Il est roooooose, forcément rose. Tout en paillettes, en co-coeurs, papillons, pétales de fleurs et pleins et déliés... Girly, c'est le mot que je cherche. Le Dico des Filles 2014 est plus giiiiiiirly que jamais.
Grâce à l'excellent site Les Vendredis Intellos, Le Dico fait le buzz ces jours-ci, car il est une fois encore, truffé de stéréotypes genrés (le seul concept de dictionnaire réservé aux filles, comme si elles ne pouvaient pas lire le dictionnaire de tout le monde, ces écervelées, n'est-il pas en soi le plus sexiste qui soit?) mais encore parce qu'il diffuse grossièrement (pour ne pas dire à la truelle) une idéologie à faire rosir de plaisir les anti-djendeurs.
Avortement : "situation d'échec" dans laquelle la femme "seule" prend une "décision toujours douloureuse" et pas franchement "morale"
A l'entrée "Avortement", on y apprend bien entendu qu'une interruption volontaire de grossesse est toujours "une situation d'échec" (culpabilité! culpabilité!) qui non seulement renvoie la femme à la responsabilité d'avoir "porté atteinte à la vie humaine" mais encore à l'aveu de son incapacité à bâtir une relation suffisamment solide avec un homme pour qu'il accepte "d'assumer sa paternité".
C'est donc toujours une affaire de femmes et uniquement de femmes : aucun homme ne s'implique jamais dans la décision d'une interruption de grossesse? Aucun couple ne décide ensemble que l'arrivée d'un enfant n'est pas souhaitable? Non, non, c'est "seule" (pauvre fille), dit le Dico qu'on doit prendre cette "décision toujours difficile et douloureuse" (ah? Je connais de nombreuses personnes qui ont eu recours à l'IVG sans en être mortifiées, n'en déplaise à celles et ceux qui voudraient que l'on se flagelle à vie pour cela).
De surcroît, il parait que même si "cet acte" (prenez des pincettes et bouchez-vous le nez) "grave" est légal, il n'est "pas pour autant juste ou moral". De ce fait, "les autorités morales et les grandes familles religieuses ont leur mot à dire dans cette affaire". Ah! Alors, dans ce cas, je file à l'entrée "Séparation de l'Eglise et de l'Etat" du Dictionnaire... Mais oh, zut, alors, le chapitre a du sauter au moment de l'impression, on ne lira rien ici sur le sujet...
Sexualité : "être une fille jusqu'au bout des ongles" qui assume son "instinct de reproduction" mais à qui l'on oublie d'apprendre à dire non.
Tant que je suis à la lettre S, voyons ce qu'on raconte sur la "Sexualité". D'abord, une longue introduction, pour expliquer qu'une fille, c'est une fille "jusqu'au bout des ongles", qui ne "peut pas s'empêcher d'être une fille, de réagir comme une fille, de se comporter comme une fille... Notamment en présence des garçons!".
Ce qui, pour commencer, rend bien évidemment suspecte toute forme d'amitié entre femmes et hommes. Mais soyez rassuré-es, "ça ne veut pas dire qu'on ne pense qu'aux rapports sexuels que nous pourrions avoir avec la personne en face de nous" car oui "nous avons un instinct de reproduction" (pardon?) mais "nous ne sommes pas des bêtes".
Chic, du coup, ayant appris que nous n'avons "pas de période de rut" (what a news!), nous allons peut-être avoir droit à quelques paragraphes sur la notion de consentement... Ah, ben, non, pas de bol, y avait plus assez de place dans la page pour ça (tant de petits "hi hi hi" à insérer dans le texte, ça vous bouffe sacrément de l'espace rédactionnel...). Donc, pour le droit de dire non, on repassera.
Plaisir : pour les garçons, c'est l'éjaculation ; pour les filles, c'est "vous verrez le moment venu"
Puisque l'article "Sexualité" est un peu frustrant, allons à celui qui est dédié au "Plaisir". Vous en saurez quelque chose, d'un peu étriqué toutefois, sur celui des garçons : "l'orgasme, c'est le sommet du plaisir sexuel. Pour les garçons, il est souvent directement lié à l'éjaculation.".
Et pour les filles, mystère et boule de gomme : "le moment venu, vous saurez le reconnaître". C'est pas une mère des années 1950 qui dit à sa fille "tu verras bien ce qui t'arrivera la nuit de noces, ma chérie", mais ça y ressemblerait presque...
