Je l’ai appris par hasard.
Mercredi une collègue m’a téléphoné.
« T’as reçu du courrier, il paraît ?
- … ?
- Je sors de l’inspection. Le poste qui saute dans l’école, c’est le tien.
- … ???... C’est quoi cette histoire, j’ai rien reçu !
- T’inquiète pas c’est une erreur, en fait c’est moi qui dois partir de l’école vu que je suis la dernière arrivée. »
Renseignement pris, j’avais bien reçu un courrier. La veille, mardi, à 18 h, le directeur avait reçu à l’école une lettre pour moi m’informant que mon poste était supprimé.
Le directeur ne m’en avait pas encore parlé : ne voulant pas m’inquiéter, il était d’abord allé à la pêche aux infos, avait appelé un copain du syndicat, l’inspection, et ne voulait me prévenir qu’une fois le problème réglé.
Le problème, c’est que le problème ne s’est pas réglé.
Bon d’accord, dans un premier temps, je n’y ai pas cru. D’abord parce qu’il existe dans notre école un poste dédié aux stagiaires et que c’est ce poste-là qui devait sauter. Ensuite parce que deux autres collègues étant arrivés après moi dans l’école, ils étaient censés se trouver avant moi sur la liste. C’est la logique de l’Education Nationale : le dernier arrivé s’en va. On a d’ailleurs cru durant 24 heures que c’était la collègue qui m’avait appelé qui partait.
Mais non, c’est moi.
Pourquoi ? Parce que mon poste n’est pas « fléché ». C’est quoi un poste « fléché » ? Pour résumer, disons que c’est un poste protégé obtenu comme tel par un enseignant habilité à enseigner une langue vivante. Or mes deux collègues arrivés après moi sont sur des postes fléchés. Moi non. Donc c’est moi qui pars.
Pourtant je fais de l’anglais dans ma classe, moi aussi, je suis habilité, moi aussi, j’en fais même dans une autre classe dont l’enseignante est une bille en anglais. Mais le poste que j’ai obtenu dans l’école il y a plusieurs années n’était pas « fléché »…
L’arbitraire de l’Education Nationale…
J’aurais préféré être le dernier arrivé, je crois. Cet arbitraire est plus logique. Contestable, mais logique.
Mercredi, jeudi et jusqu’à vendredi, les infos se sont succédé, les nouvelles arrivaient qui se contredisaient, me laissant dans l’incertitude totale, un état peu enviable, franchement. A l’inspection, ils reconnaissent que tout ceci est absurde, mais il faut bien que quelqu’un parte, et les ordres viennent d’en haut. Le directeur se bat autant qu’il peut, se renseigne, me tient au courant. Il ne veut pas perdre un enseignant en plus de perdre une classe.
Je réalise aussi qu’il va falloir que je participe au mouvement, ce grand jeu des mutations : on y demande un certain nombre de postes, dans l’espoir que son barème permette d’en obtenir un pas trop mal. C’est long à faire, un mouvement, il faut du temps, pour cibler les écoles, se renseigner, savoir si des postes se libèrent... Pas de chance, prévenu seulement cette semaine, il me reste quatre jours…
De toute façon du temps, j’en ai pas en ce moment. Je suis en pleine période d’évaluations, c’est la fin du trimestre, je vais commencer les livrets.
J’espère que je vais parvenir à rester concentré sur le principal.
Et puis je relativise. Il y a pire, le chômage. Moi j’aurai un boulot l’année prochaine. Je pense à ceux à qui on apprend que leur poste est supprimé, vraiment supprimé pour le coup, et eux avec.
df
Peu à peu la nouvelle se répand dans l’école. Les collègues, qui pensaient que personne n’avait à s’inquiéter dans l’équipe, tombent des nues. Leur regard change. Quand ils me croisent, j’ai changé de statut. Ils me regardent comme on regarde un grand malade, avec un peu de gêne, beaucoup de compassion. Ils ne savent pas trop quoi dire, alors ils me demandent si ça va.
Non ça va pas trop, non. Ma tête bourdonne. Je réalise petit à petit. Cette école est la première où je suis nommé à titre définitif. J’y suis bien. Elle me plaît. L’équipe est sympa, le directeur est bon. Je commence à y avoir des amis. Et surtout, les élèves sont intéressants. Je me suis attaché à eux, j’aime les voir grandir, dans ma classe puis d’une année sur l’autre. Ceux des années précédentes viennent souvent me voir, me demandent parfois s’ils ont une chance de me retrouver dans un niveau supérieur…
Non, les enfants, c’est sûr maintenant, on ne se retrouvera pas en CM2.
J’ai envie d’appeler ma femme, de parler avec elle. Qu’est-ce que tout ça va changer dans ma vie, pour ma famille ? Un sentiment de révolte monte. J’ai rien demandé, moi ! Je pensais, après les premières années traditionnellement difficiles, avoir mérité le droit de choisir seul de bouleverser ma vie ou pas. Que ça ne dépende que de moi.
Ca sonne, la récré est finie. Je dois y repartir, essayer d’avaler cette boule coincée dans mon plexus : les élèves attendent, une grosse séance de géographie aussi. Il faut continuer à leur apprendre des choses, à enseigner, malgré tout, malgré cet orage dans ma tête, cette fébrilité dans mon corps, et faire bonne figure. Show must go on.
En rentrant chez moi j'ai appris que dans l’école de mon fils aussi, une classe saute l'année prochaine .
df
Pour prolonger, un lien vers un autre poste supprimé, un vers un collectif de maires mécontents et un vers les RH de l'Education Nationale...
Et puis, on pourra relire des précédents posts consacrés aux suppressions de poste…
- Les chiffres des suppressions de poste
- Retour sur les discussions au sein de l’école concernant la grève du 10 février sur les suppressions de poste
- Sur le bienfondé des suppressions de poste.
- Même les inspecteurs se plaignent du manque de postes !
df