Parsifal en bermuda moutarde, les chevaliers du Graal en survêtement: c'est une des trouvailles de Richard Jones, le metteur en scène de "Parsifal" à l'Opéra-Bastille. Le Britannique en a d'autres du même genre dans sa hotte, dont on dira qu'elles sont au moins cohérentes avec sa vision, mais c'est justement cette vision même qui nous gêne. En revanche la qualité musicale de ce "Parsifal" est au rendez-vous.
Le testament de Wagner
C'est un testament. Le testament d'un Wagner qui aura juste le temps d'entendre son oeuvre à Bayreuth en juillet 1882, avant de mourir six mois plus tard. Ce "Parsifal"-là, c'est le "Perceval le Gallois" d'Eric Rohmer (incarné par Fabrice Luchini) , chevalier de la Table Ronde et des légendes arthuriennes tel que nous le narra Chrétien de Troyes; et chez Wagner, "jeune homme pur de tout péché".
La douleur de la lance sacrée
A l'époque le roi qui veille sur le Graal s'appelle Amfortas, il a été blessé par une lance magique dirigée vers lui par Klingsor, ancien du Graal et magicien félon. Cette lance est la lance sacrée qui perça le flanc du Christ, la blessure d'Amfortas ne guérit pas, le laissant dans un état de douleur constante mais sans que jamais sa vie soit menacée, protégé qu'il est par le Graal.
Parsifal, une vie d'errance
Le Graal dont il refuse de présider les cérémonies malgré l'insistance des chevaliers qui l'entourent. Seul un pur et jeune innocent pourrait délivrer Amfortas du sortilège. Gurnemanz (Gournemont chez Rohmer), conseiller d'Amfortas, pense que Parsifal est l'élu. Klingsor, qui devine aussi qui est Parsifal, ordonne aux filles-fleurs de son jardin enchanté de le séduire, puis à Kundry, mystérieuse sauvage qui a déjà suborné Amfortas et qui, embellie, révélera à Parsifal ses origines troublées. Mais Parsifal résiste. Kundry-la-maudite va maudire Parsifal à son tour, le condamnant à une vie d'errance. Parsifal qui, entre-temps, a tué Klingsor et s'est emparé de la lance sacrée.
Bien plus tard, de retour, le jour du Vendredi Saint dans la communauté laissée à vau-l'eau, Parsifal, qui a vécu mille épreuves, retrouve Kundry qu'il baptise, guérit Amfortas avec la lance sacrée et devient le souverain du Graal, enfin sorti du tabernacle.
Tentations et spiritualité
C'est une histoire pleine de trous, où les épisodes de la vie errante de Parsifal (ceux qui intéressent Rohmer) ne nous sont pas contés. Chez Wagner Parsifal est, dans le premier acte, un passeur, un témoin quasi muet, venu de nulle part, un jeune homme qui, dans le deuxième, résiste aux tentations et, dans le troisième, a enfin compris sa mission et l'accepte chrétiennement. Wagner, qui a toujours été attiré par la spiritualité mais moins par la religion, mélange cette fois christianisme et légende symbolique, la pensée et la chair, l'apprentissage et le poids du pouvoir et c'est au moins une des qualités de la mise en scène de Richard Jones de mettre en contraste la terrible lassitude d'Amfortas et l'acceptation, par Parsifal, de son destin.
Un metteur en scène qui refuse la mystique
Le problème, c'est qu'il y a une élévation constante, quasi ésotérique, dans les gestes de Parsifal, dans la musique de Wagner, cet opéra testamentaire étant un concentré de tous ses opéras, l'amour, le pouvoir, la connaissance transcendés. Mystique païenne, mystique religieuse, peu importe. Mystique que Richard Jones refuse, délibérément.
Dans de beaux décors en soi, dignes d'une froide université allemande, sous l'autorité d'une statue dorée qui ressemble à Napoléon et qui est celle de Titurel, père d'Amfortas et fondateur de la communauté du Graal, on se retrouve au milieu de collégiens... en survêtement donc, mais aussi en chaussettes blanches et sandalettes, sur lequel ils passent de jolies tuniques noir et or, comme si URTZ, le costumier et décorateur, n'osait pas aller totalement au bout du misérabilisme vestimentaire. On comprend l'idée: il y a l'intime, en négligé, il y a la représentation. De même, mais cela a plus de sens, sur sa tenue de curiste lambda Amfortas va revêtir l'hermine royale.
