C’était la grande mesure éducative du programme présidentiel d’Emmanuel Macron. Dans les écoles situées en éducation prioritaire, les classes de CP et de CE1 allaient être dédoublées et passer à 12 élèves. Tout le monde avait salué la mesure. Mais sur le terrain, très rapidement, les questions ont commencé à se poser. Si 12 000 postes sont nécessaires pour financer cette mesure et que seules 4 000 créations de postes sont prévues, où se trouvent les 8 000 restants ?
« Désolé, les postes sont réservés pour les classes à 12 »
Quelques semaines après le début du quinquennat, c’était en mai, il est apparu évident qu’on allait franchir le seuil d’ouverture d’une classe dans mon école. Les inscriptions et les départs prévus montraient un solde positif, nous aurions encore plus d’élèves à la rentrée 2017, déjà 370 élèves inscrits pour 14 classes, à 364 nous avions droit à une classe en plus. Notre directrice a donc posé la question, lors d’une réunion de directeurs avec sa hiérarchie : « Pourrons-nous avoir une ouverture de classe ? ». La réponse fut claire, nette, précise : « Tous les postes prévus sont réservés aux classes à 12 ». Pas d’ouverture, même pas la peine d’y penser. Il y a quelques années, en revanche, fermer une classe avait été facile et rapide, je me souviens.
Cette année dans l’école nous avons donc près de 29 élèves de moyenne par classe, des doubles niveaux à 28, dans la mienne j’ai 31 élèves, pas facile d’être là, pleinement, pour chacun, tous les jours. Mais bon, j’enseigne dans un quartier favorisé et je suis parfaitement d’accord pour donner la priorité à l’éducation prioritaire. J’ai enseigné en REP durant des années, je sais donc les difficultés d’y enseigner, et me dis que si c’est un peu plus difficile pour moi, ça vaut le coup si ça permet de mieux travailler en REP.
Le problème c’est que, ce que nous vivons, les classes de REP et de REP+ le vivent aussi. Si les classes de CP sont dédoublées, cela se fait parfois au détriment des autres classes de l’école. D’autre part, il semblerait qu’on soit parfois plutôt à 15 ou 16 élèves qu’à 12.
Même chose dans cette école parisienne, classée en REP.
"Plus de maitres que de classes", décapité
Plébiscité sur le terrain le dispositif "plus de maitres que de classes" mis en place en 2013 (lire ce post que nous avons consacré au sujet) se retrouve sur la sellette : dès les débuts de JM Blanquer, les 5 000 maitres +, qui interviennent auprès de petits groupes d’élèves ou dans la classe en fonction des besoins et de l’équipe enseignante, sentent qu’ils seront les premiers à être « redéployés ». D’abord rassurant (« j’ai entendu les craintes », « il ne faut pas considérer qu’on déshabille Pierre pour habiller Paul »), le ministre explique bientôt que « les dispositifs comparables à “plus de maîtres que de classes” n’ont pour l’instant pas fait preuve de leur efficacité » et vante au contraire "une efficacité des dispositifs de dédoublement". Les maitres + ont compris, leurs jours sont comptés. De fait les annonces se succèdent, les postes de PDMQDC passent aux classes à 12.
Officiellement, un tiers des PDMQDC a été redéployé. Il y a quelques jours le ministre proclamait : « J’aurais pu supprimer le dispositif, je ne l’ai pas fait ». Là encore, le terrain lui répond.
4000 postes créés, vraiment ?
Durant tout l’été le ministre a cherché à rassurer, expliquant que les classes à 12 ne se feront pas au détriment d’autres classes « car nous avons des créations de postes à la rentrée. Sur 4000 créations de postes, nous en consacrons 2500 en dédoublement des CP en REP+ ». Sur le site du ministère, on trouve alors cette infographie :
4 311 créations de postes sont annoncées, mais il s’agit ici d’une information mensongère, car ces postes étaient budgétés depuis 2016 par la précédente équipe. Simplement, comme l’avait annoncé le candidat Macron, les classes à 12 devront se faire « en réorientant entre 6 000 postes à 10 000 postes des 60 000 créés au cours du quinquennat ». Sur les 4 000 postes en question, 2 500 ont déjà été attribués quand l’équipe actuelle arrive et 1 500 laissés vacants pour les remplacements, le PDMQDC, la formation des enseignants. Ces 1 500 postes seront pour une bonne partie « réorientés » vers les classes à 12. On voit ce que l’infographie du ministère peut avoir d’usurpé (on note au passage qu’il y est prévu d’améliorer l’offre scolaire en milieu rural et de développer l’école pour les – de 3 ans…).
Francette Popineau, à la tête du Snuipp, premier syndicat du primaire, parle d’un « détournement de fonds, ce ministère-là n'a créé aucun poste. Il s'est servi du budget précédent ».
