L'heure des (autres) papas et des (autres) mamans

Environ deux fois par mois, je vais chercher mes enfants à la sortie de l'école. Je me hâte pour être devant l'établissement à l'heure et, surprise, il y a déjà une masse de parents, nounous et babysitters qui se ruent dès 16h20 à l'intérieur de la maternelle comme un premier jour des soldes chez Zara.

Environ deux fois par mois, j'emmène mes enfants à l'école à 9 heures (oui, oui l'école commence à 9 heures dans ma nouvelle ville, c'est rigolo, c'est aussi l'heure à laquelle je dois être au boulot). Et là, un flot continu de parents dépose leurs enfants. Ce qui m'a aussi rappelé les cabines d'essayage un jour de soldes, à cause des porte-manteaux et de l'exiguïté du couloir.

J'ai une question. QUE FONT CES PARENTS DE LEUR VIE ? Je veux bien croire que certains choisissent d'élever leurs enfants. Et qu'un certain nombre soit au chômage. Et que d'autres travaillent en horaires décalés. Et qu'il y ait une proportion de baby-sitters dans l'assemblée. Mais comment expliquer que les parents disponibles à 9 heures ET 16h20 soient majoritaires dans la classe de ma fille ?

Une telle assiduité me met du coup dans des situations complexes.

Avec l'école La première semaine, la directrice de l'école élémentaire attenante que fréquente mon fils m'a appelée : j'avais oublié les lunettes de mon fils. "Vous n'avez qu'à les lui apporter", m'a-t-elle dit. Je n'ai pas éclaté de rire parce que j'ai beaucoup trop peur d'elle. J'étais sur le point de lui dire "ho hé, wake up, j'ai une occupation la journée, comment vous croyez qu'on paie le loyer ? Je joue au poker le week-end ?" quand j'ai opté pour un sobre : "Ben, non, madame, je travaille à Paris."

Avec ma fille. Qui fond en larmes tous les soirs à l'idée de "rester pour le goûter" alors que toutes ses copines rentrent tranquillou chez elles. Maintenant elle me dit parfois fièrement le soir : "Tu sais maman, je n'ai pas pleuré une seule fois aujourd'hui" et moi je me penche par terre pour ramasser les débris de mon cœur qui s'est brisé en mille morceaux.

© FLICKR / ELLA NOVAK

Avec mon fils "Adrien, il fait du judo et Japser du football." Bim, dans les dents, maman. "Toi, mon chéri, tu ne fais rien, parce que maman et papa travaillent et que tu passes ton mercredi à enfiler des perles au centre de loisirs." Parce que vous vous doutez bien que ces parents qui sont dispo à 9h et à 16h20, le sont aussi le mercredi. Le pire, c'est que, petite, j'ai été à la gym dès la maternelle et que j'ai adoré ça. J'ai du mal à concevoir que mes enfants ne fassent jamais de la musique ou de la danse, voire de l'escalade (tout sauf du cheval).

"Ce qui serait bien, c'est d'avoir un esclave", plaisante parfois le père de mes enfants. Le pire, c'est qu'on ne saurait même pas où le faire dormir.

Alors, vous qui n'avez pas d'excuse, comment faites-vous ?

Extrait de "Grand loup et Petit loup, une si belle orange" d'Olivier Tallec

Le jour où personne n'est venu chercher mon fils à l'école

Je me souviens du jour où l'école maternelle d'Ulysse m'a appelée parce qu'il s'était déchiré la narine en tombant dans les toilettes (il dira plus tard qu'il s'est battu contre un monstre, mais moi, je le sais, il est tombé dans les toilettes). Il fallait l'accompagner aux urgences. Le directeur voulait savoir en combien de temps je pouvais arriver. Eh bien je ne pouvais pas. J'étais de perm, plusieurs personnes comptaient sur moi, et je travaillais à 40 minutes de l'école de mon fils (en plus, j'avais des talons, mais ça, je ne l'ai pas dit).

Mon fils est allé aux urgences avec les pompiers, qui ont fait retentir la sirène pour lui. Son père l'a rejoint là-bas et moi, je me suis laissée ronger par la culpabilité.

Que peut-on imaginer de pire ? Que personne ne vienne chercher son enfant à l'école. N'est-ce pas le pire cauchemar d'une mauvaise mère ? Oublier son enfant. Oui, ça aussi je l'ai fait.

