© Flickr / Trostle

La clope et moi (et mon poids)

C'est comme un amour de jeunesse avec lequel on recouche régulièrement. Parce qu'on aime la légèreté, qu'il n'y a rien de plus grisant que de faire une bêtise et qu'on emmerde la morale. Parce qu'on a terriblement envie de croire qu'on est encore jeune et rebelle.

Depuis mes 13 ans, je fume cinq ans et j'arrête cinq ans. Ce n'est pas un plan initial mais la façon dont les choses se passent. Et pendant ma deuxième grossesse, j'ai acquis la ferme intention de recommencer. Cette existence tournée vers le bien-être et le self-control total me dégoûtait à m'en faire vomir. Bien manger, bien dormir, faire du sport et avoir le poil brillant, beurk... J'avais envie d'être ivre, de puer la clope et de faire n'importe quoi. Ce que j'ai très bien fait par la suite.

J'ai adoré fumer. Pendant mes années d'abstinence, je continuais de rêver que je tirais sur une clope. Et l'hiver dernier, quand il faisait -15°, j'en fumais deux d'affilée quand je faisais une pause. Fumer, c'est un peu dire merde aux autres. C'est mauvais pour la santé et on pue de la gueule ? On s'en braaaanle, on est rock'n roll. La vie chronométrée, pleine d'obligations, de 5 fruits et légumes par jour, de factures et de rendez-vous de parents d'élèves ? On l'emmeeeerde. Bref, le monde manque d'espaces de liberté et d'absurdité et ç'en est un.

Pourtant fumer, c'est quand même débile. On sait bien au fond que, non, ça n'aide pas à se concentrer, ça n'aide pas à se détendre, ça n'aide pas à se donner un coup de fouet. C'est quand la même la seule drogue qui ne défonce pas. L'arnaque. Aucun service rendu, à part aux cigarettiers, capitalistes sans scrupules qui s'enrichissent sur mon cancer.

En février, j'ai donc arrêté de fumer pour la troisième fois. Sans patch, sans pétard, sans aide. Mais en prenant 3 kilos. Et puis merci les 3 kilos hein. Intégralement situés entre les cuisses et le nombril. Y'en a pas un peu qui aurait monter jusqu'aux seins, c'était trop demander ?

Et là, la maman qui fait partie de moi est vénère. Je n'ai pas perdu sept kilos et l'intégralité de ma masse musculaire après mes deux grossesses pour me retrouver avec une bouée à la place de mes abdos au moment du sevrage de nicotine. No way. Donc je vais me battre. Déjà ne pas recommencer à fumer, parce que, sinon, j'aurais juste gagné... trois kilos. Et puis les reperdre. Parce que la clope, c'est comme un amour de jeunesse. Quand on se revoit, on a besoin de lui prouver que, même sans lui, on est toujours aussi canon, voire mieux.

6 semaines d'aménorrhée © Emma Defaud

Le cauchemar du 3e enfant

J'ai du mal à fermer mon jean, je suis légèrement écoeurée après le repas et mes seins ont gonflé. Si je faisais attention à mon cycle, je m'apercevrais que mes règles ont du retard, mais comme j'ai toujours été incapable de retenir cette date, je reste dans le plus grand flou.

Immédiatement, toute femme normalement constituée accouche d'une seule et même pensée : et si j'étais enceinte ? Quelques minutes de réflexion suffisent à me rendre à l'évidence: l'accident n'a pas pu avoir lieu ce dernier mois. Mais mon esprit pervers ne s'apaise pas pour autant. J'en conclus juste que je suis enceinte depuis plusieurs mois. A tous les coups, je fais un déni de grossesse. PUTAIN J'AI FAIT UN DENI DE GROSSESSE.

Saucisses-purée et perte des eaux

Parce qu'il y a un enseignement à retenir de l'affaire Courjault. Et pas que c'est mal de foutre ses bébés au congélo, je le savais, je ne suis pas cette mauvaise mère là. Non, la vraie révélation de cette affaire, pour moi, c'est le déni de grossesse. Il y a des femmes qui ont un polichinelle dans le placard et qui s'en rendent compte quand le mouflet leur tombe entre les jambes. Souvent elles n'ont pas envie de ce bébé, et dans leur petite tête malade, elles se dissimulent leur état, parfois même elles continuent d'avoir leurs règles, jusqu'au jour où elles pensent de pas avoir bien digéré les saucisses-purée de midi et BIM, elles perdent leurs eaux.

