Luc Chatel sur tous les fronts

Précédemment dans « Panique à l’école »…

Le monde de l’enseignement est en ébullition depuis plusieurs mois. Un peu partout les enseignants, les inspections, mais surtout la société civile, parents, associations, élus, font savoir leur colère et leur inquiétude devant le délitement des conditions d’enseignement dans le pays.

Le 14 avril, Le Président Sarkozy s’adressait aux enseignants pour renouer le contact dans une intervention sur le terrain. Message peu lisible logiquement pas reçu.

La tension est montée d’un ton la semaine dernière lorsque le SNUIPP, premier syndicat du primaire, a annoncé la fermeture de 1500 classes à la rentrée 2011.

Tout le monde attendait la réaction du ministre de l’Education Nationale…

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Episode 15. Chatel parle dans le poste

Comme je suis plutôt quelqu’un de bon, je vais vous épargner la totalité de l’ITV donnée par le ministre à BFM chez Christophe Jakubyszyn ce mardi 26 avril (quoique, si vous y tenez, c’est ) et je vais vous faire un résumé.

Sur les 17 minutes d’ITV  la moitié est consacrée au lancement du Pass santé contraception qu’il a piqué à Ségolène Royal et dont on a pas mal parlé ici ou . Rendons-nous donc vers 9’30. C’est à partir de là que sont posées les questions qui fâchent.

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Combien de classes en moins l’année prochaine ?

Avant de répondre à la question, le ministre balance une première série de chiffres destinés à noyer le poisson :

« Il y aura 25 élèves par classe en maternelle à la rentrée prochaine, il y en avait 27 au début des années 90. Il y aura en primaire [on dit élémentaire, monsieur le ministre, la maternelle fait partie du primaire] environ 22 élèves par classe, il y en avait 23 au milieu des années 1990. Au total à la rentrée prochaine il y aura plus de professeurs et moins d’élèves qu’il y en avait il y a 15 ans dans le système éducatif. »

Le ministre compare avec le début des années 90 pour la maternelle, au milieu des années 90 pour l’élémentaire : il sait que les chiffres sont nos amis si on sait les utiliser… Et s’il parle du « système éducatif » dans son ensemble, c’est pour y inclure le privé. Car si on regarde par exemple les classes d’élémentaire publiques, en 1995 la moyenne d’élèves est de 22,6.

Poussé par le journaliste, le ministre consent 1500 fermetures de classes. Pour mieux enchaîner :

« Il y aura environ 245 000 classes de premier degré à la rentrée prochaine, sensiblement le même chiffre qu’il y a 4 ou 5 ans. »

Bon. Moi, j’ai trouvé ça :

- en 2006, on comptait 281 637 classes en France (source : Repères et références statistiques - édition 2007), et non 245 000…

- en 2006 le nombre d’école était de 55 700 (50 290 dans le public, 5 377 dans le privé) contre près de 69 000 en 1980-1981, et encore un peu plus de 64 000 en 1990-1991

- entre 1990 et 2007, 11 500 classes élémentaires publiques ont été fermées, de 179 177 à 157 528. Relativisons en notant qu’il y a pas mal de classes uniques rurales dans ce lot.

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La référence bien arrangeante aux années 90

Le ministre poursuit, avec l’éternel argument des errements passés : « Quelle est la réponse que l’Education Nationale a apportée depuis 20 – 25 ans aux problématiques que nous rencontrons ? La seule réponse a été « on crée des postes on augmente les moyens ». »

Vous avez remarqué, vous aussi, que le ministre fait toujours référence aux années 90… Une bonne raison à cela : sur la décennie 90 les courbes sont en effet celles que Chatel décrit (plus de profs, moins d’élèves). Mais depuis le début des années 2000, une douzaine d’années déjà, on assiste à un renversement complet, avec un nombre d’élèves allant croissant et un nombre de profs diminuant considérablement. Se référer sans arrêt aux années 90, « il y a 20 -25 ans », permet au ministre de masquer tout ce qui se passe depuis l’an 2000, soit exactement l’inverse de ce qu’il dit, et de justifier à peu de frais sa politique par les chiffres. (Sur ce sujet, je vous invite à consulter l’excellente analyse réalisée ici).

