Ils seront à La folle Journée nantaise vendredi, samedi et dimanche pour donner l'intégrale des 15 quatuors à cordes de Schubert en 8 concerts: le quatuor Modigliani sort aussi en même temps un album de plus de 6 heures réunissant cette somme de la musique de chambre... en grande partie méconnue.
En huit concerts, l'intégralité des quatuors
Un de nos meilleurs quatuors, dans cette forêt d'ensembles qui, souvent, n'ont pas vingt ans et qui sont à l'honneur de la création française: les Modigliani vont donc défendre en huit concerts l'intégralité des quatuors de Schubert, oeuvres ramassées au début (tout de même une vingtaine de minutes) et qui vont prendre une tout autre dimension pour les quatuors 13 (Rosamunde), 14 (La jeune fille et la mort) et 15, l'ultime chef-d'oeuvre, désespéré: 50 minutes à chaque fois, d'une musique sublime et terrassante.
Un premier quatuor à l'âge de 14 ans
On avait eu l'occasion d'entendre cette intégrale live en novembre dernier, en cinq concerts, dans les grands salons de l'Hôtel de Ville (très 1900...) de Tours: à chaque fois les 500 places proposées prises d'assaut, pour un genre qui, musique pure, peut paraître austère; et d'un compositeur certes connu et aimé mais dont les premiers quatuors sont fort peu connus. Quatuors que Schubert, qui en jouait en famille en tenant la partie d'alto, commença à composer à 14 ans, sans forme réelle (le 1er quatuor tout au moins), avec liberté, joie mais aussi mélancolie (peu avant le 2e quatuor il venait, âgé de 15 ans, de perdre sa mère)
Dans l'ombre des trois grands ainés, des géants, Haydn, Mozart et Beethoven, il y en eut 11 jusqu'à l'âge de 19 ans (et tant d'autres choses dont, à 18 ans, Le roi des Aulnes) Et puis, à 26 ans, ce Mouvement de quatuor (Quartettsatz) si tragique, que les Modigliani jouaient avec une violence et une urgence incroyables. Avant les Trois ultimes, où il faut mettre immédiatement la grandeur et le souffle, la tristesse mêlée parfois de lumière, l'apaisement peut-être, tout cela qu'ils surent installer à Tours en respectant aussi, évidemment, l'éclat des quatuors précédents, leur moindre génie mais cependant des moments, des tournures, des passages, où l'on reconnaît le Schubert des chefs-d'oeuvre -car il est souvent aussi passionnant de suivre les grands créateurs quand ils se cherchent que les années où ils se sont trouvés.
Rencontre avec Loïc Rio, second violon du Quatuor Modigliani
Cela a évidemment commencé par les trois grands chefs-d'oeuvre de la fin, qui sont fantastiques: on rêve, dès qu'on est tout jeune, dès qu'on fait du violon, de s'y attaquer. Et puis, en les jouant, on s'aperçoit d'un abîme, quelque chose de gigantesque qui nous dépasse complètement. D'aller voir les oeuvres de jeunesse nous a alors permis de comprendre le processus de création, ce basculement où il a jeté toutes ses dernières forces. En se sublimant peut-être. Il se sait condamné, deux ou trois ans avant sa mort. A part quelques amis qui lui sont fidèles, avec qui il fait de la musique, ses oeuvres majeures ne sont pas publiées, il vit dans l'ombre, il se voudrait compositeur d'opéras, aucun n'a de succès.
Une autre injustice concernant les quatuors
Les deux derniers ce sont des quatuors avec lesquels les quatuors vivent, ils font partie du répertoire. Après, ce qui est étonnant, c'est que les plus "jeunes" soient méconnus, complètement dans l'ombre, de manière assez injuste parce qu'ils n'ont rien à envier aux quatuors de Mozart ou de Haydn qui trouvent bien plus leur place dans les salles de concert. Il y a, de même, très peu d'intégrales au disque. Et puis il ne faut pas oublier cette vie si brève: Beethoven compose ses six premiers quatuors à l'âge où Schubert compose les derniers.
Le talent, le génie, la mort
Comme il arrive après les trois grands, il n'est pas novateur; à 15-16 ans (l'âge des premiers quatuors) il s'inspire des grands maîtres. Et puis brusquement, mais pas seulement dans les quatuors, aussi dans les dernières sonates pour piano, les deux dernières symphonies, c'est sans doute celui des compositeurs dont l'évolution est la plus rapide. Très peu de transition. On sent dans les premiers quatuors ce qu'il va développer mais cela arrive de manière fulgurante
Lumière et ombre
C'est quelqu'un qui est assez instable, il s'émerveille de plein de choses mais un nuage n'est jamais loin. On ne sait jamais s'il est complètement heureux ou complètement triste. On se croit au fond de l'abîme et soudain, au détour d'une phrase, on sent qu'il va nous prendre dans ses bras pour nous réconforter. C'est toujours changeant chez Schubert et c'est ça qui va plaire beaucoup aux romantiques et post-romantiques, qu'il va influencer, pas par la forme mais par l'émotion, une émotion hésitante et si spontanée.
La clarté et le chant
Il a une écriture qui lui est propre, qui est toujours claire (dans le sens "ligne claire" de la B.D.!) Il y a des mélodies qui sont très identifiables, c'est une écriture qui est très vocale, on ressort d'un concert de Schubert, on peut chanter la mélodie, c'est beaucoup moins le cas pour Haydn ou Beethoven.
Liberté et contrainte des interprètes
Il y a aussi, pour nous, instrumentistes, une richesse de nuances qu'il indique, bien plus qu'un autre, un ambitus énorme, il passe du pianississimo au fortississimo. Par rapport à d'autres il nous invite à trouver une palette de nuances plus large, c'est un travail évidemment passionnant, c'est à nous de définir l'intensité qu'on veut donner, en fonction du moment, de notre humeur. Et sans jamais trop de dureté, on n'est pas comme chez certains où il faut jouer "le couteau entre les dents"!
A La folle Journée de Nantes intégrale des quatuors à cordes de Schubert par le Quatuor Modigliani en 8 concerts vendredi 28 (3), samedi 29 (3) et dimanche 30 (2) Avec aussi d'autres quatuors jouant... certains quatuors ou quintettes (le Quintette La Truite ou le Quintette à deux violoncelles): Quatuor Hermès, Ardeo, Hanson, Elmire, Psophos
Les 15 quatuors à cordes par le quatuor Modigliani. Un coffret de 6 CD Mirare