Dans la région rennaise, à Tinteniac, tous les salariés d’une boulangerie ont décidé d’apprendre la langue des sourds pour mieux intégrer dans leur équipe Marie qui depuis sa naissance ne perçoit aucun son. Une belle initiative pour lutter contre l’exclusion et favoriser l’intégration en entreprise.
Par Catherine Jauneau
Au laboratoire devant les fours et les baguettes en préparation, Nicolas, Gustave et Marie se partagent le travail. Tous les trois sont ouvriers boulangers au fournil de Fèwen, dans le petit bourg de Tinténiac en Ille-et-Vilaine. Beaucoup de connivence dans l’équipe et pourtant à 28 ans, Marie ne parle pas. Sourde profonde de naissance, elle ne perçoit que les vibrations et communique uniquement par signes. Ses collègues ont donc décidé d’apprendre son langage.
De retour de week-end, ils plaisantent tout en surveillant la cuisson des pains. « Tes résultats de foot, ça a donné quoi, tu as perdu ? », demande Gustave à Marie en faisant les bons gestes. Elle fait partie d’une équipe de sourds sur Rennes et Gustave malgré le handicap de sa collègue, n’a aucun problème pour comprendre sa réponse. Tous deux se sont croisés dans un autre établissement. C’est lui qui l’a recommandé pour ce nouvel emploi. Au début, chacun se comprenait comme il pouvait, avec des petits mots sur des ardoises ou par des mimes.
Grâce à l’initiative de la gérante, les choses ont changé. Karine Guerin-Duhaubois a contacté l’URAPEDA (association de parents d’enfants déficients auditifs). Durant cinq mois, jusqu’en juillet, deux heures par semaine, un professeur de langue des signes vient initier le personnel aux rudiments. L’initiation, financée via une aide disponible pour les entreprises, se fait au-dessus de la boulangerie.
On troque les tabliers et les blouses pour se réunir autour d’un petit tableau pour pratiquer des exercices ludiques. Chacun y met du sien et s’est peu à peu rendu compte qu’en rétablissant le dialogue avec Marie, elle était moins isolée lors des repas pris en commun ou des petits moments de convivialité. « Apprendre cette langue, c’est aussi l’occasion de s’ouvrir sur la différence, c’est épanouissant et ça peut nous éviter de nous refermer face à l’autre », précise Nicolas.
Marie, elle, semble désormais tout à fait à l’aise dans l’équipe. Avec un plus, parce que ses collègues ont aussi assimilé un peu de lexique en lien avec le métier et qu’elle les voit progresser.
La formation à la langue des signes est payante, mais prise en charge par des aides offertes aux entreprises. Aussi, la gérante aimerait donner l’exemple et inciter d’autres patrons à intégrer des salariés en situation de handicap. « Cela ne doit pas faire peur, il faut juste oser. Beaucoup de sourds sont au chômage, c’est injuste ».
Reportage : Catherine Jauneau, Jean-Michel Piron.
Intervenants : Gustave Bohéas (ouvrier boulanger), Nicolas Regnault (ouvrier boulanger), Marie Chaillou (ouvrière boulangère), Emilie Lemetayer (pâtissière), Karine Guerin Hautbois (gérante « fournil de Fewen »).