Felicity Lott réconcilie Français et Anglais autour de Schumann, Offenbach... et Napoléon!

Felicity Lott a sa Victoire de la musique C) Pascal Guyot, AFP

Après Angela Gheorghiu, une autre "grande dame" du chant (selon l'expression consacrée) était à Paris ces jours-ci: Felicity Lott. Grande dame ou... Dame tout simplement, puisque la Britannique a été anoblie à vie par Sa Majesté. Dans un autre cadre royal, celui des Invalides, voire impérial puisqu'il s'agissait d'un cycle consacré à Napoléon, Felicity Lott distillait quelques mélodies exquises au milieu de textes de ses compatriotes.

Les Invalides, salon de musique 

C'était donc dans le salon d'honneur de l'hôtel des Invalides, un nouveau concert lié à l'exposition "Napoléon stratège" (voir ma chronique du 23 mai), et en présence de nouveau du général-gouverneur des Invalides qui semble se révéler un mélomane de premier ordre. A-t-il mis son nez dans la programmation qui nous attend l'année prochaine et qui promet aussi par sa richesse? A l'heure, en tout cas, où le musée d'Orsay manque un peu de visibilité musicale et où le Louvre semble ne plus considérer la musique comme une partenaire de ses collections, il faut s'habituer à ce nouveau lieu de concerts qu'est en train de devenir les Invalides, surtout quand il reçoit des "stars" de la musique comme Dame Lott.

Felicity Lott, le dos droit

Qui entre et s'assied, modeste, sur sa chaise. Modeste mais le dos droit, le port altier: le maintien, appris dans les meilleures écoles (ce n'est peut-être pas du tout le cas, cela la ferait peut-être rire). Elle est accompagnée. D'un comédien qu'à ma grande honte je ne connaissais pas, Alain Carré. D'une pianiste, Jacqueline Bourgès-Maunoury.

Celle-ci se révélera bon accompagnatrice et moins bonne soliste sur ce piano italien qui claque! Bourgès-Maunoury nous offrira en "respiration" deux Schubert, la "Marche militaire" et la "Mélodie hongroise", sans grandes nuances ni grande souplesse. Pourquoi Schubert d'ailleurs dans ce concert où Napoléon et les Anglais se regardent?

Napoléon s'échappe par une fenêtre à la bataille de Leipzig, caricature anglaise C) Leemage

Les écrivains anglais sur Napoléon

Car c'est l'idée de ce programme, d'aller chercher ce que les Anglais ont dit de Napoléon, des Anglais de ce temps-là et des Anglais plus proches de nous. On ne sait trop qui a fait les choix desdits textes (et cela demande un vrai travail de chercheur), est-ce Alain Carré lui-même (en ce cas, bravo à lui!)? Et l'on regrette de ne pas avoir dans le programme les titres des oeuvres, car avouer que voir l'auteur de "Sherlock Holmes" ou celui de "Tess d'Uberville" écrire sur notre empereur près de cent ans après les faits est assez inattendu!

Figure d'ivoire et marche régimentaire

Cela commence ainsi: "Maigre dans sa jeunesse, il avait pris de l'embonpoint avec l'âge. Il n'avait pas bonne grâce à cheval... Sur sa figure d'ivoire il y avait une luminosité incertaine qui attirait le regard" C'est de Walter Scott, l'auteur d' "Ivanhoé" On enchaîne sur du Conan Doyle, Felicity Lott chante alors.

"O would I were but that sweet linnet": c'est une mélodie de l'inconnu William Smyth. Lott se montre déjà une DISEUSE: tous les sentiments de cette petite oeuvre passent sur son visage. Et la technique, suppléant au fait que la Dame a l'âge qu'elle a (un peu plus de soixante-dix, ce n'est nullement un mystère), lui fait joliment arrondir la note en prenant l'air dans le fond de la gorge. Le "Bonnie Laddie, Highland Laddie" (une mélodie écossaise en forme de marche de régiment, harmonisée... par Beethoven) est d'un caractère populaire délicieux.

Un ami lit près de la cheminée

Alain Carré, lui, se montre fin diseur, timbrant sa voix sans la faire gronder, lisant comme s'il était debout contre la cheminée pour distraire des amis un soir d'hiver pendant que siffle la tempête au-dehors. "En Napoléon le soldat français a tout de suite vu un chef. Le soldat anglais aurait pensé qu'on lui avait donné un comédien extravagant comme général" (Walter Scott encore) "Les hommes comme toi qui passent sur le monde pour faire une époque... comme le tisonnier d'airain qui attise le feu parce que tel est son rôle" (Thomas Hardy)

