A Lille Bruno Philippe et l'Orchestre français des Jeunes jouent Schumann et Brahms avec l'énergie enthousiasmante de leur âge

Bruno Philippe et les jeunes musiciennes de l'OFJ C) Ugo Ponte/ ONL-OFJ

Au Nouveau Siècle, la salle de concert lilloise, c'était la rentrée musicale ce 3 septembre, mesures-barrières comprises selon la règle désormais admise du "Un siège occupé sur trois". Et l'Orchestre français des Jeunes, que nous suivons depuis plusieurs saisons, inaugurait la nouvelle, sous la direction, pour la dernière année, de l'excellent Fabien Gabel, avec un invité, le -tout aussi jeune qu'eux- brillant violoncelliste Bruno Philippe.

En 1e année de conservatoire et déjà premier violon...

Un orchestre qui, à chaque démarrage de saison, n'est ni tout à fait le même ni tout à fait un autre. On était venu à Lille il y a deux ans, on aura donc eu notre lot de têtes nouvelles. Quelques-uns de ces jeunes qui sont encore en conservatoire à des niveaux divers (et qui ne sont pas tous français ou, français, n'étudient pas tous en France) n'auront pas repassé ou pas été de nouveau reçus au concours obligatoire, à moins d'avoir bénéficié d'une invitation spéciale. On aura bavardé en préambule avec Sébastien Labouret, en 1e année au conservatoire national de Lyon, et qui, à sa grande stupeur, s'est retrouvé bombardé premier violon de l'orchestre 2.

(Car les circonstances, cette année, ont obligé à couper l'orchestre trop imposant en deux, la scène de Lille n'étant pas assez grande. Ainsi la moitié de l'orchestre qui ne jouait pas ce 3 septembre avait enregistré un "concert numérique", la 2e symphonie de Brahms remplaçant la 3e)

Bruno Philippe et Fabien Gabel, le chef C) Ugo Ponte / ONL-OFJ

Le relais de l'orchestre vers le chef

A sa grande stupeur même si on suppose qu'il le doit à sa valeur mais, timidement, il s'abstient d'en faire état. Stupeur et gros stress car, outre que, "prenant des fonctions de musicien d'orchestre, on se retrouve déjà dans le métier alors qu'on est encore étudiant", il s'ajoutait pour lui des responsabilités nouvelles: nécessité de "donner envie aux autres violonistes de jouer avec moi ", et donc recherche, en leader, d'un son commun, en sachant que le travail technique doit être le même, aux doigtés près, "et à la fin il doit y avoir une telle unité que, si je fais une erreur, tout le monde va la faire!" Plus encore, premier violon, on n'est pas seulement chef de pupitre mais un relais entre tout l'orchestre et le chef, ce qui a obligé le jeune Labouret à se plonger dans toutes les partitions et pas seulement dans sa ligne de violon, "pour être à peu près au courant de tous leurs pièges, ne pas trop me laisser surprendre, et l'orchestre du même coup, par de l'inattendu" On imagine la forme d'angoisse pour un garçon de 19 ans plongé dans le grand bain, et même dans l'océan, malgré, évidemment, l'attention dudit chef, Fabien Gabel, qui sait, pour la quatrième saison, à quoi sont confrontés tous ces jeunes...

Un Bruno Philippe qui a très bien grandi

"Moi, je rêverais d'être avec eux, pour jouer cette symphonie de Brahms en violoncelliste d'orchestre" C'est Bruno Philippe qui parle et il ne nous dit pas cela pour faire le modeste ou parce qu'il a derrière lui des filles et des garçons de son âge. Bruno Philippe, 26 ans, comme Edgar Moreau, un peu plus qu'Aurélien Pascal, un peu moins que Camille Thomas. La brillantissime jeune génération du violoncelle français. "Je ne me suis pas posé la question mais l'orchestre ne s'est jamais présenté à moi. C'est le travail de musique de chambre qui m'intéressait d'abord"

Bruno Philippe C) Ugo Ponte / ONL-OFJ

On n'ose lui dire que, sans dévaluer en rien le travail de ses camarades de l'orchestre, il jouait déjà dans la classe au-dessus quand on l'avait entendu il y a douze ans (il en avait 14) dans un petit festival du Midi languedocien: un éblouissant Trio de Mendelssohn et l'on se souvient, auprès de compagnons à peine plus âgés, de l'ardeur de cet adolescent bouclé sur un instrument plus grand que lui. Et, d'une conversation passionnante et trop courte, il tire quelques enseignements dont celui qui nous "interpellait" face à David Fray à La Roque-d'Anthéron il y a quelques semaines.

"Je sers quelque chose qui me dépasse..."

