Un Nicolas Angelich transcendant dans le 1er concerto pour piano de Liszt, Anne Queffélec la pianiste et son frère, l'écrivain Yann dans un concert-lecture sur la mer (surtout bretonne) et sur l'eau: c'étaient les temps forts de cette nouvelle "folle" journée.
Coup de coeur à Nicolas Angelich pour son Liszt
J'avais prévu que quand Nicolas Angelich jouerait le "1er concerto" de Liszt, oeuvre virtuose et parfois tapageuse, il y aurait soudain beaucoup de musique. Je ne croyais pas si bien dire: c'est une des plus belles interprétations que j'ai entendues. La plupart des pianistes, et même les plus grands, se reposent dans les passages plus rêveurs de l'énergie qu'ils doivent déployer avant et après. Angelich, lui, retrouve la continuité de l'oeuvre de Liszt.
Les doigts sont des pattes d'oiseaux
Les premiers accords écrasants sont d'une couleur sombre et d'une puissance qui font déjà qu'on tend l'oreille. Angelich fait mieux: il prépare la suite; ces guirlandes de phrases dans l'extrême aigu du clavier (si caractéristique du piano lisztien), Angelich les amène en subtils decrescendos et les quitte en subtils crescendos. La moindre note est pensée, la longueur de chaque silence, avec évidemment une technique admirable mais qui paraît si naturelle. Chaque section a son climat et, aussi bien dans le si joli passage amorcé par le son du triangle que dans l'accélération finale, on dirait que les doigts d'Angelich sont des pattes d'oiseaux courant sur les touches, comme si la pie du tableau de Monet s'animait et sautillât sur la neige.
La croisière des Queffélec
L'autre rencontre-phare, celle du frère et de la soeur, Anne Queffélec (la pianiste) et Yann Queffélec (l'écrivain) m'a laissé plus perplexe. Cela s'appelle "En musique, en mer". Il est dix heures du soir, on s'embarque pour une croisière prévue d'une heure et quart, ponctuée (on suppose) de textes sur la mer et, bien sûr, de musique, Debussy, Ravel, les plus rares Koechlin ("Le chant des pêcheurs") ou Reynaldo Hahn ("Hivernale")
La croisière durera deux heures. Les croisiéristes accosteront, épuisés, à plus de minuit.On aura vu d'abord un Yann Queffélec devant nous, immobile tel un Breton droit face à la mer une nuit de tempête, et qui se dit "Je tiendrai bon" (Car évidemment "en mer", c'est la Bretagne, pas le détroit d'Ormuz)
Yann l' "imprécateur"
On aura commencé à entendre un texte, certes intrigant, mais dont on peine à comprendre où il va, considérations sur le temps, la grandeur de l'horizon, le sens de la vie (on suppose), texte d'un lyrisme parfois bien venu ("Qu'y a-t-il au fond de l'horizon? Le fond de l'horizon"), parfois incompréhensible, et surtout éloigné des oeuvres. Avec des fulgurances parfois: l'opposition complémentaire Debussy-Monet, "La cathédrale engloutie" de l'un (celle de la ville d'Ys, maudite) et la cathédrale lumineuse de l'autre, la série de Rouen. Queffélec est parfois imprécateur, à la manière de Vallès, de Léon Bloy, avec cette voix qu'on n'a pas vraiment envie d'interrompre, cette stature...
Et sa soeur Anne, toute frêle, semble faire parfois de la figuration.
Anne superbe dans Debussy, Ravel...
Pourtant quand ses doigts prennent la parole, c'est merveilleux: des Debussy raffinés ("Reflets dans l'eau", "La cathédrale engloutie", "Ondine"), "Une barque sur l'océan" de Ravel admirable, et qui nous rappelle combien Queffélec est une grande interprète de la musique française, même. si "Clair de lune" du même Debussy la trouve un peu fatiguée! Car le temps passe, les formules de Yann font parfois mouche ("Une cathédrale, le plus ingénu des gratte-ciel") parfois non. On cite le Breton Renan ("Les dieux passent comme les vivants, il est bon qu'ils soient mortels"), on cite le père, Henri Queffélec, on ne cite d'ailleurs que la Bretagne. Yann nous a demandé de ne se manifester qu'à la fin (excellente initiative). Un silence total et profond a donc envahi la salle, dont on ne sait s'il est fascination ou sommeil.
Venise, on accoste seul!
Soudain on est à Venise. Anne joue "La lugubre gondole", celle de la dépouille de Wagner qui, dans une gondole noire, glisse sur les canaux par une nuit de brume. Musique énigmatique d'un Liszt qui va bientôt s'éteindre lui-même. Hélas! on n'écoute plus trop. On ne sait où Yann va finir sa course. On a renoncé à le suivre jusqu'au bout. On a regagné la terre ferme.
"La folle journée" de Nantes le 3 février