La belle machinerie de l'Opéra-Bastille
On saura gré à ULTZ d'utiliser à plein la machinerie de Bastille, tableaux qui défilent horizontalement devant nous, la chambre d'Amfortas, la bibliothèque où les chevaliers et leurs pages lisent tous le même livre intitulé "Wort" (le mot): le verbe saint (version religieuse), ,la force du discours (version laïque)? Rappel de la puissance des mots, de leur danger d'embrigadement, la communauté des chevaliers vue comme une secte?
A quoi sert donc Parsifal?
Sauf qu'on finit par se demander ce que fait Parsifal dans cette histoire. Au début grand dadais insignifiant, à nous faire oublier la vraie voix de ténor héroïque wagnérien (Heldentenor) d'Andreas Schager, en revanche piètre comédien. Ce contraste entre sa voix et sa tenue est encore plus sensible face aux filles-fleurs qui sont des filles-maïs (sic), d'une totale vulgarité avec leurs fesses et leurs seins hypertrophiés qui provoquent cependant un "Jamais je n'ai vu race si charmante" de Parsifal, qu'on mettra sur le compte d'une poussée de sève d'un puceau au printemps.
Il faut attendre que Parsifal apparaisse en guerrier dans son duo avec Kundry (même si son épée ressemble à un couteau à pain) et, pire encore, en "black bloc" quand il revient au palais d'Amfortas pour qu'on ait un Parsifal que l'on prend au sérieux, la voix de Schager se déployant avec une facilité magnifique, à la hauteur du rôle qu'il s'apprête à jouer au final.
La grandeur de l'oeuvre dans les voix
Ce sont donc les voix qui nous donnent la grandeur de "Parsifal", quand elles sortent de la gangue triviale dont Richard Jones entoure leur personnage. Le magnifique Amfortas de Peter Mattei est celui qui échappe le mieux à ce contraste: roi épuisé qui suinte le sang, plaie humaine que ses chevaliers poussent vers ce Graal qu'il refuse (très belle scène de l'acte 3, sur la musique admirable de l' "Enchantement du Vendredi saint"); beauté de la voix sur toute la tessiture et talent d'acteur qui nous rend cet Amfortas bouleversant.
Une Kundry à deux visages
Dans le rôle difficile de Gurnemanz, Gûnther Groissböck est formidable: vraie basse, dont il a les graves sonores, il est aussi bien en conseiller un peu phraseur dont il réussit, sans rien paraître, à animer le discours, qu'en chevalier fatigué, vieilli, au retour de Parsifal.
On ne comprend pas très bien pourquoi Anja Hampe présente ces deux visages de Kundry; mais peut-être est-ce à la demande de Jones. En sauvageonne la voix bouge, les graves sont incertains; en séductrice, malgré encore un peu de vibrato, la ligne de chant est souple, les graves et les aigus faciles, l'incarnation a du souffle, de la présence, la séduction qu'il faut. Evgueni Nikitine est un bon Klingsor... habillé comme un condamné à mort des prisons américaines.
Se méfier de trop de beauté
Philippe Jordan, qui recueillera les ovations du public, exacerbe ses propres qualités et aussi ses défauts -dès l'ouverture où il interrompt des thèmes sublimement conduits par des silences interminables. Il rend la beauté sonore admirable de l'oeuvre grâce à des musiciens en état de grâce, nuances impalpables, accélérations magnifiques, lisibilité de l'orchestration, perfection des interventions solistes. Et parfois les tempos étirés, la focalisation sur un passage comme avec un microscope, nous détache de l'oeuvre car, pour nous aussi, c'est un marathon musical (plus de quatre heures)
L'enthousiasme du public
Et, comme par hasard, il s'agit de moments où la mise en scène de Richard Jones piétine, comme le duo où, pendant que Parsifal chante devant nous, en avant-scène, Kundry en est réduite à tourner autour de lui, à droite, à gauche. Ou dans le baptême de Kundry et le lavement des pieds de Parsifal, réduits à un cérémonial bâclé, incompréhensible.
Ce qui ne semble pas gêner des spectateurs finalement assez enthousiastes. Car, on les entendait, insensibles à la beauté toute spirituelle de l'histoire de Parsifal et d'Amfortas. Forcément: cette histoire, on ne leur a pas vraiment raconté.
"Parsifal" de Richard Wagner, mise en scène de Richard Jones, direction musicale de Philippe Jordan. Opéra-Bastille, Paris, les 20 mai et 23 mai.