"Je considère que, dans mon rôle d'interprète, je suis en état de servitude. Oui, je sers quelque chose qui me dépasse: le génie des compositeurs -le génie de l'Humain avec un grand H. C'est la plus belle manière de considérer mon métier: être au contact de la beauté tous les jours"  Mais comment se fait le transfert de cette servitude à la nécessité de rendre l'oeuvre à sa pleine grandeur? "Tant que je travaille, je me sens artisan, cherchant, polissant, creusant. Au moment de jouer enfin, je me sens devenir artiste. Le rôle de l'artisan, c'est de libérer l'artiste!"

 

Fabien Gabel C) Ugo Ponte / ONL-OFJ

On l'a ressenti intensément le temps du concert, avec ce Concerto de Schumann, l'un des hauts chefs-d'oeuvre du répertoire pour l'instrument, que Bruno Philippe joue avec beaucoup de tendresse, tirant des teintes lumineuses d'un instrument sombre par essence. Une des dernières merveilles de Schumann avant la nuit, un premier mouvement aux divines longueurs -cette expression que Schumann utilisa pour Schubert et qui s'applique à ces formules d'une intense beauté mais inlassablement répétées, comme si l'inspiration tournait en rond, avant l'intuition géniale d'un mouvement lent sorti de nulle part, comme si une porte s'ouvrait à l'intérieur de l'orchestre -Adagio. Dans le final le violoncelle ressemble à un cavalier joyeux qui chevauche en pleine forêt et Bruno Philippe, avec un grand sens du rebond rythmique, nous met au coeur du monde romantique où les poètes et les musiciens s'en vont chercher l'inspiration dans le souffle du vent et le murmure frissonnant des branches.

Filles et garçons, 50-50, et d'ailleurs une compositrice...

Il avait fallu cependant en passer par une pièce de la jeune compositrice singapourienne Diana Soh, Elle ne dansera plus, commande de l'OFJ sur le thème de Salomé. Pièce d'une excellente technicienne, qui permet surtout aux six percussionnistes de l'orchestre de monter sur scène et de bien s'amuser. Soh a beaucoup écouté le Sacre du printemps et sa Salomé met bien trop longtemps à enlever un à un ses sept voiles bibliques...

On avait assisté à la répétition: jeunes filles et jeunes gens de maintenant en T-shirt et snikers, avec une "première violon", Marie Duquesnoy, élève au Conservatoire national de Paris. Beaucoup de femmes parmi les cordes, beaucoup de garçons dans les cuivres et que des garçons dans les percussions. Du 50/50 chez les bois. Et enfin cette 3e symphonie de Brahms dont Fabien Gabel n'ignore pas les difficultés rythmiques, dans un premier mouvement où nos jeunes musiciens ont un peu de mal à se coordonner -les cuivres jouent trop fort mais ils ont dû, entre répétition et concert, se rapprocher un peu (pas trop) pour mieux s'entendre. Suit un Andante paisible, les bois, flûtes, clarinettes, hautbois, intervenant avec une simplicité poétique magnifique, sans jamais se prendre pour des solistes, ce qui est exactement l'essence de la pratique orchestrale. Troisième mouvement ("Baby alone in Babylone", cher Gainsbourg!) au thème décliné par les violoncelles et contrebasses, puis repris aux violons et altos, enfin les bois, et Fabien Gabel leur suggère des pianos très beaux, des crescendos judicieux, avant un dernier mouvement aux attaques puissantes, presque violentes, mais jamais brutales, rythmes et contre-rythmes dignes des meilleurs orchestres.

L'orchestre C) Ugo Ponte / ONL-OFJ

Un OFJ parmi les grands de sa catégorie

Fabien Gabel nous l'avait dit, pour l'avoir constaté par lui-même et fait constater par les "tuteurs" de chaque pupitre (un "soliste" choisi parmi les grands orchestres français ou étrangers, du Capitole de Toulouse au Philharmonique de Rotterdam): l'Orchestre français des Jeunes est en train de devenir, mieux, il est devenu, un des tout meilleurs dans sa catégorie, et Gabel, sa modestie dût-elle en souffrir, peut en prendre sa part avec fierté. On attend cet hiver un autre test, celui de la Tragédie de Salomé, partition luxuriante et géniale de Florent Schmitt, qu'il faut débroussailler avant de lui donner de la transparence... Nous n'avons aucune inquiétude sur le résultat mais déjà une grande curiosité.

Concert de l'Orchestre français des Jeunes, direction Fabien Gabel, avec Bruno Philippe, violoncelle: Elle ne dansera plus (Soh); Concerto pour violoncelle (Schumann); Symphonie n° 3 (Brahms)  Nouveau Siècle, Lille (59000), le 3 septembre.

Concert numérique avec le même programme, la 2e symphonie de Brahms remplaçant la 3e, à retrouver sur le site de l'orchestre www.ofj.fr