La déflation menace-t-elle en zone euro?

C'est la nouvelle macroéconomique du jour : l'inflation continue de diminuer dans la zone euro, atteignant 0.8% en moyenne annuelle au mois de décembre (0.7 en excluant les prix de l'énergie, très volatils), poursuivant son ralentissement (cf graphique ci-dessus, via), et faisant craindre la déflation, c'est à dire la baisse du niveau général des prix. C'est bien moins que l'objectif de la BCE, qui est d'atteindre 2% en moyenne. C'est le niveau le plus bas depuis que l'inflation est mesurée dans la zone euro, en 2001.

Les prix qui baissent, pourquoi c'est grave?

On pourrait penser que la baisse des prix est une bonne nouvelle pour les consommateurs, dont elle fait augmenter le pouvoir d'achat. Mais ce qui vaut pour une personne ne vaut pas pour une économie dans son ensemble : parce que tout achat est une vente, les dépenses des uns sont les revenus des autres. La baisse des prix signifie que les revenus des vendeurs se compriment, ce qui exerce une pression à la baisse sur les salaires. Or si les gens n'aiment pas beaucoup la hausse des prix, ils détestent encore plus les baisses de salaires; la seule manière d'arriver à une baisse significative des salaires pour suivre les prix est une longue période de chômage élevé, qui fait suffisamment peur aux salariés pour qu'ils acceptent un salaire à la baisse.

D'autres effets viennent se cumuler. En période de baisse des prix, le meilleur moment pour acheter un bien durable est "plus tard" puisque son prix va baisser; cela comprime encore plus la demande qui s'exerce sur les entreprises. Par ailleurs, même si les salaires et les coûts suivent la baisse des prix, la charge des dettes, elle, reste inchangée. Le poids du remboursement de la dette dans les revenus s'élève pour ménages, entreprises et gouvernements, conduisant à des faillites et des insolvabilités, ce qui a encore plus d'effet négatif sur l'activité économique.

D'autre part, la déflation (ou une trop faible inflation) compromet la capacité de la banque centrale à soutenir l'activité économique en baissant ses taux d'intérêt. S'il y a déflation, même lorsque les taux sont à zéro, les taux d'intérêt réels sont positifs. La faible inflation rend enfin difficile le réajustement des économies en difficulté du Sud de l'Europe, qui doivent résorber leurs déséquilibres de balance courante avec les autres pays de la zone. Rétablir leur compétitivité lorsque l'inflation allemande est à 1% leur impose forcément une déflation bien plus forte, avec un chômage très élevé durablement.

Ce scénario déflationniste est bien connu : c'est celui des années 30, ou du Japon durant les années 90. croissance en berne, endettement public qui explose malgré des politiques d'austérité budgétaire, chômage de masse. Rien de bien réjouissant.

Que faire?

C'est bien le problème : pas grand-chose. La BCE a déjà baissé ses taux en novembre, et ne peut plus les baisser beaucoup, d'une part parce qu'ils sont déjà voisins de zéro, à 0.25%; d'autre part parce que cela a déjà conduit à des divisions importantes entre ses membres et à de fortes critiques de certains gouvernements. Une nouvelle baisse des taux, voire des mesures "non conventionnelles" du type de celles qui sont pratiquées au Japon ou aux USA, ne sont guère plausibles.

Et on peut se demander si ces actions seraient réellement efficaces. Car la zone euro n'est plus réellement une zone de monnaie unique. Une entreprise ou une famille en Italie subissent des conditions de crédit bien moins favorables que leurs homologues allemandes. Le marché européen du crédit est fragmenté suivant les frontières nationales, dans un contexte général de défiance. Contrairement à la Grande-Bretagne ou aux USA, il reste beaucoup d'incertitudes sur les bilans des banques, en attendant la fin des "stress tests" bancaires entamés par la BCE en octobre 2014. Ceux-ci pourraient peut-être débloquer la situation s'ils sont menés correctement, mais rien n'est moins sûr. D'ici là, le système financier limite considérablement les crédits, en particulier dans les pays périphériques.

En somme, le jeu dangereux de la Banque Centrale Européenne continue. Pour préserver la zone euro, elle doit maintenir celle-ci au bord du gouffre, afin de garder la pression sur les gouvernements européens. Ce faisant, elle prend le risque de perdre le contrôle de la situation, et de conduire la zone euro dans une longue période de dépression économique. C'est cette crainte de perte de contrôle qui seule permet à la BCE de maintenir la zone euro en l'état malgré les divisions et les divergences entre ses pays membres. Il serait probablement préférable qu'elle puisse agir de manière plus directe, comme n'importe quelle banque centrale, au lieu de ce jeu permanent avec les gouvernements. Mais c'est ainsi que cela se passe dans la zone euro.