Matinale passionnante sur France Culture aujourd'hui : à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, Marc Voinchet avait invité Inna Shevchenko et Caroline Fourest pour parler des FEMEN.
Enfin, on a eu des clés utiles pour le débat : une femme du mouvement FEMEN s'est exprimée et expliquée (sans qu'on parle à sa place, pour une fois) et Caroline Fourest, toujours fine et précise, jamais versée dans le simplisme, a remis les choses à leur place, déconstruit certains fantasmes et posé les vraies questions sur ce qui dérange au fond dans ce FEnoMEN...
C'était intéressant, c'était fouillé, ça faisait un peu de ménage dans les idées reçues, ça donnait envie d'en savoir plus avant de juger trop vite, ça proposait de vraies pistes de réflexion, sans forcément susciter l'adhésion immédiate mais en aidant à contourner certaines impasses intellectuelles.
Puis est arrivée la chronique de Brice Couturier. A charge. Anti-FEMEN, de base.
Des "vrais" combats féministes
Couturier a d'abord reproché d'abord aux FEMEN leur vocation internationaliste.
Les femmes ne sont pas traitées partout de la même façon, a-t-il jugé nécessaire de rappeler. Alors, d'accord pour combattre le patriarcat, le sexisme et les violences, mais là-bas, loin de chez nous, chez les obscurantistes et les sous-développés. Là, où il y a des prisonniers politiques, une religion d'état, des dictateurs et de "vraies" menaces qui pèsent sur la vie des femmes. Pas de ça chez nous, parce que, faut pas exagérer, les femmes, par ici, n'ont pas tant de raisons de se plaindre. Selon Couturier, c'est pour un "statut" que les femmes se battent en Occident, pour des symboles et des marques d'égalité d'ordre post-matérialiste.
Ah! Le bon vieil argument du féminisme bourgeois qui passerait le temps à tricoter-détricoter de l'abstraction castratrice et à branler les mouches de l'égalité symbolique au lieu de s'occuper d'excision et de mariages forcés.
On lui rappelle les chiffres de la violence conjugale et des agressions sexuelles chez nous, ici, en France ou on le laisse croire et faire croire que le féminisme en Occident est un combat dépassé, moins urgent et moins vital qu'en Inde, en Ukraine ou dans les pays arabes? On lui explique que même sans être victimes de fanatisme religieux, on trouve très concret et très injuste de devoir bosser 59 jours de plus par an pour gagner autant qu'un homme, d'être davantage touchées par le chômage et la précarité ? Que le patriarcat et le sexisme n'ont pas de frontières et que les sociétés dites "de progrès" (la France en particulier, toujours très mal classée dans les baromètres internationaux) n'ont pas vraiment de leçons à donner en matière d'égalité femmes/hommes?
Féministes à poil, mais avec ou sans poils?
Enfin, on entre dans le vif du sujet : l'utilisation du corps comme arme politique. Couturier a révisé ses sixties avant de venir : il reconnaît que des féministes ont déjà par le passé osé faire de leur corps un matériau et un étendard pour des revendications d'égalité. Sauf que, dit-il, c'était autre chose, les féministes soixante-huitardes n'étaient pas... "Maquillées"! Elles se maquillaient pas, elles ne s'épilaient pas, elles ne cherchaient pas à être belles sur la photo.
Bref, elles avaient troqué la féminité pour le féminisme et c'était très bien comme ça. D'abord, parce qu'on peut pas avoir le beurre, l'argent du beurre et les nichons à l'air, il faut que les femmes s'habituent une fois pour toutes à cette idée qu'elles ne peuvent pas tout avoir et qu'elles n'auront pas tout, bon sang de bonsoir : c'est nudité ou sécurité, c'est beauté ou intelligence, c'est séduction ou revendication, c'est glamour ou pouvoir. Au choix, mais pas tout à la fois.
Ensuite, parce que la figure de la féministe moche, poilue et si possible lesbienne a le grand mérite de ne pas brouiller les pistes : comme elle n'aime pas les hommes et se fout de leur regard, c'est plus simple de caricaturer son logiciel et de renvoyer son discours à la marge. De plus, comme elle n'est pas délibérément pas très attirante, elle ne risque pas tellement de "contaminer" les autres femmes.
Mais là, les FEMEN, belles, sexys et, comble de la contradiction selon Couturier, "maquillées", ça créé comme de la confusion contusionnante. Mais où va-t-on si les féministes deviennent bandantes? Pire que ça, si tout en étant bandantes, elles se fichent ouvertement de la frustration qu'elles peuvent susciter et ne se sentent en rien obligées à satisfaire le désir qu'elles ont pu éveiller avec leurs seins exposés? Si elles jouent sans vergogne avec les codes de la séduction et avec l'attrait des médias pour le sensationnel tout en affirmant l'intention de rester maîtresse d'elles-mêmes et de leur combat?
De la tentation patriarcale de départager les "bonnes" des "mauvaises" féministes
Mais Couturier nous a réservé le meilleur pour la fin.
Le voilà qui conclut sa chronique par une belle tarte à la crème : l'incontournable, indispensable et définitif "elles desservent la côôôôôôse"! C'est entendu et sans appel : les FEMEN font du tort au féminisme et aux femmes.
Pour l'avoir entendu moi aussi un bon nombre de fois, je sais l'argument non seulement vain (il n'a d'autre finalité que de balayer d'un revers de main ce que l'on a envie ni de voir ni d'entendre ni de considérer) mais il est encore pervers : dans le discours de celui qui départage celles et ceux qui servent ou desservent une cause, il y a bien la volonté de contrôler l'expression militante, de la circonscrire et de la diviser.
Auto-proclamé arbitre du féminisme, Couturier départage les "bonnes" des "mauvaises" féministes. Citant à plusieurs reprises dans son billet une récente tribune anti-FEMEN de Lydia Guirous (dont il omet de dire au passage qu'elle est la caution féministe de l'UMP, ce qui ne la disqualifie pas, mais n'est pas complètement anodin non plus), bon papa distribue les bons et les mauvais points, classe les féministes en deux camps, celles qui sont audibles et admissibles, demandent poliment et gentiment sans taper du poing ni du sein contre celles qui sont tellement vilaines, outrancières et casse-bonbons que non seulement, elles ne serviraient à rien mais en plus, elles feraient beaucoup de tort aux autres. Ces autres étant incapables de se défendre par elles-mêmes, il faut bien qu'un chroniqueur clairvoyant les alerte et les protège, les invite à de démarquer le plus possible des méchantes FEMEN.
Merci, Monsieur, on a toujours besoin d'un homme pour nous dire qu'il est essentiel de bien faire tout ce qu'il faut pour ne pas risquer d'être confondues avec les filles de mauvais genre... Et pour nous rappeler à la raison, pour nous inviter à ne pas être "trop" féministes, quand même, parce qu'on pourrait desservir notre côôôôôse et faire beaucoup beaucoup de mal aux autres...