Mon esprit pervers me signifie que j'ai toutes les particularités requises pour faire partie de ce groupe, et surtout la première : je ne veux plus d'enfants, mais alors, plus du tout. J'adore les miens, hein, mais on s'arrête là. STOP, c'est fini, j'ai fermé boutique, la circulation est interdite dans ce sens. La seule chose qui a le droit de se loger dans mon utérus est à jamais un stérilet.

A quatre, on rentre dans une Clio

Il faut donc croire que l'idée d'être enceinte ne suffit pas à mon cauchemar. Pour qu'il soit total, il faut que la gestation soit bien avancée. Impossible de penser à l'IVG, ma vie m'échappe entièrement. Il va donc falloir vivre avec une nouvelle grossesse cauchemardesque, renoncer au métier que j'adore et changer de vie, d'appart, de voiture. Mon équilibre précaire vole en éclats. En plus, j'ai bu et j'ai fumé donc cet enfant va avoir plein de vices de forme. Mais comment je vais faire ?...

Généralement, deux jours plus tard, j'ai mes règles - d'où les seins gonflés et le jean qui ferme mal. Je constate que j'ai bad-trippé sans aucune raison. Et je revis. Je réalise à quel point c'est cool de passer du temps avec ses deux enfants, la chance que j'ai d'avoir un job génial, et qu'on rentre parfaitement à quatre dans une Clio.

Je pourrais apprendre la date de mes règles et m'épargner tout ça, mais bon, je dois y trouver un certain plaisir finalement.

Emma

PS : Vous vous demandez : mais qu'est-ce qu'elle a voulu dire au 2e paragraphe, quand elle écrit "l'accident [le fait de tomber en cloque] n'a pas pu avoir lieu ce dernier mois"? Il y a trois interprétations possibles :
a) on a fait du sexe, mais pas pendant la période de fécondation ;
b) on a fait du sexe, mais selon des pratiques qui ne permettent pas la fécondation ;
c) on n'a pas fait de sexe.
Je vous laisse vous faire une idée.

Le nœud du problème

© Emma Defaud

Le vélo sans les petites roues et les lacets. J'imagine qu'il y aura des choses plus difficiles à transmettre. Mais ce qui me donnait des sueurs froides jusque-là, c'était le vélo sans les petites roues et les lacets. Le vélo je vous raconterai une prochaine fois. Voici l'histoire des lacets.

Tout a commencé avec une nouvelle paire d'Adidas au prix imbattable de 15 euros. Mais à lacets. Et passer son temps à refaire les noeuds et/ou regarder le gamin se vautrer, ça me fatigue et ça lui fait mal. Il fallait donc lui apprendre.

Or, je partage une petite honte avec quelques copains, mon mec et un de mes chefs (qui me virera si je le dénonce): je ne sais pas faire les lacets "à la papa", comprendre avec le serpent qui passe dans le trou ou je ne sais quelle autre métaphore qui me parle autant que la formule de vectorisation à un lycéen de filière littéraire.

Moi, je prends une boucle dans chaque main et je noue les deux. La méthode des enfants, quoi. Efficace et simple.

Laquelle "méthode des enfants" s'avère extrêmement compliquée entre les doigts inexpérimentés d'un môme de 5 ans et demi. Et je découvre que mes talents pédagogiques se limitent à peu près à : "Mais putain une boucle dans chaque main, c'est quand même pas bien compliqué !"

Finalement ma mère est venue à la maison pendant les vacances. Et trois semaines plus tard, Ulysse savait faire ses lacets "à la papa".

Et la, c'est triplement la honte. Premièrement, j'ai échoué à apprendre quelque chose à mon fils. Petit 2 : mon fils fait maintenant ses lacets "à la papa" alors que j'applique encore la méthode des enfants. Cherchez l'erreur. Troisième : ce n'est donc pas ma mère qui expliquait mal quand j'étais petite. C'est moi qui suis trop con.