Ce jeudi deux concerts autour de Jean Cras, compositeur et amiral de la flotte, mais aussi un "carnet de voyage d'un trio en Europe" avec le Youtubeur Guillaume Benoit, qui est mon coup de coeur.
Coup de cœur pour Guillaume Benoit, le Youtubeur fan de classique
Il s'appelle Guillaume Benoit. Il est assis à une petite table, lisant ses SMS. Ses complices du Trio Chausson (piano-violon-violoncelle) nous jouent d'emblée le trio "des Esprits" de Beethoven. Guillaume se lève alors, il est un peu rond, pull gris clair, jean et chaussures jaunes. Un "djeune". Il se présente, il est blogueur, 45.000 abonnés pour son "Révisons nos classiques" mais "aujourd'hui, vous êtes 450, dix fois moins et j'ai dix fois plus le trac" Il a fait un peu de piano, de chant choral, "pas très bon ni dans l'un ni dans l'autre" mais (et il gonfle son ventre) "j'ai pourtant un peu le physique de Pavarotti".
Un trio en Europe
Et le voici qui nous apprend que son arrière-grand-père était pianiste, son grand-père violoncelliste, son père violoniste, ils formaient un trio dans les années 80 et son père tenait un carnet de voyages, de leurs voyages à travers l'Europe.
Guillaume, le carnet à la main, qu'il lui arrive de nous lire, raconte cela avec charme, simplicité, un peu de trac même. Et nos amis du trio Chausson illustrent les souvenirs du père, avec des raretés parfois, le "Trio n° 2" de l'Espagnol Turina, que sa parentèle "avait joué à Madrid le 20 septembre 1984, mon grand-père y tenait absolument" C'est parfois cocasse autant que sinistre, quand il raconte Ernest Chausson (on entend son Trio), grand sportif, et qui en est mort: "Il fait du vélo, une grande pente, c'est le printemps mais les freins lâchent. Vlam! C'est chausson aux pommes, y'en avait partout. 44 ans, rideau! "C'est cruel mais ça s'est passé ainsi.
Papa amoureux d'un regard
On apprend aussi que les supporters de l'Olympique Lyonnais ont un chant de guerre sur la "Symphonie du Nouveau monde" de Dvorak, avec des paroles sublimes: "Po po po po po po": "Excusez-les" dit Guillaume. Son évocation de Schubert ("Hommage! Il est né le 31 janvier"), mélange de majeur-mineur, d'extraverti-introverti, qu'il illustre en braillant "Je t'aime" comme Lara Fabian et en chuchotant "Je t'aime" comme Carla Bruni (cela fait beaucoup rire), précède le magnifique Andante du "2e Trio" (très bien, les Chausson, mais le pianiste est souvent trop brutal). Il semble que papa soit tombé à Vienne, en le jouant, "amoureux d'un regard" et après un Dvorak, et un soir, à Londres, un York Bowen, le Rachmaninov anglais (c'était, le 24 décembre 1991, le premier concert auquel assistait le (tout) petit Guillaume) "car il y a eu des épisodes sur lesquels je passe", Papa n'écrira plus rien.
Maman serait-elle autrichienne?
Et d'ailleurs tout cela est-il vrai? Mais c'est si joli, et joliment fait, qu'on ne veut pas le savoir.
L'insolite du jour : l'amiral Cras
C'est Jean Cras, dont Gaspard Dehaene jouait un paysage maritime ce matin, et ce soir Jean Dubé trois pièces dont une danse martelée, qui sonne aussi bretonne que cévenole! Jean Cras, qui fit une éblouissante carrière de marin et finira contre-amiral dans sa ville natale de Brest, foudroyé par un cancer en 1932 à seulement 53 ans. Les marins utilisent encore un système inventé par lui qui permet de tracer sa route.
Sa musique, un peu diluée parfois (comme si les vastes horizons lui donnaient trop de fougue), commence par une petite marche sautillante et s'élargit à de grands accords puis à des descentes et des montées très virtuoses sur tout le piano. La pièce jouée par Dehaene ressemble au carillon répété d'une église bretonne qu'on entendrait du large.
Un fils qui tient de sa mère
Gaspard Dehaene, qui est le fils d'Anne Queffélec et donc breton lui aussi, avait commencé par quatre pièces de Charles Koechlin. Koechlin rêvait aussi d'être officier de marine, la tuberculose l'en empêcha. Sa musique est plus minimaliste que celle de Cras, c'est la mer vue de la terre, "Sur la falaise". "Ceux qui vont pêcher au large dans la nuit" a des accents sombres et mâles, "Soirs d'angoisse" est plus clair, allégé, ce sont les femmes qui redoutent la mauvaise nouvelle. Dehaene s'est désormais fait un nom, son nom. Il a beaucoup de goût, de sensibilité. Pendant qu'il nous joue un bis de Schubert, une dame se glisse dans la salle, écoute. Sans doute émue. Maman Anne. Cela ressemble à un tableau breton, de Koechlin ou de Cras.
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