En septembre le budget 2018 parait, et là au moins les choses sont claires.
Les écoles rurales particulièrement ciblées
Depuis la rentrée de septembre, on n’a plus trop entendu parler des classes à 12. Ou alors seulement lors d’une visite du ministre en mode VRP après-vente. Mais depuis quelques jours, c’est à nouveau l’effervescence. En ce moment se jouent les ouvertures et les fermetures de classes et les créations / suppressions de postes dans chaque académie. Comme on pouvait s’y attendre, un peu partout c’est la douche froide. Notamment en zone rurale, où les classes sont nombreuses à fermer, contribuant ainsi à l’abandon de ces zones par le service public. Le mouvement est amorcé depuis quelques années mais semble s’accélérer. Dans le même temps, des postes sont créés pour les classes à 12 : dans les Côtes d’Armor, 24 classes sont appelées à fermer, alors que 7 classes de CP dédoublés seront ouvertes ; dans la Mayenne, 4 ouvertures de CE1 dédoublés alors qu’on supprime 23 classes et qu’on ferme deux écoles rurales à Boulays-les-Ifs et Larchamp ; en Meurthe-et-Moselle 12 écoles devraient fermer, notamment les écoles rurales de Merviller, Vacqueville, Remenoville, Gélacourt, Charmes-la-Côte, Hablainville… ; dans l'Indre, 28 classes rurales devraient fermer en septembre ; dans le Loiret 43 classes fermées et 30 postes ouverts pour les classes à 12, un directeur explique que « c’est au détriment des autres élèves, la dotation se fait sur le dos de tout le reste », et ainsi de suite.
Un point positif, dans ce marasme : dans une cinquantaine de départements, les parents, conscients du danger pour leurs enfants, se sont localement emparé des dossiers et multiplient les initiatives pour défendre leur école. Il faut écouter ce reportage dans la Somme où des parents ont mis en place une opération "une nuit à l’école" pour protester contre les fermetures. Couverture médiatique importante, et recul du DASEN dans les jours qui suivent, seules 38 classes sont désormais menacées, contre 63 initialement. On retient au passage la volonté de ces parents de faire vivre l’école publique : « Pour nos enfants, on veut le meilleur enseignement qui soit, en continuant à les mettre dans le public », assure une maman. Tous sont-ils dans cet état d’esprit ?
« Ce sont des territoires en souffrance, explique Dominique Dhumeaux, vice-président de l'association des maires ruraux de France. Difficile d'expliquer à ces habitants, qui se sentent déjà délaissés et abandonnés, qu'on ferme leurs classes pour que les enfants des villes soient dans des classes à 12 ».
Dans une tribune intitulée « carte scolaire : la bombe à retardement », deux enseignants rappellent que le président Macron déclarait lors de la première conférence nationale des territoires, le 17 juillet dernier, « il n’y aura plus aucune fermeture de classes dans les zones rurales ». Mais aujourd’hui, « près de 40% des communes n’ont plus d’école ! ». Pourtant, notent les enseignants, « l’Observatoire des inégalités constate que les trois quarts des élèves défavorisés n’étudient pas dans des établissements de zones prioritaires ».
La maternelle menacée ?
Le ministre JM Blanquer a beau rappeler à l’envie que « l’école maternelle doit devenir une locomotive pour toute l’école, synonyme de bonheur et non d’angoisse », l’heure est à la coupe franche dans les écoles maternelles, cela n’a pas échappé aux enseignants et aux parents. « Il y a longtemps que l’on n’a pas vu un tel tableau », déclare une déléguée syndicale du Pas-de-Calais. « Pour mettre en place sur le département, le dédoublement des classes de CE1 en REP+ et de CP en REP à la rentrée prochaine, il faudrait créer 206 postes. Or, il n’y en a que 92 qui sont prévus ». Les maternelles sont les premières à perdre des classes : à Montreuil, 10 fermetures en maternelle sur 14.
Dans le Val-de-Marne, 180 classes doivent fermer et 110 sont des classes de maternelle, « ce qui ramène nos classes entre 28 et 30 élèves », explique une enseignante.
Sont notamment visées, les classes de TPS, « toute petite section », qui scolarisent les moins de 3 ans, une mesure que le ministère ne soutient pas franchement. Mais pas seulement : sur Slate, la journaliste Louise Tourret pousse plus loin l’interrogation : « la maternelle va-t-elle disparaitre ? ».
Les assises de la maternelle, qui auront lieu en mars, nous en diront plus sur le sujet. Une chose est sûre : les écoles maternelles sont appelées à évoluer sensiblement, et on ne serait pas étonné que le ministère récupère quelques centaines de postes dans l’affaire.
Selon les syndicats, il manquerait encore 2000 postes pour mener à bien le dédoublement des CP et CE1, une mesure dont l’efficacité reste à prouver.
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