Il parait que c'est de l'humour. Du second degré. Un appel à l'auto-dérision.
Un peu comme un éditorial du nouveau "Lui", une question gratte-poil posée par Clara Dupont-Monod, une sortie de Christine Boutin sur les seins d'Angelina Jolie. Une de ses expressions du fameux "politiquement incorrect" supposé nous faire tant de bien dans ce monde tellement contraint, tellement policé, tellement prévenant, tellement respectueux qu'il en deviendrait étouffant.
Le nouveau "shortcom" de Canal, qui succède à "Bref!", s'appelle "Connasse". C'est d'une parfaite limpidité : vous aurez droit chaque soir à votre minute trente dans la vie d'une vraie connasse, une emmerdeuse, menteuse et perso, snob et dédaigneuse, superficielle et péteuse, bavarde et vipérine. Une peste. Une pimbêche. Une chipie. Une bêcheuse. Une connasse, puisqu'on vous le dit.
Vous savez, du genre à repousser les avances d'un type qui l'aborde dans la rue, parce qu'elle se croit supérieure, de ces précieuses qui se la pètent et méritent bien en retour quelque "salope, t'es même pas belle". Ou alors, une de ces harpies "pires que les mecs" dont les femmes sont les premières, nous dit-on, à ne pas vouloir comme cheffes. Une pétasse qui chiale quand elle se fend un ongle mais qui, dans l'alcôve, doit bien aimer quand ça fait aussi mal que dans un guide du "bien baiser" by Kamal. Une princesse jamais contente qui a son idée sur tout, met son grain de sel partout et boude, comme c'est charmant, quand ses caprices ne sont pas exaucés à la seconde...
Ah! La chouette caricature qu'on nous sert, là, à l'heure du repas, quand il est si simple de croire que toutes les contrariétés de la journée passée, s'être fait griller la place dans la file de taxi, marcher sur les pieds dans le bus, pris la tête avec quelqu'un-e au boulot ou avec un-e client-e, agacé des attitudes des un-es et des autres, quand on ressort frustré-e de s'être senti mal respecté-e, peu entendu-e, pas compris-e par son environnement, c'est certainement pas la faute de nos préjugés, des dysfonctionnements des organisations auxquelles nous participons, de l'esprit férocement conflictuel qui souffle sur la société actuelle... Non, c'est la faute de ces individus méprisants et méprisables que sont les connasses. Et les connards.
Parce que si la série s'appelait "Connard", je doute qu'elle m'attirerait davantage. "Connard", ce serait le gros lourd qui rote sa bière et pète au plumard, le blasé en survêt qui joue à la console pendant que bobonne se tape la vaisselle, le présomptueux qui écarte les pattes à 90° quand il s'assied, le tapageur aviné qui braille "allez les bleus" sous les fenêtres des dormeurs, le collègue à moustache rigolarde qui pince les fesses des secrétaires à la cafèt'... "Connard", ce serait aussi facile à écrire que "Connasse". Ce serait aussi sexiste que "Connasse". Ce serait aussi bête et vain, fondamentalement. Complètement déprimant.
Mais comment nos ami-es les créatif-ves "décalé-es" , payé-es pour être insolent-es, irrévérencieux-ses, voire allons-y gaiement, audacieux-ses, font-ils et font-elles pour ne pas se rendre compte que le stéréotype amer dont ils font commerce ne fait rire franchement qu'eux mais très jaune les autres? Que leurs blagues pas moins grossières que celles des beaufs qu'ils dénoncent avec une condescendance à peine masquée ne donnent d'espoir à personne et nous enlisent tous et toutes dans une mélasse malveillante où la détestation d'autrui pousse aussi vigoureusement que des bancs d'algue verte dans les eaux nitrateuses.