Folle journée de Nantes : le voyage de la fanfare roumaine à travers le monde

Ciocarlia hier à Nantes. L. Radulescu avec le chapeau C) Marc Roger

La fanfare roumaine Ciocarlia : cela a failli être mon coup de coeur. Le récital de Jean Dubé : j'ai découvert un grand pianiste. L'"Italienne" de Mendelssohn : pas une femme mais une symphonie. Hélas! mal jouée, c'est mon coup de gueule. Mon "carnet de voyage" dans les salles de la Folle journée.

L'insolite du jour: la fanfare "Alouette"

L'histoire de Ciocarlia (alouette, en roumain) est assez belle. Soient quelques musiciens roumains, certains tziganes, basés au nord-ouest de la Roumanie, jouant pour les mariages. Deux Allemands passionnés les découvrent en 1996, les prennent sous leur aile, leur font faire une tournée en Allemagne. Triomphe. Depuis ils sont 24, ont élargi leur répertoire au jazz, aux musiques de films. Ils se surnomment "la fanfare la plus rapide de l'Est". Mais est-ce une qualité?

Les voici en scène, tout en noir, que des hommes donc, pas tout jeunes d'ailleurs. Un des leurs nous dit "Welcome, ladies and gentleman" Zut de zut! Ils viennent de Roumanie, ce pays si francophone, une de nos soeurs latines (la plus proche du latin, disent les Roumains eux-mêmes). A la fin (pourquoi ne pas avoir commencé par-là?) c'est leur batteur lui-même (très bien, le batteur) qui les présentera dans un français un peu exotique mais très correct.

Virtuoses mais pas toujours authentiques

Virtuoses ils sont. Vraiment. On ne peut leur enlever cela. Ils démarrent par un "Toba Mare" (Grosse caisse) très "grosse caisse", tonitruant et même bruyant. Au bout de deux numéros on est déjà un peu épuisé, et puis on a dû leur dire qu'il fallait faire participer le public, que celui-ci batte des mains en un grand happening. Cela finira par arriver mais d'abord on a envie de les entendre. S'approche un vieux monsieur à petit chapeau noir, Lazar Radulescu (qui joue aussi de la trompette), il chante d'une voix grave, un peu tremblante, "Lume Lume" (le monde, le monde, qui signifie, en roumain comme en français, aussi bien l'univers que la foule). Et voilà: c'est très beau, très authentique, c'est ce qu'on attend d'eux.

Evidemment, s'ils n'avaient pas croisé les Allemands, certains d'entre eux seraient dans le métro à nous chanter "Besame mucho" ou "La vie en rose" alors qu'ils (les chanteurs du métro) sont vraiment émouvants quand ils nous font un air tzigane. Avec Ciocarlia on n'aura pas droit à "Besame mucho" Mais tout de même à "James Bond" (d'ailleurs très bien)!


Violoncellistes du Tatarstan: c'est Nantes C) Marc Roger

Coup de coeur pour le pianiste Jean Dubé

Non, pas pour Pierre Hantaï, toujours d'une austérité éblouissante, avec la petite lumière qui, dans l'ombre noire de la salle, éclaire ses mains, son visage, ses partitions blanches de Scarlatti ou Rameau et les reflets de feu de son clavecin. Mais pour le peu connu pianiste franco-canadien Jean Dubé, merveilleux musicien qui ne sera jamais une star. Avant ses Jean Cras une "Ballade" de Debussy rarement jouée, comme si Debussy avait trempé sa plume dans une toile de Monet ou de Sisley. Et du Alexandre Tansman, ce juif (de la bourgeoisie) polonaise exilé en France, puis aux Etats-Unis. Pourquoi lui? Parce qu'il avait épousé la fille de l'amiral Cras. Il n'y a qu'à Nantes qu'on entendra ce "Tour du monde en miniatures" où le piano imite les sonorités du gamelan. Et Dubé y est remarquable. Comme dans la "Grande fantaisie espagnole de concert" de Liszt. C'est le Liszt qu'on aime et/ ou déteste, qui fait les pieds au mur avec une virtuosité hallucinée. On croit que c'est fini et ça repart, on imagine Liszt et ses admiratrices, à qui il donne tout et de plus en plus, comme dans le film "Lisztomania" de Ken Russell. Et Dubé y est incroyable, se sortant de ce truc insensé et beaucoup trop long frais comme un gardon.

Un coup de gueule pour finir

La si ravissante "Symphonie italienne" de Mendelssohn par l'ensemble russe Musica Viva, qui sonne bastringue, cirque de Moscou! Cordes désagréables, phrases sans vie, un timbalier qu'on a envie d'assassiner tant il joue fort. Heureusement Mendelssohn lui coupe la chique dans le mouvement lent mais le ressuscite au final. Les flûtes sont plutôt bien mais pour rater la partie des vents il faudrait les confier à l'équipe de France de foot. Au lieu de l'Italie qu'on aime, chaleureuse, festive et ensoleillée, on a l'Italie de Salvini, brutale et agressive.

"La folle journée" de Nantes, 31 janvier