J'ai souvent entendu et lu, après mes interventions au sujet du sexisme, du machisme, de la misogynie, du masculinisme, sur ce blog ou ailleurs : "Madame, vous desservez votre cause".
Le reproche que l'on me fait en ce cas, c'est celui d'une prétendue agressivité avec laquelle je m'exprimerais et qui disqualifierait d'office mon propos, quelque soit la forme qu'il prend : pamphlétaire ("hystérique"), cinglant ("aigrie") effrontée ("puérile"), ironique ("même pas drôle"), lyrique ("pleurnicheuse") ou pédagogique ("donneuse de leçon")...
Je me suis toujours défendue jusqu'ici en cherchant à me légitimer, à justifier le sens de mes combats, en rappelant à toutes fins utiles, ce qu'est la réalité des inégalités et des violences faites aux femmes. Des inégalités et des violences si criantes qu'elles me paraissent précisément mériter qu'on hausse la voix.
Je me suis défendue en vain sur ce qui s'annonçait comme un point de forme ("Soyez plus gentille, moins agitée, plus modérée, moins criarde et vous serez plus audible") mais qui est bien un point de fond. Parce qu'à chaque fois que je me suis justifiée, je me suis non seulement laisser imposer une position défensive, c'est à dire une position d'accusée (alors que je ne suis coupable de rien) mais encore ai-je constaté que ce qu'on me demandait au fond du fond, ce qu'on exigeait de moi pour avoir seulement droit à l'écoute, c'était de baisser d'un ton.
Or, ce pour quoi je me bagarre avant tout, c'est pour que les femmes puissent s'exprimer autant qu'elles le veulent, sur le ton et le mode qu'elles veulent. En cela, rien ne les oblige à adopter les codes de la douceur, de la gentillesse, de la patience, de la tranquillité... Elles ont exactement le même droit à la force, à l'energie, à la poigne, à l'irrévérence et à la turbulence, celles-là même qui inspirent le respect et souvent l'admiration chez les hommes.
Donc, non, je ne baisserai pas d'un ton, vous ne me verrez pas chuchoter ni faire des clins d'oeil girly pour me faire accepter. Je ne changerai pas de visage pour me rendre plus agréable. Car je ne cherche pas à me rendre sympathique, je veux seulement être moi-même, avec ce qui m'agite. En poursuivant cet objectif-là, je sais que je ne me "dessers" jamais.
Mais qui sers-je alors? Moi-même, avant tout? On le dit. Et qu'y aurait-il de mal à cela, puisque je prends l'entière responsabilité de mes dires. Je ne sers en tout cas pas de causes qu'on m'attribuerait sans que je les ai choisies, ni de causes vers lesquelles on voudrait m'orienter au prétexte qu'elles seraient plus importantes que celles sur lesquelles je m'exprime : "Vous devriez plutôt vous occuper d'excision que de leadership au feminin", "Vous n'avez rien de plus urgent à faire que de causer sexisme à Cannes alors qu'il y a tant de chômage et de faim dans le monde?", "Vous devez avoir une vie bien misérable pour avoir le temps d'écrire sur des sujets aussi anecotiques que les paroles d'une chanson de rap".
Ce que je fais de mon temps ne vous regarde pas, car je ne suis pas votre servante, je n'ai pas de comptes à rendre sur l'occupation de mon temps, l'utilisation de mon énergie et de mes forces. Ce à quoi je m'intéresse relève de mon libre choix et de mon libre arbitre.
En l'occurrence, je ne porte pas "une" cause (tout le féminisme, rien que le féminisme), j'ai des causes, j'ai MES causes. Quand elles font écho à celles d'autres, j'en suis heureuse. Quand on m'écrit pour me dire que ce que je dis fait du bien à entendre, que ça va mieux en le lisant, ou bien quand mes articles provoquent du débat qui permet à tous et toutes d'échanger, j'ai l'impression de servir aussi à quelque chose.
Mais jamais de servir quelque chose ni quelqu'un. Je ne sers pas le Ministère des Droits des Femmes, les Femen ou les Chiennes de Garde comme je l'ai entendu parfois. Je ne sers pas non plus d'alibi woman-friendly à celles et ceux qui m'invitent à partager mes réflexions, comme ici. Je ne sers pas non plus de punching-ball à tous et toutes celles et ceux que ce que je pense et affirme dérange et qui se croient autorisé-es à me le faire savoir par l'insulte ou la disqualification d'office.
Je ne sers et ne veux servir que la liberté qu'on devrait tous et toutes avoir de s'exprimer et de participer, le plus ouvertement possible, au débat public. Tous et TOUTES, oui.