Christine Boutin a encore fait son sketch.
Apprenant en même temps que la terre entière qu'Angelina Jolie avait récemment fait procéder à une double mastectomie, il lui a semblé utile et malin de lâcher sur la toile un tweet ironisant tel un pet nauséabond dans un ascenseur bondé. On suppose qu'ensuite, elle s'est évanouie de rire, tandis que la twittosphère se déchaînait à coups de @ et de # indignés. Car contrairement à l'hypothèse qu'avançait Boutin dans son fart-tweet, ce n'est pas pour "ressembler aux hommes" que l'interprète de Lara Croft a renoncé à ses deux seins, mais bien pour échapper à un risque de cancer. Ce qui est, selon l'avis de tous et toutes, une juste et saine raison. Et c'en est effectivement une.
Et si Angelina Jolie avait eu d'autres raisons que de santé pour faire une mastectomie...
Mais imaginons qu'effectivement, Angelina Jolie n'ait pas été porteuse du gène BRCA1 mais ait quand même fait le choix, pour des raisons lui appartenant, de demander à ce qu'on la débarrasse de ses seins.
Alors, à qui la twittosphère aurait-elle jeté des pierres? A une Jolie disposant librement de son corps ou à une Boutin édifiée qu'on puisse toucher aux saintes mamelles de la fâââââââmmme?
Assurément à la première!
A bonnes et mauvaises raisons, bonnes et mauvaises victimes
Car c'est une constante, en matière de nichons : c'est la société qui juge des circonstances dans lesquelles une femme est légitime à y toucher.
Quand c'est pour sa santé, c'est juste et moral.
Mais si c'est pour des raisons esthétiques, c'est au mieux sujet à conversation blagueuse et au pire prétexte à condamnation pour délit de superficialité.
Alors, en cas d'accident, les victimes du scandale des prothèses PIP en témoignent, il y a les bonnes et les moins bonnes victimes, celles qui ont subi la double peine (ablation du sein cancéreux + prothèse pourrie) et celles qui en quelque sorte sont punies de leur péché de vanité.
De l'évidence de "vouloir" des seins
Mais ce n'est pas tout, la chirurgie mammaire a deux dimensions : l'augmentation/reconstruction (on "ajoute" du sein) et la réduction/ablation (on "enlève" du sein). Et les deux ne sont pas considérées à l'équivalent.
Dans un premier cas, il semble normal de vouloir avoir des seins, et éventuellement d'en avoir plus : c'est reconnu comme un marqueur indispensable de féminité.
En vouloir moins, c'est plus difficilement compréhensible, sauf encore une fois, si on en a une paire si massive qu'elle gêne les mouvements et menace la santé.
Ne pas en vouloir du tout (ou se satisfaire de ne pas en avoir sans se sentir amputée de quelque attribut de féminité), c'est carrément bizarre, voire monstrueusement pathologique dans le cas où on se dit prête à passer sous le bistouri pour s'en libérer : il semble évident au psychologue à la petite semaine qui se cache en chacun-e de nous que c'est refuser sa féminité pour ne pas dire être en conflit ouvert avec son genre.
Qu'y aurait-il de "triste" à ne pas vouloir cultiver ses attributs féminins ?
Et après, d'ailleurs?
Qui peut obliger une femme à ressembler à une femme?
Pourquoi cela parait si "triste" à Boutin comme à tant d'autres qu'on puisse choisir pour soi de se conformer ou pas aux critères physiques, vestimentaires, capillaires etc. de son sexe? Pourquoi ne pourrait-on pas être heureux-se et sain-e d'esprit en cultivant la part de l'autre genre en soi et en préférant gommer, plus ou moins, ce qui relève de l'apparence liée à son sexe de naissance?
Comme pour transformer ses seins, il faut une autorisation sociale pour les montrer
Mais revenons à nos nichons.
Si pour les transformer, nous avons besoin d'une autorisation sociale et d'une légitimation par le corps médical, il en va de même pour ce qui est de les montrer. Les femmes ne sont autorisées à se dépoitrailler en public que dans certaines circonstances.
Plus qu'autorisé, ce peut même être particulièrement valorisé dans le cas très précis de l'allaitement. Non seulement ce n'est pas choquant que l'on déboutonne sa chemise au restaurant ou dans un train pour nourrir son enfant mais encore est-ce perçu comme le symbole sublime de la conversion du corps féminin en corps maternel. Comme c'est émouvant, comme c'est bôôôôôô!
Le sein exposé, une offrande au jugement
Pour ce qui est de montrer ses seins sur la plage, ce qui était autrefois perçu comme un summum d'indécence, c'est aujourd'hui à géométrie variable.
S'ils sont "beaux" (c'est à dire ronds et fermes, autrement dit jeunes), ça passe, même si ça suscite un fort soupçon d'exhibitionnisme narcissique éventuellement doublé d'une intention séductrice.
S'ils n'entrent pas dans les critères admis de la poitrine exposable, bref s'ils ont le malheur de pendre un peu, de révéler quelques vergetures ou des tétons non-académiques, il vaut mieux remballer, ça n'est pas agréable à regarder et ça ne met pas en valeur la fâââââmme.
C'est de toute façon toujours une offrande au jugement : une femme torse nu ne peut pas l'être pour son seul plaisir de sentir le soleil et la brise sur son corps et de jouir de la sensation de liberté qu'être dénudée peut provoquer.
Montrez-moi ce sein allaitant, cachez-moi ce sein militant!
Quant à faire de ses seins nus une arme militante, les réactions d'une rare hostilité que suscite dans tous les camps le mouvement Femen parlent d'elles-mêmes.
Mais enfin, le sein ne doit pas être utilisé comme un étendard pour quelque revendication d'égalité, de justice ou de lutte contre les violences faites aux femmes. Surtout pas! Il ne sert pas à ça!
Puisqu'on vous dit que le sein sert d'abord à allaiter et accessoirement à définir la féminité telle qu'on dit qu'elle plait aux hommes. Les femmes ne sont donc pas supposées en faire ce qu'elles veulent!