Homosexualité : "chemin du bonheur semé d'embûches"
"Homosexualité"? Peut-être bien le résultat d'une "peur" de l'autre sexe, voire d'une "peur de soi-même". Face à cette terreur, pas de précipitation, surtout (de l'abstinence, plutôt, dans le doute) : "beaucoup de psychologues considèrent qu'il faut attendre le début de l'âge adulte pour être au clair avec son orientation sexuelle". "Souvent , à l'adolescence, les choses ne sont pas encore figées". C'est rassurant, tout de même, tout n'est peut-être pas perdu, avec un peu de chance, ça s'arrangera avec le temps.
Non mais, c'est pas qu'on est contre, les homos sont nos ami-es, il faut les aimer aussi, c'est juste que "la vie n'est pas simple pour les homosexuels et le chemin du bonheur semé d'embûches". Parce que le "chemin du bonheur" est évidemment un tapis roulant semé de pétales de roses pour les autres. A ce titre, je me souviens d'un ami gay me racontant que quand ses parents lui disaient "Si tu es heureux, comme ça...", il leur répondait "Et sinon, j'ai aussi le droit d'être malheureux de temps en temps, comme mon frère hétéro ou j'ai déjà dépassé le quota de soucis?". Bref, ça reste préférable d'être hétéro, parce que si t'es homo et malheureux-se, ma foi, on ne pourra pas dire que tu n'auras pas été prévenu-e.
Egalité : n'est pas un sujet dans les rapports femmes/hommes
Allez un petit dernier, presque le meilleur : l'article "Egalité". Celui-là, il a du demander de sacrés talents d'équilibristes à son rédacteur ou sa rédactrice. Car, croyez-le ou non, il y en a deux pleines pages sans aucune mention de l'égalité entre hommes et femmes! Faut le faire, quand même.
Inégalités riches/pauvres : check. Inégalités beau/laid : check. Inégalités Intelligence/crétinerie : check (cette magnifique mise en abyme du projet-même de ce dictionnaire me laisse légèrement songeuse). Mais inégalités femmes/hommes au travail, en politique, dans la répartition des tâches domestiques, face aux violences familiales et/ou sexuelles, face à la précarité, rien, nada, nothing. Ah si pardon, juste un petit mot entre tirets pour dire que dans le sport, les filles ont aussi le droit de s'entraîner (merci, tant de magnanimité, c'est touchant)...
Et pour clore le chapitre "égalité", un indispensable rappel sur la notion de "différences", parce que comme chacun-e sait, le contraire d'égalité n'est pas inégalité, mais différences, ce qui signifie qu'il ne faudrait pas non plus trop en faire en matière d'effectivité, au risque de nous rendre "tous pareils". Somptueux! J'ai juste une petite déception quand même, celle de n'avoir rien eu à lire ici sur la si délicieuse notion de "complémentarité"... Peut-être pour l'édition 2015, qui sait?
Quand les anti-djendeurs gagnent leurs lettres de noblesse : les voilà considéré-es comme une cible marketing à part entière
Bref, au risque de surprendre mon lectorat, je n'achèterai pas ce dictionnaire, je ne l'offrirai pas à ma fille, à ma filleule ou à ma nièce. Je ne connais pas grand monde dans mon entourage qui le mettra dans les petites mules à talonnettes en lamé fuchsia de sa gamine le soir de Noël.
Alors, à qui s'adresse-t-il en premier, ce monument de sexisme moralisateur teinté de puritanisme rétrograde? Clairement, il sert la soupe aux anti-djeundeurs qui fantasment la disparition des vraies filles et des vrais garçons en manifestant devant les grilles des écoles contre les ABCD de l'égalité, l'influence si dangereuse du prétendu lobby LGBT et des féministes hystériiiiiiques, poilues et castratrices qui mènent le monde à sa perte. Voici donc officiellement les anti-djendeurs identifié-es comme une cible marketing de choix, quel galon! De quoi les consoler peut-être d'avoir vu circuler cet atroooooce catalogue de jouets proposé par une enseigne de supermarchés, dans lequel on a osé, misèèèèère, mettre un poupon dans les bras d'un petit garçon (mais pas de poupées Barbie ou de niaiseries "Hello Kitty" non plus, faut pas exagérer) et montrer une fillette en train de jouer avec un établi de bricolage...