En matière d’école, si on avait bien compris le candidat Macron, il ne s’agissait pas d’arriver de manière fracassante et de tout changer. On se souvient notamment des propos de François De Rugy, chargé des questions éducatives durant la campagne : « La transformation de notre système éducatif suppose d'inscrire notre action dans le temps long. À chaque alternance ses nouvelles réformes, souvent davantage guidées par des préoccupations politiques que par des ambitions pédagogiques. Loin des tentations de "Grand soir", qui traversent l'Éducation nationale à chaque changement de majorité, Emmanuel Macron agira, au-delà des clivages partisans, et sans dire que ce qui a été fait précédemment était nécessairement nul et non avenu ».
On s’était dit, ouf, enfin un peu de continuité dans l’éducation, qui meurt aussi d’être ballottée par les changements incessants de politique et d’orientation.
Sauf que, en trois semaines, le nouveau ministre Jean-Michel Blanquer a lancé plusieurs chantiers visant clairement à défaire ce qui a été fait pendant le quinquennat précédent. Finalement, le changement, c’est maintenant.
Les rythmes scolaires
Au nom de l’autonomie, un des grands credo de Macron, le détricotage de la réforme des rythmes scolaires était prévu. Il aura bien lieu. Blanquer a confirmé qu’un décret paraitrait cet été permettant de revenir à la semaine de 4 jours. De nombreuses communes ont déjà fait savoir qu’elles étaient intéressée : Marseille, Nice, Sisteron, et d’autres sont prêtes à leur emboiter le pas (bien entendu, certaines voudraient garder l’aide financière de l’état pour la mise en place des rythmes…).
Revenir à la semaine de 4 jours ? Les chrono-biologistes et l’Académie de médecine dans leur sillage, sont tous d’accord pour dire que c'est une mauvaise chose du point de vue de l’enfant : "Les recherches montrent que l’aménagement hebdomadaire en quatre jours n’est pas favorable à l’enfant car celui-ci est plus désynchronisé le lundi et le mardi matin que dans la semaine habituelle de quatre jours et demi". Vous avez dit "intérêt de l'enfant" ? (Ici, on peut rappeler que l'Académie de médecine préconisait le samedi travaillé et non le mercredi : "les performances mnésiques sont meilleures après un week-end de un jour et demi comparé à un week-end de deux jours"). Par ailleurs, revenir à la semaine de 4 jours ramènerait les petits français à un volume horaire quotidien important, pour un faible nombre de jours d’école annuel. Le contraire de ce qui se fait partout ailleurs. Enfin, cela priverait tous ces élèves d’une 5ème matinée d’école, principal bienfait de la réforme.
La réforme du collège
Autre réforme emblématique du quinquennat Hollande, la réforme du collège a du plomb dans l’aile. Macron candidat twittait « j'ai décidé de restaurer les classes bilangues. À partir de septembre prochain, les classes bilangues rouvriront en France » et promettait de revenir à un « véritable enseignement du latin et du grec ». Dans la foulée, dès son arrivée rue de Grenelle, le ministre Blanquer s’est dit « choqué de la suppression » de ces classes. Bon, on est quand même un peu dans l’effet d’annonce : les classes bilangues n'ont pas disparu, puisque les 2/3 existent toujours !
Le vrai changement devrait concerner le cœur de la réforme : la possibilité de travailler en équipe sur des projets transversaux dans les EPI (Enseignements pratiques interdisciplinaires). Ce dispositif, bénéfique uniquement quand les équipes s’en emparent vraiment (comme souvent…) est clairement menacé : "Ce volume horaire de 20% demeure mais chaque établissement pourra décider de ce qu’il en fait : continuer les EPI, ou remettre en place des parcours bilangues, ou bien des enseignements de langues anciennes", explique Fanny Anor, spécialiste éducation de l’équipe Macron. Logiquement, chaque collège est libre de faire ce qu’il veut, donc. Mais Macron et Blanquer ont clairement exprimé leur préférence sur ce sujet.