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Massification et hétérogénéisation

Abandonnant les chiffres (je ne suis pas sûr de vous mettre la moyenne en maths, monsieur le ministre), Luc Chatel nous explique maintenant que « le problème aujourd’hui, c’est d’être capable de s’adapter à la diversité de nos élèves. Quand vous discutez avec les enseignants [je me demande bien la dernière fois qu’il a discuté avec un enseignant ?...], qui font un métier formidable mais ô combien difficile leur plus grande difficulté c’est l’hétérogénéité d’une classe. […] Ca veut dire qu’il faut de la personnalisation. Dès le plus jeune âge, il faut repérer les élèves qui ont des difficultés, il faut détecter les élèves qui ont du potentiel, en évitant les déterminismes, et il faut apporter la remédiation très tôt. […] C’est tout le travail d’aide personnalisée que nous avons mis en place pour répondre aux difficultés de lecture »

Monsieur le ministre, n’importe quel enseignant, n’importe quelle étude vous dira très simplement que pour gérer l’hétérogénéité d’une classe, il faut moins d’élèves ! Au-delà d’un certain nombre, on ne peut s’occuper de tous et les premiers perdus sont les plus en difficulté. Quant à faire croire, à nouveau, que l’aide personnalisée a vocation à remédier aux difficultés : vous savez pertinemment qu’elle a été créée pour utiliser les instits les heures libérées par la suppression du samedi matin, et pour justifier la suppression des RASED qui pouvaient justement prendre en charge les élèves les plus en difficultés.

Si on vous suit bien, un enseignant devrait donc connaître ses élèves, voir ceux qui sont en difficulté, ceux qui ont du potentiel ?... Mais ce serait pas déjà ce qu’on fait, par hasard ??? Le problème, c’est : qu’est-ce qu’on fait ensuite ??? On n’a pas le temps ni les moyens de s’occuper des uns plus que des autres !

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Vers une Education plus tellement Nationale ?

« Les programmes doivent rester nationaux, les épreuves doivent rester nationales, le recrutement des enseignants doit rester national… Mais le système doit s’adapter à la réalité locale. Si on veut faire réussir chacun, il faut être capable de faire du sur-mesure, du cousu-main. C’est ça l’Education Nationale d’aujourd’hui. Il faut donner une marge de manœuvre aux acteurs locaux, davantage d’autonomie aux collèges, ce que nous avons fait avec le projet CLAIR, en donnant aux lycées et aux collèges une autonomie au niveau du projet pédagogique mais surtout du recrutement. »

Tout le monde aura noté que le ministre marche sur des œufs. Bel exercice d’équilibriste puisqu’il s’agit de conforter l’idée de l’Education Nationale unique et égalitaire tout en avançant les pions d’une autonomisation accrue des établissements, en matière de recrutement des profs mais aussi de projet pédagogique, donc de contenu…

Vous y croyez, vous ?

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Deux initiatives pour la prochaine rentrée

« On voit bien qu’il y a des élèves qui passent en 6ème avec des difficultés en lecture, nous allons proposer à titre expérimental à des instituteurs de venir apporter une remédiation en matière de lecture au collège ».

Ah, ça tombe bien, j’avais un peu de temps libre !

« Proposer des programmes adaptés de manière à ce que dès la 4ème on puisse avoir une découverte de l’entreprise. Faire en sorte qu’on trouve chez certains élèves qui commencent à s’ennuyer  à l’école un talent caché qui leur permette d’accrocher au système ».

Ca sentirait pas un peu la fin du collège unique ?... Je vous renvoie à cet excellent édito de F. Jarraud du Café Pédagogique.

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Cerise…

Pour finir, le ministre se montre bien embêté quand le journaliste lui demande si ses enfants sont dans le public ou le privé…

« Mes enfants sont à la fois dans des établissements publics et privés. Je vous rappelle que les établissements privés sous contrat font partie du service public d’éducation. »

Belle réponse de politicien. Ils sont donc dans le privé.

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Mardi 26 avril après-midi. Au sénat, Chatel répond aux questions sur la réforme de la formation des enseignants, dite « masterisation ».

« La nouvelle formation initiale des enseignants répond aux enjeux de notre école. Cette réforme permettra de la mettre en phase avec la société de la connaissance qui se met en place.[…] L'Inspection générale de l'éducation nationale, dans son rapport, indiquait que les premiers éléments de bilan étaient bien éloignés de la catastrophe annoncée. Seuls 1 % des professeurs stagiaires ont été en difficulté et les arrêts maladie et les démissions pas plus nombreux qu'auparavant. »

Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la question, reprend alors la parole.

« Nous ne vivons pas dans le même monde. Cette question était un appel à sortir du déni. Vous n'avez peut-être pas d'informations sur le sort de ces « stagiaires impossibles » dont je vous transmettrai le livre noir. Il n'y a pas de replâtrage possible. »

Le ministre n’a pas dû non plus consulter le rapport Jolion rendu à Valérie Pécresse sur ce sujet, et qui conclut que "la situation actuelle semble la pire", pas plus qu’il n’a dû lire l’étude montrant le désarroi des étudiants-enseignants

Pfffiou… Je crois que vais lâcher Chatel quelques temps, moi.

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