Feuilleton : les mystères de la lagune de Venise

Du puzzle qu'est Venise, on ne connaît souvent que la pièce centrale. Sa radieuse place Saint-Marc bordée de six sestieri dont la beauté n'est plus à raconter. Mais le chef d'oeuvre serait incomplet sans sa centaine d'îlots corollaires, qui font de la lagune un spectacle bien plus riche et vaste qu'on ne l'imagine. Et à ce jeu-là, il faut un peu de patience... car certaines îles sont loin. Dans un labyrinthe d'isthmes, de terre et d'eau s'étend la Venise composite, originelle, où prennent racine tous les métiers antiques de la Sérénissime. Sans lesquels elle ne survivrait pas aujourd'hui. Nous nous sommes arrêtés sur sept de ces îles, en prenant le temps.... voici leur histoire.

Dans le secret des souffleries de Murano (1/5)

Au numéro 28 du quai des Verriers se cache un labyrinthe de fours, celui des héritiers de la famille Barovier, maître parmi les maîtres sur l'île des souffleurs magiciens. Les pionniers d'une île où depuis la nuit des temps, on pratique l'art du verre au point d'en avoir fait, un temps, la 2ème activité commerciale de Venise. Leurs lustres illuminent les palais d'hier et d'aujourd'hui. Les couleurs qu'ils insufflent dans les girandoles hypnotisent les touristes. Les recettes ? Tenues secrètes dans des cahiers par les natifs. Les outils, inchangés depuis le Moyen-Âge. Devant nos caméras, des dizaines d'ouvriers du feu enchaînent leur danse, leur chorégraphie, si limpide qu'on en oublie que le verre de Murano se travaille à la seconde près, car il refroidit très vite. Mais trêve de bavardage, les images parlent d'elles-mêmes...

Le chemin de croix de la dentelle de Burano (2/5)

Leurs doigts dansent à une vitesse de magicien. Elles sont rares, aujourd'hui, ces dentellières qui savent encore réaliser un ouvrage au point de Burano. Du dessin à la finition, elles imitent le filet du pêcheur et cousent dans leur dentelle une tradition d'antan. Aux côtés de sa sœur de verre, Burano est l'atoll de la dentelle, mais d'une dentelle insolite, faite sur l'oreiller, dont on se transmet la technique de mère en fille depuis le 16ème siècle. Au cœur des maisons de pêcheurs jaune safran, vert menthe, rouge cerise, spectacle de couleurs mondialement connu, elles ont longtemps représenté le prestige de Burano. Nous sommes allées les rencontrer sur l'île aux mille teintes.

Dans la lagune, les hommes mènent la barque (3/5)

Depuis la nuit des temps, Venise danse entre le feu et l'eau. Entre les flammes de ses verriers avertis et les chaluts des pêcheurs acharnés. Tandis que les femmes brodent leurs filets à Burano, les hommes de la lagune affrontent les flots. L'économie de la petite île de Burano fut longtemps basée exclusivement sur la pêche, dont vivent encore aujourd'hui une vingtaine de courageux Vénitiens. Leurs barques traditionnelles sont construites sur place depuis des siècles ; bien souvent dans les chantiers navals de la famille Amadi, dont les appentis des nombreux descendants se succèdent sur les quais. De Venise, on vient précisément ici acheter ces bateaux au style, à l'esthétique bien particulière. Nous avons demandé à ces hommes de nous raconter leur chant des sirènes.

Sant'Erasmo, le potager de Venise (4/5)

Il y a des règles à ne pas braver. Si vous êtes un vrai Vénitien, vous n’achèterez que les « Nostrani », les légumes qui ont poussé sur l’île de Sant’ Erasmo. Loin des palais coruscants, les jardins de campagne de la Cité des Doges sont tout aussi riches : orge, sorgho, radis chinois, mais surtout ces fameux artichauts violets qui approvisionnent Venise, son marché du Rialto ou encore son restaurant le plus étoilé, le Quadri de la place Saint-Marc, où cuisine Massimiliano Alajmo, l’une des plus jeunes toques d’Italie. Plus loin s'étend le vin de Venise : onze hectares de vignes relancées par l'ex-producteur de télé français Michel Thoulouze, tombé amoureux de l'île, et dont on tire aujourd'hui un blanc délicieux. On vous raconte comment depuis des siècles, l'homme apprivoise avec passion, patience et amour, une nature atypique et minérale.

Venise religieuse, à l'écart de la foule (5/5)

Il existe une île qu'aucun vaporetto ne dessert. Et pour cause ! Un tel havre de paix demande un peu de discrétion. San Francesco del Deserto, accessible par embarcation privée depuis Burano, abrite dans la plus grande ataraxie cinq moines... et un perroquet. Depuis 800 ans, on vit sur cette superbe île dans le silence le plus méditatif qui soit, tel que l'a réclamé Saint François d'Assise lors de son voyage en 1220. À l'écart des canaux rebattus, une autre visite rare épate par sa beauté : celle de San Lazzaro degli Armeni, le repaire des Arméniens. Ici, les pères mékhitaristes vous ouvriront leur caverne d'Ali Baba : des milliers de manuscrits rares, certaines des armes les plus vieilles au monde, une des momies égyptiennes les mieux conservées qui soient. Découvrez les derniers ermitages de la lagune, ainsi que l'île de San Michele, cimetière monumental souhaité par Napoléon en 1797. Après une balade à l'ombre des cyprès et des fantômes de Diaghilev et Stravinsky, on vous emmène plus loin, sous les voûtes d'un ancien couvent franciscain, où sont cachés les chais d'un vin clandestin...


Feuilleton d'Alban Mikoczy, Anne Donadini, Laura Tositti, Manuel Chiarello, Gianclaudio Calderara et Valérie Parent

Texte : Anne Donadini