C'était il y a quelques semaines, le premier numéro d'une série de concerts pédagogiques à la Seine Musicale, autour ce jour-là de la sérénade. Au programme Mozart, Dvorak et Tchaikovsky. Le concepteur: Mathieu Herzog, avec son orchestre Appassionato.
Essayer d'expliquer la musique
C'est une idée souvent évoquée et finalement peu pratiquée car pas si évidente à (bien) concevoir: essayer d'expliquer la musique mais, plus encore, le génie de la musique. Et le faire avec nos mots à nous, pas comme un professeur de conservatoire (et l'on n'a rien contre eux mais ils s'adressent justement à de futurs musiciens -on l'espère), avec cette curiosité que nous avons de percer le mystère créateur sans verser dans le vocabulaire technique, sans nous dire des mots, des notions, qui nous dépassent, bref: quadrature du cercle. Et pourtant Mathieu Herzog réussit presque le défi.
Il a plusieurs armes pour y parvenir. Le charisme, un langage simple mais juste, un don de conteur avec la petite anecdote qui fait rire et qui fait mouche, des connaissances de vrai musicien, un outil à sa mesure -l'orchestre Appassionato qu'il a créé il y a 6 ans, composé de jeunes interprètes prêts à toutes les expériences... pédagogiques. Et déjà l'art de ne pas nous faire croire au père Noël, même s'il y a dans la salle des tout jeunes qui y croient forcément: non, le génie d'un Mozart, d'un Beethoven, d'un Tchaikovsky ne se dissèque pas, ne s'analyse pas dans un tube, c'est le mystère de l'art, de tous les artistes, des peintres, des écrivains, des cinéastes aussi mais, partant de l'oeuvre achevée, on peut tenter de comprendre, et de comprendre surtout ce qui ne marcherait pas.
Beaucoup de jeunes, une salle attentive
Cela devant une salle attentive, où les plus petits (on déconseillera à moins) ont six ou sept ans, la moyenne dix ou douze, avec des adolescents aussi (et tous ces jeunes n'ont pas l'air de faire la tête, d'être là parce que papa et maman leur ont dit tu viens ou tu seras privé de rave pendant cinq ans) et non plus pour servir d'alibi aux parents qui, pour pas mal d'entre eux, en profitent eux aussi parce que les vertus de la compréhension prêtent mieux à l'écoute, c'est ce qu'on s'imagine en tout cas trop souvent. Mais ce serait un autre débat.
De quoi s'agit-il cependant dans la pratique?
La sérénade, charme du soir
Un thème ce soir-là -cet après-midi-là: la sérénade. Musique séduisante donnée pour distraire une femme, une assemblée, si possible dans un cadre champêtre et à la tombée du jour (serata, la soirée en italien) comme l'aubade (qui est plus pour une belle) est donnée le matin, au saut du lit (alba, l'aube) Et d'entrée la plus célèbre, Une petite musique de nuit (qu'il aurait fallu appeler Une petite musique du soir mais un Autrichien et un Italien n'ont pas la même perception des heures) dont le vrai titre est Sérénade n° 13 (c'est moins évocateur)
Mozart et les mélanges
Comment donc créer de l'émotion en mélangeant des notes de musique? Il y a quelque chose de l'art du chef qui connait ses principes, ce qui est à faire ou non, et Herzog nous le résume ainsi, nous exposant le thème si célèbre, puis le décortiquant: voici l'assise des violons, voici ce qui se rajoute à la mélodie principale (une sorte de rythmique qui a sa pulsation propre, tel un coeur qui bat autrement), voici le contrepoint (et l'on n'a pas besoin de savoir ce qu'est le contrepoint, il suffit d'écouter les altos ou les violoncelles qui entrent en scène) et voici les basses pour donner du corps; et puis, évidemment, le génie mozartien, retourner ce mélange comme un gant, inverser les éléments, mettre en avant ceux qui étaient en arrière. Et moduler.
Moduler, on sait. En tout cas la modulation la plus utilisée, celle qui "marche" le mieux, passer de majeur en mineur. C'est Schubert qui le fait admirablement, à chaque fois on pleure. Avec Mozart ce n'est pas mal non plus. Herzog nous le fait entendre, patiemment, pour qu'on saisisse bien, pour que les enfants saisissent bien, et aussi ceux qui ne l'entendent pas forcément chez Claude François ou chez Maître Gims (on n'a rien contre eux, s'empresse-t-on d'ajouter en ouvrant lâchement son parapluie), par le détail des violons.
Une valse avec du chocolat
L'autre élément, et qui est encore plus spectaculaire, c'est la démonstration du rythme. Spectaculaire parce que par défaut. Pourquoi ce rythme-là, aussi dansant que mélancolique? Parce que. Et c'est peut-être là qu'on perçoit mieux le génie de Mozart. Herzog accélère avec les mêmes notes: ça ne marche pas du tout. Il ralentit: ça ne marche pas non plus. Mozart répondrait: parce que c'est la seule solution si vous essayez toutes les autres. On n'en finirait pas avant de s'apercevoir qu'il a raison jusqu'à plus soif.
Un petit tour par Tchaikovsky et sa si belle Sérénade pour cordes. Et Herzog de nous rappeler combien Tchaikovsky vénérait Mozart à une époque où celui-ci était plutôt au purgatoire. On découvre l'importance du vibrato des cordes (et d'abord on l'entend!) et l'esquisse de cette valse qui, dit Herzog, me donne envie de manger du chocolat (mais ce n'est pas pour ça qu'on est autorisé à sortir son goûter)
Trois génies de la mélodie réunis
Et voici la dernière partie avec ce très grand Tchèque, Dvorak, qui disait: Je voulais être boucher, j'ai fini compositeur. Lui dont le papa tenait la boucherie de Nehalozeves et qui y commença son apprentissage. Mais l'organiste du village voisin ne l'entendit pas ainsi. Papa perdit un héritier de commerce, nous gagnâmes un génie de la musique. Car la manière dont Herzog nous explique cette Sérénade pour cordes nous montre comment, avec une invention différente de Mozart, Dvorak raffine, invente, varie: une mélodie qui passe à l'octave, s'enrichit, rebondit par d'autres timbres. Avec aussi, élément essentiel, ce génie mélodique qui réunit les trois compositeurs du jour et qui fait peut-être qu'ils sont en écho dans cet acte séducteur qu'est la sérénade.
Un regret -car, tout de même, on entendra cette Sérénade de Dvorak en entier, passant ainsi de la pédagogie à l'écoute, maintenant que nous y sommes préparés: après cette brillante démonstration Herzog s'y trouve un peu précautionneux, un peu timide. Elle manque parfois de relief, de contrastes, cette Sérénade. Regret qui n'enlève rien au plaisir du cours, dont la deuxième leçon sera donnée ce samedi 11 décembre à la même Seine Musicale, autour de celui dont on fête le centenaire, Camille Saint-Saëns.
Sérénade (dans le cadre du cycle "Vous trouvez ça classique?"): oeuvres de Mozart, Tchaikovsky et Dvorak par l'orchestre Appassionato dirigé par Mathieu Herzog. La Seine Musicale, Boulogne-Bt (92) le 11 septembre dernier.
Prochain concert le 11 décembre (Saint-Saëns) à 18 heures.