Oui, s'il y tient vraiment, Thierry Frémeaux peut continuer à être dans le déni...
... Sur l'insuffisante représentation des films de femmes dans la sélection du Festival de Cannes. (C'est pas sa faute, c'est une "alchimie" tellement spéciale, LA sélection, l'unique, la vraie, celle qui distingue les vrais créateurs puissants des pisseuses qui font joujou avec la caméra)
... Sur les livraisons de call-girls destinées à divertir les festivaliers durant la quinzaine. (C'est pas sa faute non plus, si tous ces gens très tendus toute l'année ont des Besoins avec un grand B à satisfaire et que la fête appelle le sexe, comme le vin la cigarette ; et le fric les relations tarifées avec celles qu'on nomme "call-girls" parce que ça fait plus Croisette que "prostituées")
... Et sur l'avalanche d'âneries sexistes que les gééééénies du cinéma, drapés dans leur splendide liberté d'artiste déclarent à la presse pour légitimer le propos de leur film. (C'est pas sa faute si les temps sont durs pour le 7è art et que les aspirants palmés sont prêts à raconter n'importe quoi pour se faire remarquer)
Car c'est ainsi, après le "fantasme de prostitution" d'Ozon, nous avons désormais droit à la mélancolie d'un Polanski que la fin d'un monde "romantique" où la pilule n'avait pas encore "masculinisé les femmes" fait amèrement pleurer.
Au bon temps des Rosemary...
Il a raison, le vieux Roman. Le monde était tellement plus "romantique" quand les femmes flippaient 21 jours par mois à l'idée de porter un enfant qu'elles n'avaient pas désiré. C'était tellement plus "romantique" quand elles étaient si paniquées par une grossesse non désirée qu'elles en avaient de folles et meurtrières visions, telle une fascinante et inquiétante Rosemary, interprétée par Mia Farrow dans un film de Polanski datant précisément de l'année où la contraception a été légalisée en France.
C'est sûr, ça en faisait des histoires édifiantes à raconter, du vrai pain bénit pour un scénariste que cette cohorte de mères involontaires éventuellement abandonnées par des géniteurs superbement lâches, montrées du doigt par les sociétés bien-pensantes (que le film critiquerait, bien entendu) et promises à un destin fracturé qu'elles auraient ou non, selon le bon vouloir du créateur, la force de contrarier. C'est con quand même, à présent que les femmes se sont libérées de la peur et de l'obligation d'élever des enfants non voulus, il faut se creuser la tête pour trouver des idées d'histoires à raconter. Quel boulot!
C'est chiant, non, une histoire de femme libre?
Nos amis cinéastes pourraient bien, comme par exemple Stephen Daldry avec The Hours, raconter des histoires de femmes libres. Mais c'est chiant, non, une histoire de femme libre? Qui a envie de regarder pendant deux heures une femme qui fait ce qu'elle veut de sa vie, qui s'éclate au pieu (et ailleurs) sans se sentir obligée de plaire aux hommes ou de satisfaire leurs fantasmes à eux, qui ne se sent pas spécialement devenir (enfin) femme en devenant mère, qui a envie de conquérir le monde (et le pouvoir, à l'occasion), de vivre l'aventure, d'être l'héroïne et non le prétexte à l'intrigue romantique qui pimente (ou retarde) la captivante expédition du héros. D'une femme qui, effectivement, n'en déplaise à Polanski, veut la même liberté que les hommes, avec les mêmes ambiguïtés, sans s'inquiéter de sa féminité ni s'obliger à susciter le désir des hommes sans imagination que les clichés font bander.
Que va devenir le cinéma si les femmes n'aspirent plus seulement à tomber amoureuses et enceintes?
Une femme qu'il va donc falloir apprendre à raconter et à montrer, autrement que dans une lippe sensuelle, une mèche de cheveux qui tombe sur un visage lisse, une larme qui roule, un regard juvénile, une nuque de danseuse, un déhanchement sur talons aiguille, une voix hésitante brisée par l'émotion... Une femme qui n'a pas pour unique projet de vie de tomber amoureuse puis enceinte. Une femme qui se choisit.
Ben oui, mon ami Polanski, ça demande un peu de boulot. Un peu d'observation de ce que sont les femmes aujourd'hui. Un peu de recul pour voir qu'elles sont passionnantes et belles, même si elles ne sont plus ce qu'on attend(ait) d'elles. Un peu de réflexion pour porter les messages de notre temps. Un peu d'inspiration aussi, pour bâtir des univers nouveaux. Quelques qualités que je me pensais en droit d'attendre d'un artiiiiiiiste.
Quand le monde n'est plus inspirant, c'est qu'il est peut-être temps de raccrocher les gants...
Mais j'ai pu me tromper.
Ou alors, il est peut-être temps, quand on a plus rien à raconter et que le monde qui nous entoure ne nous apporte aucune nouvelle idée, de raccrocher les gants. Vous pouvez donc prendre votre retraite, M. Polanski, la relève est assurée, de nouvelles générations de réalisateurs qui ne vivent pas dans les fantasmes du passé, ont plein de choses belles et intéressantes à raconter sur les femmes et sur le reste. Et parmi eux, il y a même d'excellentes réalisatrices.