J'aime mes amis hommes. Parfois, ils trouvent que je vais un peu loin, que je vois le ma(l)chisme partout. Ils s'inquiètent aussi, avec une douce bienveillance, de me voir si souvent en colère. Non pas "hystérique" comme d'autres me taxent d'un coup de cuillère à pot espérant me faire fermer le couvercle, mais bien en colère, c'est à dire continuellement habitée par le sentiment d'avoir à lutter contre l'inégalité, sans répit et souvent sans réconfort.
Mais la plupart de mes amis hommes sont des types biens, convaincus que le sexisme leur fait autant de tort, à eux, en tant que mecs qu'à moi, en tant que nana. Alors, ils sont souvent les premiers à m'avertir d'un fait sexiste auquel ils assistent. Ainsi, mon ami O. m'a envoyé un petit message ce matin : "Je suis en train de faire les courses en ligne. Tu sais que quand tu tapes Tampax (oui, quand je fais les courses, je fais TOUTES les courses!), le moteur de recherche du Leclerc Drive me suggère comme produits qui pourraient aussi m'intéresser... Des éponges à récurer! Ca va te plaire, je sens."
Ah oui, ça me plait! Ca me plait (euh, ironiquement, hein) qu'au rayon "typiquement féminin", la protection hygiénique côtoie sans complexe la gratouillette antiseptique. Ca me plait mais avant de m'engouffrer dans le sujet, je précise que, selon mes informations, les sites marchands proposant des "recherches associés" (ie. "les produits qui pourraient aussi vous intéresser") fonctionnent à partir d’algorithmes croisant les sélections effectuées par d'autres clients. Est-ce le cas du supermarché en ligne sus-nommé? Ou bien le moteur de recherche fait-il, tel un Woody torturé, des associations lacaniennes tirés par la barbichette de Freud?
Je confesse douter de ma propre théorie sur l'intuition psychanalytique du moteur de recherche d'un supermarché en ligne. Mais je veux quand même saisir l'occasion qui m'est offerte dans un caddie d'interroger l'association "tampax/éponge".
D'abord, il y a la fonction physique commune aux deux : absorber le liquide. Bon. Je voudrais quand même être sûre que personne ne confonde. D'un strict point de vue pratique et ergonomique, il est plus approprié de faire la vaisselle avec une éponge et plus confortable de porter un tampon les jours de règles, que l'inverse. Ok! Ok! C'est une vision un peu potache, j'admets.
Plus intéressante est l'éternelle connexion dans nos perceptions entre les règles et la saleté. Y compris chez les femmes. Peut-être surtout chez les femmes. Nous avons encodé très tôt et très profondément l'idée que notre sang menstruel est dégoûtant. Nous rougissons comme des lycéennes quand notre serviette hygiénique pourtant toute propre et bien emballée glisse de notre sac à main. Nous cachons le tampon au creux de notre main en disant "je vais me rafraîchir deux minutes". Nous craignons ces jours-là de tacher nos vêtements et de passer pour la souillon du pensionnat réprimandée par la mère supérieure. Nous sommes nombreuses à ressentir à l'égard de ce qui vient de notre propre corps un dégoût sévère.
Pourtant, j'ai récemment sondé ma petite communauté facebook sur la prise de la pilule en continu dans le but de supprimer ses règles. Et là! Flouuuuuf! Avalanche de commentaires sur la nécessité de ne pas entraver ce réflexe "naturel" du corps, sur l'importance d'apprivoiser un processus normal de l'organisme, sur celle d'assumer cette dimension de la féminité.
Assumer, moi, oui, je veux bien. Mais je me sens un peu seule sur ce coup-là. Même entre femmes, les règles sont un secret bien gardé. Un tabou, même. Parce que ça se passe dans nos culottes et que c'est foncièrement intime? Oui, en partie. Mais pourtant, nous pouvons parler de sexe entre cop(qu)ines, alors que ça relève aussi de la vie très privée. Plus facile de parler de ses orgasmes que de ses ragnagnas? Plus valorisé en tout cas.
J'aimerais aussi que le marketing et la pub me facilitent un peu le boulot. Je trouve ça marrant qu'on compare le tampon enveloppé dans un papier jaune citron à un petit sachet de sucre pour le café, mais je trouve qu'on est quand même très loin du sujet. Et quand on l'aborde plus directement, le sang menstruel est systématiquement remplacé par une solution aqueuse bleutée. C'est pas une femme qui a ses règles dans la publicité, c'est la schtroumpfette! Chez Leclerc, c'est encore plus clair : c'est pas une femme qui a ses règles, c'est bobonne.
Alors quoi? On ose, les filles? On ose relier notre discours sur le phénomène physiologique "normal" et "naturel" à une vision "normale" et "naturelle" du sang qui coule entre nos jambes tous les 28 du mois... Ou bien on continue à faire notre la vision d'impureté associée à notre corps de femme?
Merci à O. qui m'a suggéré l'idée de cet article
Un peu de promo aussi pour mon amie photographe Hélène Epaud qui a interprété le thème du tampon avec autant d'intelligence que de poésie, autant d'engagement que de talent pour dire les choses...