Napoléon part à l'île d'Elbe, caricature anglaise C) Ann Ronan Public Library

Description des Anglais par un Irlandais

Il y a des auteurs, souvent contemporains de l'épopée, assassins pour Napoléon, Carlyle ou Sheridan, d'autres balancés, tel Scott. Anthony Burgess, au XXe siècle, est entre vacherie et admiration: "Il devient pote avec le pape... Mais les Corses, au fond, sont tous bandits d'honneur..." (La symphonie Napoléon)                                                                    Et même, au milieu un George Bernard Shaw qui rosse les Anglais (mais Shaw était irlandais): "L'Anglais, vous ne le trouverez jamais dans son tort. Il vit selon ses principes. Il vous vole par principe du commerce. Il vous brutalise selon des principes virils. Et il considère que la nation qui laisse son devoir aller à l'opposé de ses intérêts est perdue"  Cela réjouit les Français de l'assistance. Dame Felicity écoute avec une grâce indifférente d'une exquise retenue.

Lott chante Schumann, Carré lit Byron

Entre-temps elle aura chanté un air de "La douceur du foyer" d'Henry Rowley Bishop (?) comme si c'était du Mozart, donné au "Deux grenadiers" de Schumann tout son art du dire, s'essayant même à un "Sprechgesang"  (parlé-chanté) des plus judicieux, puis rendu toute son "anglicité" populaire à la ballade de Britten, "Sweet Polly Oliver"

Byron vient de nous épingler: "C'est toujours la même chose avec les Français, ils sont incapables de laisser les femmes tranquilles". De la part d'un tel séducteur, cela ressemble, se dit-on, à de la jalousie. Scott encore, plus acide: "Les Français prennent au pied de la lettre tout ce qui ressemble à un compliment" Et Carlyle: "L'oeuvre de Napoléon? Un éclair de poudre... certes largement répandu!" Il y aussi Wordsworth, le grand poète des Midlands. Ou, de Kipling, un texte bizarre, exalté.

Dame Felicity C) Daniel Janin, AFP

Cruelle description de l'impératrice

Que serait Napoléon sans Joséphine? La description de l'impératrice par Conan Doyle est d'une misogyne (auteur de Sherlock Holmes oblige!) cruauté: "Elle avait six années de plus que lui. Elle en paraissait trente" (autant dire, pour l'époque, le début de la vieillesse)... "Comme beaucoup de créoles elle avait commencé à se faner de bonne heure. Elle avait sur le visage des plaques de rouge et de blanc pour cacher ses joues jaunies. Grands yeux noirs, pathétiques. Elle riait rarement, ayant sans doute de bonnes raisons de ne pas montrer ses dents".

Dame Lott aime les militaires

Dame Lott nous donne un Beethoven, cette fois en allemand "Ich liebe dich", très beau, on dirait du Schubert. Puis un vrai Schubert, "Ellen's zweiter Gesang", inspiré de la "Lady of the lake" de Walter Scott . C'est Lott l'incomparable mélodiste qu'on entend, et dont son amour de la musique française ne nous fait pas oublier qu'elle chante le lied allemand aussi bien.

Elle nous aura déjà régalé d'un de ses "tubes": "Ah! que j'aime les militaires". Ce n'est plus Napoléon Ier mais Napoléon III à travers Offenbach. Et moi qui ai si souvent entendu cet air, je compare forcément Lott avec Isabelle Druet, écoutée l'autre jour (voir ma chronique du 12 juin): quand la Grande-Duchesse de Gerolstein chante "Je voudrais être cantinière", Isabelle Druet... l'est déjà. Felicity Lott y met une moue qui signifie: "C'est peut-être amusant mais je ne sais pas trop ce que c'est" Divorce éclairant, où aucune n'a tort.

 

D.R.

Brel pour finir... et des escarpins bordeaux

Alain Carré reviendra avec une étrange récitation, où l'on quitte Napoléon mais pas les militaires, du côté d'un soldat qui vieillit près d'une forteresse immobile. Non, ce n'est pas "Le désert des Tartares" c'est le "Zangra" de Jacques Brel; et quelle force et quelle beauté lasse a ce texte, simplement DIT!

Dame Lott, comme nous, applaudit justement son camarade. Et se retire. On a eu toute la soirée pour admirer sa robe-tunique façon velours vert orné de fleurs rouge cerise en fondu. Ses escarpins bordeaux à petits talons auraient ravi sa Première ministre.

Concert-lecture de Felicity Lott, soprano, avec Jacqueline Bourgès-Maunoury, piano: oeuvres de Schubert, Smyth, Beethoven, Bishop, Schumann, Britten, Offenbach. Alain Carré, récitant, lit Walter Scott, Conan Doyle, Carlyle, Thomas Hardy, Sheridan, Burgess, Wordsworth, Byron, Kipling... et Brel. Salon d'honneur de l'hôtel des Invalides, Paris, le 18 juin.