Le bilan est bon. Quant au "sujet" de l'an prochain, Beethoven, il va ravir ceux qui trouvaient que "ces thématiques (danse, nature, exil, carnets de voyage) des dernières années, c'était un peu compliqué" J'ai aimé, moi, que cela permette toutes les époques et tous les genres de musique...
Un peu moins de billets vendus ne veut rien dire. Il suffit qu'on ait une salle de 100 personnes au lieu d'une salle de 250, le nombre va forcément baisser. Le taux de remplissage est bien plus significatif: 95% en gros, le même chiffre que l'an dernier.
Pour moi, j"'aurai assisté à 33 concerts sur 290. Voici mes "oublis":
- le plus joli concert, le plus heureux: un duo improbable accordéon-mandoline avec Félicien Brut et le mandoliniste Julien Martineau: "Bienvenue à la confrérie des instruments bizarres" nous dit Brut d'emblée. Dès la musique du "Parrain" de Nino Rota, cela fonctionne. Rota prend des accents russes avant une tarentelle endiablée qui nous ramène en Italie du sud. Il y aura aussi de la "vraie" musique russe et la mandoline deviendra la grande soeur de la balalaika. Il y a surtout la complicité de deux garçons qui partagent la musique et rendent les spectateurs heureux.
- Je n'ai pas beaucoup parlé des chefs. Peu connus, venus de l'ancienne U.R.S.S., ils ont bien fait le job. Alexander Sladkovsky a dirigé l'orchestre du Tatarstan (basé à Kazan, plus d'un million d'habitants tout de même) avec une efficacité bonhomme. Mihaïl Gerts, jeune Estonien, très bien dans Fauré, un peu confus dans Debussy. Le meilleur: Fouad Ibrahimov, que j'avais remarqué au concours Svetlanov (chronique du 22 septembre 2018). Magnifique en "accompagnant" de Nicolas Angelich, après de superbes "Préludes" de Liszt presque wagnériens et une souple symphonie "Paris" de Mozart la veille, il a réussi à faire du Sinfonia Varsovia, souvent inégal, un formidable orchestre, réactif, précis, intense de son et cohérent. Ibrahimov a un sale caractère mais c'est efficace!
- Je n'ai pas entendu le jeune Alexander Malofeev, même pas 18 ans, qui remplaçait Alice Sara Ott pour la soirée de clôture dans le "Concerto pour piano" de Grieg. Mais les échos sont unanimes: c'est un génie!
- Belle soirée aussi où Emmanuel Rossfelder recevait ses amis. Dont un bandonéiste de talent, Victor-Hugo Villena, pour revisiter le tango -celui-ci, aux origines, était joué aux piano, harpe, guitare et percussions.
- Et Rossfelder avec le Quatuor Modigliani, accueille dans un "Fandango" de Boccherini un merveilleux joueur de castagnettes, Guy-Loup Boisneau. Boisneau est plus généralement percussionniste. Il se tient tout droit comme un cavalier ou comme un matador, avec un plaisir de jouer qui nous ravit le coeur. Ses amis du quatuor, avec le hiératique Rossfelder, n'ont rien à lui envier.
- Hier, piano. Dans des salles très vides, les gens étaient partis. Dommage pour Youri Favorin (Liszt), pour Marie-Ange Nguci (Liszt et Saint-Saëns), pour la Brésilienne Juliana Steinbach, remarquable dans Villa-Lobos, son compatriote. Nelson Freire l'a déjà repérée, c'est dire... Enfin pour Matan Porat, au beau programme sur les heures de la journée, des "Chants de l'Aube" de Schumann aux "Harmonies du soir" de Liszt ou à la "Sonate au clair de lune" de Beethoven.
- Mon ami Jean Cras, l'amiral. J'aurai encore entendu son "Quintette avec piano" et son "Journal de bord" (des esquisses maritimes pour un énorme orchestre où Cras décrit ses "quarts", les périodes de vigie sur les bateaux). Le violoncelliste du quatuor Psophos nous explique que Cras a toujours composé en mer et qu'il avait son piano dans son salon de commandant de navire.
- Et ce sont justement les élèves du conservatoire de Rennes (que Sylvain Blassel dirige très bien), qui nous offrent le bateau de Cras, le petit train de Villa-Lobos, la grosse locomotive d'Honegger ("Pacific 231) et la descente (en kayac?) de "La Moldau" de Smetana. Que ces garçons et ces filles (de 12 à 20 ans) sont bien, enthousiastes et sérieux, même si les violons doivent encore travailler! Et justement
- On croit toujours que la harpe est jouée par de frêles jeunes filles. La harpe du conservatoire de Rennes est tenue par un grand barbu et chevelu blond très Viking. Il quittera sa harpe à un moment pour aller jouer (dans Villa-Lobos)... de la grosse caisse! "Mais non non, je suis et je reste harpiste" me dira-t-il. Tout de même, quelle polyvalence!
- Un technicien vient ouvrir le piano de N.Gouin: vifs applaudissements. Il faut signe que non, non, il n'est pas le pianiste. Puis se ravise, fait semblant de s'asseoir, sous les rires. Que se serait-il passé s'il avait vraiment commencé à jouer?
- Est-ce le même? Il pose sur le piano d'Angelich la partition du concerto de Liszt (Angelich aime l'avoir, au cas où...) Il ressort. Il revient. Prend la partition et repart avec. On aura confirmation ensuite qu' Angelich n'en avait vraiment pas besoin.
- Allez, encore quelques chiffres de cette "Folle journée 2019": 50.000 personnes par jour le week-end, 10.000 scolaires, 2.500 artistes, 7.000 repas, 19 tonnes d'instruments pour ce qui reste le plus important festival de musique classique en France.
"Le folle journée" de Nantes 2019, du 30 janvier au 3 février