Entre les élections en Grèce, la déflation qui se profile, la crise semble revenir dans la zone euro. Pourtant, de la même façon qu'il était très prématuré d'annoncer la crise finie en 2012, il y a quelques raisons de penser que la situation maintenant est meilleure que ne le disent les commentateurs. Revue des principaux sujets :
La déflation : moins grave qu'on ne le pense
Comme je vous l'avais expliqué il y a quelques temps, la déflation, c'est une mauvaise chose. Des prix qui baissent réduisent les revenus des vendeurs, exerçant une pression à la baisse sur les salaires; cela réduit la demande en incitant les consommateurs à différer leurs achats, et pose des problèmes aux agents économiques endettés (en particulier dans un contexte de gouvernements cherchant à réduire leur endettement). De ce point de vue, les récents chiffres indiquant des prix en baisse de 0.6% pour janvier peuvent sembler inquiétants.
Mais il faut nuancer cette opinion. En effet, comme le rappelle l'économiste J. Kay, toutes les déflations ne se valent pas; la raison pour laquelle les prix baissent a aussi de l'importance. Dans le cas présent, l'essentiel est dû à la baisse des prix du pétrole; sans elle, l'inflation serait d'environ 0.6%. Cela reste en dessous de l'objectif de la BCE; mais pour les consommateurs, qui doivent faire le plein de leur voiture ou de leur cuve de mazout pour terminer l'hiver, c'est l'équivalent d'une baisse d'impôts; ceux qui y perdent sont les pays producteurs de pétrole, ce que la zone euro n'est pas. La baisse des prix du pétrole est donc l'équivalent d'une relance budgétaire par les gouvernements.
L'autre facteur contribuant à la déflation, c'est ce que les comptables nationaux appellent "l'ajustement qualitatif". L'idée est la suivante : supposez que l'iphone 5 coûte 700 euros, et qu'il soit remplacé par l'iphone 6 qui coûte aussi 700 euros. Comme le nouveau modèle est plus sophistiqué, cela sera considéré dans l'indice des prix comme une baisse de prix. Mais c'est l'effet des améliorations technologiques, pas le reflet de vendeurs qui s'appauvrissent et doivent compenser en baissant les salaires. Ce genre de déflation est donc plutôt avantageux pour les consommateurs.
Le "quantitative easing" de la BCE : plus efficace qu'on ne vous le dit
Si vous suivez l'actualité économique, vous avez sans doute noté que l'essentiel des commentaires sur l'annonce de la BCE ont consisté à déplorer que cela arrivait trop tard, et que ce ne serait pas suffisant pour relancer l'activité en Europe (d'autres commentateurs déclarant au contraire, que cela allait provoquer de terribles bulles spéculatives et une inflation galopante). Bref, le scepticisme règne.
Il ne faut pas oublier la raison pour laquelle l'essentiel des commentateurs a tendance à mépriser la politique monétaire. A gauche, on préfère que la relance passe par la dépense publique, que l'on voit favorablement en tant que telle; à droite, on préfère les "réformes structurelles" et on craint que la politique monétaire réduise l'incitation des gouvernements à mener lesdites réformes.
Mais si l'on juge les annonces de la BCE en tant que telles, il y a des raisons de les trouver très opportunes. Rappelons qu'en théorie, une politique "d'assouplissement quantitatif" (un jargon impénétrable qui signifie un programme d'achat par la banque centrale de dettes publiques à long terme, alors qu'elles achètent d'habitude des dettes à court terme) agit sur l'économie par trois mécanismes principaux. Si la banque centrale rachète des titres publics longs en grand nombre, en théorie, cela :
- incite les investisseurs et les banques à prêter à d'autres acteurs que les gouvernements, réduisant le coût des emprunts pour les entreprises et les particuliers;
- fait baisser le taux de change de l'euro;
- réduit la contrainte budgétaire des gouvernements, en baissant le taux d'intérêt sur leurs dettes et le coût de leur endettement.
Dans cette optique, la politique de la BCE est particulièrement adaptée aux circonstances du moment. le troisième mécanisme, en pratique, compense l'éventuel effet négatif pour les gouvernements européens de la déflation.
Le second mécanisme a joué à plein : en anticipation de cette politique, l'euro a beaucoup baissé. Et cela a plutôt tendance à bénéficier aux grands pays en difficulté de la zone euro (France et Italie en particulier). C'est exactement ceux qui ont besoin d'un coup de pouce en ce moment.
Mais c'est surtout le premier mécanisme qui pourrait jouer plus qu'on ne le pense. Si la BCE n'a pas lancé son programme plus tôt, c'est pour une raison simple : cela n'aurait servi à rien avant le mois de décembre, et la fin des "stress tests" des banques européennes. Avant ceux-ci, les banques européennes craignaient d'accorder des crédits, qui les auraient conduits à avoir un plus mauvais résultat à ces tests. Maintenant qu'ils sont finis, les banques savent à quoi s'en tenir et peuvent prêter plus facilement. Cette augmentation des prêts a déjà été mesurée et peut bénéficier du programme de la BCE.
La crise grecque est moins dangereuse qu'on ne le croit
Le scénario grec se déroule pour l'instant comme je vous l'avais décrit dans un post précédent. L'épreuve de force commence entre le nouveau gouvernement mené par Syriza et les institutions européennes, avec un résultat incertain. Ce jeu peut se terminer par un compromis honorable, donnant des marges de manœuvre à Syriza contre des concessions européennes; soit par une escalade et un scénario-catastrophe de sortie de la Grèce de la zone euro.
Quelle qu'en soit l'issue, cette situation est, au moins à court terme, moins dangereuse pour la zone euro que ne le considèrent les pro-européens inquiets ou les anti-européens qui croient leur heure venue. Si le compromis l'emporte, c'est une bonne nouvelle : la Grèce aura l'opportunité de mener des politiques un peu moins nuisibles pour elle, et cela pourrait annoncer un changement favorable des politiques dans la zone euro.
Mais même si cela se passe mal, et que la Grèce est contrainte de sortir de la zone euro en catastrophe, il y a de bonnes raisons de penser que cela sera circonscrit et que, au moins à court terme, la Grèce sera seule à en souffrir. Le contexte n'est plus le même, et il existe une quantité de programmes permettant à la BCE de soutenir les gouvernements restant dans la zone euro contre une attaque des marchés. On peut même supposer que l'urgence de la situation conduirait, pour préserver la zone euro, à précisément les mesures exceptionnelles que les compromis politiques du moment ne permettent pas. La caractéristique de la construction européenne, c'est après tout toujours de se renforcer dans l'adversité.
A plus long terme, c'est différent : une Grèce sortant de la zone euro décrirait le scénario de ce qui est pour l'instant apparemment impossible. La zone euro perdrait son statut de zone à monnaie unique pour devenir une zone de changes fixes entre devises en pratique différentes. Ce qui est bien plus fragile qu'une véritable monnaie unique. Néanmoins, on a déjà vu cela avec Chypre - et cela s'est mieux passé que ce que les commentateurs, moi y compris, pensaient. En tout état de cause, cette érosion de la zone euro serait probablement lente, et les effets immédiats en seraient assez réduits.
La prévision, c'est toujours difficile. Mais il y a des motifs, au moins pour les mois à venir, pour un optimisme raisonnable.