Ulysse devait avoir 5 ans et musique tous les mardis (on imaginait encore à l'époque que nos enfants allaient avoir des activités périscolaires). Parfois la babysitter l'emmenait, parfois c'étaient les parents d'une petite copine qui suivait le même cours. Moi, je sortais en avance du travail pour choper mon gamin à 18h et je le découvrais généralement en train de bécoter sa copine derrière une porte avec la bénédiction des parents de la petite et de la prof de musique. Je n'ai pas toujours bien compris ce qu'il avait appris à son cours de musique.

Mais ce mardi, quand je suis arrivée, la maman de la petite fille m'a regardée, désolée. Non, mon fils n'était pas là. Non, elle n'avait pas eu le message dans lequel je lui demandais d'amener Ulysse à la musique.

Je me suis sentie à l'intérieur d'un travelling compensé. 

Je me souviens de ma course hors d'haleine jusqu'à l'école. Je me souviens du bâtiment éteint et des portes closes. Je me souviens que, comme Jack Bauer, c'est forcément à ce moment-là que je n'avais plus de batterie dans mon téléphone. "WE RUN OUT OF TIME". Au mieux, la directrice m'avait appelée vingt fois avec mon fils en pleurs à ses côtés. Au pire, mon fils errait dans la nuit, seul, à deux doigts de se faire écraser sur la six-voies qui sépare son école de la maison.

Extrait de "Grand loup et Petit loup, une si belle orange" d'Olivier Tallec

Quand je suis rentrée, mon fils était à la maison avec sa sœur et la babysitter. Et là, je ne me souviens plus. Je ne me souviens pas comment mon fils est rentré. Le stress, la culpabilité puis le soulagement de ce jour-là sont-ils capables de transformer cette expérience en un souvenir d'abord très net puis complètement ouaté, flou, semblable à un rêve ?

J'ai demandé au papa, mais il ne se souvient même pas que j'ai un jour oublié mon fils. L'ai-je vraiment oublié ? La peur que ça m'arrive un jour m'a-t-elle fait faire ce cauchemar si réaliste ?

Je crois que je n'avais pas précisé à la babysitter qu'elle devait aller chercher Ulysse et que dans le doute, elle a fait un tour par l'école. Ou l'école l'a appelée. Je ne parviens pas à me souvenir. Je me souviens d'avoir oublié mon fils à l'école. Mais je ne me souviens plus de ce qui s'est passé.

Il y a donc pire que de ne pas accompagner son fils aux urgences. Pire que d'oublier son fils à l'école. C'est de ne même pas être sûre d'avoir un jour oublié son fils à l'école.

Mojito et Vomita sont dans un bateau

Vomita vient d'être malade. Deux jours à la maison, mercredi avec maman, jeudi avec papa, et une seule galette, on frisait l'exploit.

Vendredi, je l'ai ramenée à l'école en lançant toute pimpante : "Elle est guériiiiie." C'est à ce moment qu'elle a commencé à tousser. A tousser tellement que les animateurs de l'accueil ont froncé les sourcils. Et moi, je répétais : "Non, mais elle n'a pas toussé de la nuit, hein, ça va vraiment mieux", "C'est passager", les secondes passaient et "ça va un peu mieux là, non ? Il n'y a pas de raison que ça continue. Non parce que moi, il faut que j'aille bosser."

Et là, elle gerbe au milieu de la classe. Ça éclabousse un peu doudou et le dessin de sa voisine. Une animatrice me tend la poubelle pour qu'elle finisse sa galette proprement. On sort les kleenex et les autres parents me regardent transis d'horreur. "Salut, c'est pas grave" "Ne vous inquiétez pas, ça lui arrive souvent." "Bonne journée."

J'ai ramené la morveuse à la maison.

Le plus dur, ça a été d'appeler au bureau pour dire que je ne viendrais pas. La veille j'avais dansé debout sur un chaise avec mes collègues jusqu'à deux heures du mat, un chiffre assez représentatif du nombre de grammes d'alcool que j'avais dans le sang. "Si, si, je vous assure que c'est ma fille qui a vomi."

Evidemment ma mouflette n'a plus toussé de la matinée. Je l'ai remise à l'école en catimini à l'heure de la sieste mais quand je suis arrivée au bureau, j'ai simplement eu l'air d'avoir cuvé toute la matinée.