Le "Plus de maitres que de classes"
On a déjà consacré un billet à cette question : pour financer sa grande mesure de réduction des effectifs en CP et CE1 en éducation prioritaire, qui nécessite 12.000 postes, et puisque seuls 4.000 à 5.000 seront créés durant le quinquennat, il est prévu de redéployer "entre 6 000 postes à 10 000 postes des 60 000 postes créés au cours du quinquennat". Rapidement visé, le dispositif « Plus de maitres que de classes », lancé en 2013. Les premiers concernés sont montés au créneau pour défendre un dispositif prometteur, dont on attend avec impatience l’évaluation en cours par la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance). Blanquer dit "avoir entendu ces craintes ", qu’il faut se donner "le temps d’évaluer ce dispositif" pour "en tirer progressivement les conséquences", affirme même "nous ne casserons pas le dispositif « Plus de maîtres que de classe »". On comprend surtout qu’au ministère, on s’est rendu compte que des classes à 12 impliquent des salles de classe supplémentaires impossible à construire dans beaucoup d’écoles, du coup il devient pratique de mettre 2 enseignants dans la même classe et faire passer cela comme du « Plus de maitres que de classes ». Mais ici ou là, les remontées du terrain sont très claires :
Normal : puisque la rentrée est déjà actée partout, que les affectations des profs ont déjà eu lieu, ne sont disponibles et corvéables que les "maitres +" du dispositif. Le ministre annonce 2.200 classes à effectifs réduits pour septembre, une bonne moitié sera mise en place avec des maitres +. Ce décalage entre le discours tenu et la réalité du terrain n'a pas échappé au principal syndicat du primaire : "L'inadéquation entre ce qui est dit et ce qui est fait ne favorise pas les élans de confiance", déclare-t-on au Snuipp après avoir rencontré le ministre.
Le redoublement
C’est la dernière annonce en date. Cette semaine, Blanquer a déclaré que l’abrogation du décret sur la limitation du redoublement était "sur la table". Le décret limite actuellement le redoublement à des cas exceptionnels, interruption de la scolarité ou refus d’orientation. Le nouveau ministre, se revendiquant une fois de plus pragmatique (terme présent dans chaque prise de parole), estime que "le redoublement peut être une solution ". A rebours des autres pays, la France a toujours fait la part belle au redoublement et lui reste très attaché : en 2014, 28% des élèves avaient redoublé au moins une fois (5ème sur 34 pays de l’OCDE). Pourtant, comme le dit Nathalie Mons, la directrice du Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire) : "les recherches ont montré que le redoublement pour des raisons de difficultés scolaires n'a pas vraiment d'effet sur les apprentissages. On ne peut pas entamer des politiques différentes à chaque quinquennat, surtout sur le redoublement où on a un socle scientifique assez résistant." Par ailleurs, le redoublement coute 2 milliards d’euros par an (3% du budget de l'EN). Sur le sujet, on conseille vivement la lecture du dossier de synthèse du Cnesco, complet, nuancé, parfaitement documenté. Pragmatique.
Quelle politique d'éducation ?...
Le point commun de ces quatre dossiers réside dans une vision assez clientéliste et "café du commerce" de la politique d’éducation : les rythmes n’ont pas plu ?, revenons dessus ; la réforme du collège passe mal ?, vidons-la de sons sens ; les "classes à 12" font un bon slogan ?, détruisons un autre dispositif non encore évalué pour les financer ; les français tiennent au redoublement ?, rétablissons-le. On joue sur la grogne, sur le bon sens apparent, les idées traditionnellement ancrées dans les esprits. Sur tous ces sujets, Blanquer sait qu’il a l’opinion publique avec lui, et une partie non négligeable des profs. Peu importe les études, l’absence d’alternative, peu importe le discours sur la nécessité de la continuité dans l’éducation pourtant tenu par Macron, il y a encore quelques semaines.
Macron ? Tiens, en voilà un qu’on entend peu sur ces sujets depuis qu’il est à l’Élysée ! Si le retour sur les rythmes scolaires et le "retour des classes bilangues" étaient présents dans son programme, la suppression du PDMQDC, la fin des EPI et le retour du redoublement n’avaient jamais été évoqués par Macron durant la campagne. Les premières mesures éducation de son quinquennat ne sont donc pas tout à fait celles annoncées. Et l’homme choisi pour les mettre en œuvre n’est pas neutre : on rappellera que Blanquer est assez nettement marqué à droite (il a travaillé avec de Robien et Chatel au ministère de l’EN et a organisé la suppression des 80.000 postes sous Sarkozy). A une semaine des élections législatives, que les réformes éducation du quinquennat Hollande soient autant sur la sellette est donc tout, sauf un hasard.
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