Le jour où personne n'est venu chercher mon fils à l'école

Extrait de "Grand loup et Petit loup, une si belle orange" d'Olivier Tallec

Je me souviens du jour où l'école maternelle d'Ulysse m'a appelée parce qu'il s'était déchiré la narine en tombant dans les toilettes (il dira plus tard qu'il s'est battu contre un monstre, mais moi, je le sais, il est tombé dans les toilettes). Il fallait l'accompagner aux urgences. Le directeur voulait savoir en combien de temps je pouvais arriver. Eh bien je ne pouvais pas. J'étais de perm, plusieurs personnes comptaient sur moi, et je travaillais à 40 minutes de l'école de mon fils (en plus, j'avais des talons, mais ça, je ne l'ai pas dit).

Mon fils est allé aux urgences avec les pompiers, qui ont fait retentir la sirène pour lui. Son père l'a rejoint là-bas et moi, je me suis laissée ronger par la culpabilité.

Que peut-on imaginer de pire ? Que personne ne vienne chercher son enfant à l'école. N'est-ce pas le pire cauchemar d'une mauvaise mère ? Oublier son enfant. Oui, ça aussi je l'ai fait.

Ulysse devait avoir 5 ans et musique tous les mardis (on imaginait encore à l'époque que nos enfants allaient avoir des activités périscolaires). Parfois la babysitter l'emmenait, parfois c'étaient les parents d'une petite copine qui suivait le même cours. Moi, je sortais en avance du travail pour choper mon gamin à 18h et je le découvrais généralement en train de bécoter sa copine derrière une porte avec la bénédiction des parents de la petite et de la prof de musique. Je n'ai pas toujours bien compris ce qu'il avait appris à son cours de musique.

Mais ce mardi, quand je suis arrivée, la maman de la petite fille m'a regardée, désolée. Non, mon fils n'était pas là. Non, elle n'avait pas eu le message dans lequel je lui demandais d'amener Ulysse à la musique.

Je me suis sentie à l'intérieur d'un travelling compensé. 

Je me souviens de ma course hors d'haleine jusqu'à l'école. Je me souviens du bâtiment éteint et des portes closes. Je me souviens que, comme Jack Bauer, c'est forcément à ce moment-là que je n'avais plus de batterie dans mon téléphone. "WE RUN OUT OF TIME". Au mieux, la directrice m'avait appelée vingt fois avec mon fils en pleurs à ses côtés. Au pire, mon fils errait dans la nuit, seul, à deux doigts de se faire écraser sur la six-voies qui sépare son école de la maison.

Extrait de "Grand loup et Petit loup, une si belle orange" d'Olivier Tallec

Quand je suis rentrée, mon fils était à la maison avec sa sœur et la babysitter. Et là, je ne me souviens plus. Je ne me souviens pas comment mon fils est rentré. Le stress, la culpabilité puis le soulagement de ce jour-là sont-ils capables de transformer cette expérience en un souvenir d'abord très net puis complètement ouaté, flou, semblable à un rêve ?

J'ai demandé au papa, mais il ne se souvient même pas que j'ai un jour oublié mon fils. L'ai-je vraiment oublié ? La peur que ça m'arrive un jour m'a-t-elle fait faire ce cauchemar si réaliste ?

Je crois que je n'avais pas précisé à la babysitter qu'elle devait aller chercher Ulysse et que dans le doute, elle a fait un tour par l'école. Ou l'école l'a appelée. Je ne parviens pas à me souvenir. Je me souviens d'avoir oublié mon fils à l'école. Mais je ne me souviens plus de ce qui s'est passé.

Il y a donc pire que de ne pas accompagner son fils aux urgences. Pire que d'oublier son fils à l'école. C'est de ne même pas être sûre d'avoir un jour oublié son fils à l'école.