’Amsterdam, des petites mouches ont été dessinées au fond de chaque urinoir. Or les hommes ne peuvent pas s’empêcher d’essayer de viser une cible avec leur jet d’urine, sans que cela leur demande un effort particulier (ils sont même « motivés » à le faire). Résultat : ce simple dessin a permis de réduire les éclaboussures de 80%.
La science du comportement
Depuis presque 100 ans, ce champ de recherche s’intéresse aux principes du comportement humain et aux mécanismes de l’apprentissage. Il tente de comprendre comment apparaissent les comportements, comment il augmentent ou diminuent. La science du comportement a pour visée l’application éthique de ses recherches pour améliorer les comportements d’intérêt social et c’est elle qui sert de base théorique à la « création » des nudge.
Il est impossible de rentrer dans les détails ici, mais pour faire simple, vos comportements sont influencés à la fois par leurs conséquences et leurs antécédents. Pour être bien compris, vos comportements doivent donc être appréhendés comme le résultat d’une interaction avec cet antécédent et cette conséquence (on dit que le comportement est une « propriété relationnelle »). Ainsi, la mise en oeuvre d’un nudge consiste à « arranger » habilement les antécédents et les conséquences des comportements des citoyens afin de les aider à prendre de « bonnes décisions », sans même qu’ils s’en rendent compte. Car il ne suffit pas de dire au gens comment mieux se comporter pour qu’ils le fassent, il faut les y aider en manipulant leur environnement. Cette « architecture du choix » n’est donc pas réalisée par hasard, puisqu’elle repose sur une connaissance fine des principes fondamentaux qui gouvernent le comportement humain.
Malgré sa reconnaissance auprès de la communauté scientifique internationale, la science du comportement est un domaine encore peu connu dans notre pays. Parmi ses nombreux champs d’application : la santé, le handicap, le travail, le social, l’économie, l’écologie, la sécurité routière, etc.
Quelques exemples de nudges…
- Faire plus d’activités physiques au quotidien
- Aider les automobilistes à respecter les limites de vitesse
Exemple 1 : une alternative aux radars
Les expériences en psychologie sociale montrent que les groupes unanimes fournissent des modèles puissants pour modifier les comportements. En installant une signalisation indiquant régulièrement aux automobilistes le pourcentage d’entre eux qui respectent la vitesse autorisée, on a réussi à diminuer de façon significative la vitesse moyenne des automobilistes (l’expérimentation a eu lieu en 2015 dans les villes d’Edmonton au Canada, Chicago et NYC et a montré que cette stratégie était 10 fois plus efficace et moins couteuse que les stratégies classiques).
Exemple 2 : le radar « loterie » :
- Aider les citoyens à avoir des comportements plus « écolos »
Exemple 1 : consommer moins d’énergie
Aujourd’hui, nombreux sont vos comportements qui ont un effet sur l’environnement (utiliser votre voiture, prendre l’avion, utiliser des sacs plastiques à la sortie d’un supermarché, faire une recherche sur google, etc.). La plupart d’entre vous le savent. Pourtant, il n’est pas facile de changer vos habitudes, et cela pour au moins une raison : vous ne vous rendez pas compte que vous êtes en train de consommer de l’énergie, celle-ci étant invisible. L’idée est donc de faire en sorte que chacun d’entre vous puisse voir combien d’énergie il utilise en temps réel. Vos comportements étant suivis d’un retour d’information immédiat sur leurs effets sur l’environnement, vous verriez alors vos habitudes changer de façon beaucoup plus significative : « L’étiquetage peut énormément contribuer à relever les défis environnementaux, précisément parce que les concepts sous-jacents sont terriblement abstraits et énigmatiques pour la plupart d’entre nous » (Thaler et Sunstein, 2010, p.324). C’est ainsi que pour aider ses clients à économiser de l’énergie, une entreprise américaine a imaginé un système permettant d’informer ses clients sur leur consommation d’énergie en temps réel : l’Ambient Orb est une petite sphère lumineuse qui rougit quand la personne consomme beaucoup d’énergie, et qui verdit lorsque sa consommation diminue. En très peu de temps, les utilisateurs de cet outil ont réduit leur consommation de près de 40%. Par un retour d’information, cet outil permet donc de concrétiser les conséquences de vos comportements sur l’environnement. Vous voyez en effet immédiatement les effets de vos comportements, cela a donc un impact beaucoup plus efficace sur vos comportements futurs.
Exemple 2 : jeter moins de détritus
Expérimentation au Texas pour réduire la quantité de détritus au bord des autoroutes (population ciblée : jeunes hommes 18/24 ans) :
1ère stratégie : campagnes couteuses pour convaincre la cible de cesser de jeter leurs ordures >> échec (résultats non significatifs)
2ème stratégie : utiliser la motivation des jeunes (patriotisme important envers l’équipe de football « Dallas Cowboy ») : spot TV des joueurs de l’équipe ramassants eux-mêmes les ordures et grondant « don’t mess with Texas ! »
Résultat : baisse de 29% des déchets la 1ère année, 72% après 6 ans : résultats significatifs et surtout les comportements civiques se maintiennent à long terme.
Exemple 3 : gaspiller moins d’eau dans les hôtels
Un hôtel s’est servi de la motivation de l’être humain à se conformer au groupe pour diminuer le lavage des serviettes de bain et donc mieux respecter l’environnement : l’hôtel a expérimenté l’affichage dans ses chambres du message suivant : « 75 % des personnes ayant occupé cette chambre avant vous ont utilisé leurs serviettes de toilette plusieurs fois ».
Résultat : l’établissement a réussi à convaincre entre 35 % et 75 % de clients en plus d'utiliser leurs serviettes plusieurs jours de suite.
Pour aller plus loin…
Si vous voulez découvrir d’autres nudge, je vous invite à lire les références suivantes :
Thaler, R. H. et Sunstein T. R. (2010). Nudge. Paris : Vuibert.
Singler, E. (2015). Green Nudge. Londres : Pearson.