Souvenez-vous, il y a deux mois j’annonçais ici-même que mon poste avait été supprimé avec la fermeture d’une classe dans mon école, comme des milliers d’autres instits (rappelons que 1500 classes seront supprimées à la rentrée 2011).
Mis dehors sans avoir rien demandé, obligé de quitter une école dans laquelle je me plais et m’investis, j’ai du participer au « mouvement » : il s’agit de la phase durant laquelle chaque année les instits font des demandes pour rejoindre telle ou telle école (les demandes sont satisfaites dans l’ordre d’ancienneté).
Pour ma part j’ai fait une vingtaine de demandes.
Au moment de faire mes vœux, mon inspectrice de circonscription a indiqué à mon directeur qu’il serait bienvenu que je mette en tête de liste mon école actuelle, celle-là même où mon poste est supprimé. En effet, si d’aventure un poste se libérait dans l’école, je serais prioritaire, comme toujours dans ces cas-là (normal, après tout).
Ces derniers temps j’ai essayé de faire abstraction de tout ceci, la suppression de mon poste, l’avenir en forme de point d’interrogation, la rage contre l’absurdité, l’arbitraire de cette situation, l’impression d’être un grain de sable totalement impuissant à agir sur son propre destin, le sentiment surtout de savoir que la machine fait fausse route, de le dire comme tant d’autres sans que cela ne change quoique ce soit.
Depuis l’annonce de la suppression de mon poste, j’ai plutôt essayé de me concentrer sur mon travail, sur mes élèves, fin de deuxième trimestre, évaluations, livrets, début de troisième trimestre, nécessité de les remettre au travail après les vacances de Pâques, et puis lancement de la grande réflexion sur les éventuels redoublements…
Malgré tout, je ne me sens plus totalement « de cette école ». Je sais que je vais devoir m’en aller, que toute projection m’est interdite, inutile. Lors du conseil des maîtres qui devait marquer une première phase de réflexion sur la structure pédagogique de l’école l’année prochaine (effectifs supposés, combien de doubles niveaux…), j’ai suivi les discussions de loin, moi d’habitude si prompt à donner mon avis.
Les polémiques internes et les bruits de couloir, les luttes d’influences et autres chamailleries de personnes, qui me sont déjà bien étrangères en temps normal, me sont apparus plus futiles et vains que jamais.
J’ai commencé à imaginer le déménagement de toutes mes affaires de la classe, manuels pédagogiques, dossiers, classeurs, globe terrestre, ressources diverses.
Je me suis surpris, rentrant chez moi, à imaginer ce que serait l’année prochaine dans une autre école, la découverte de nouveaux collègues, d’un nouveau public, enfants et parents, d’une nouvelle classe, d’un autre quartier, d’autres habitudes à construire…
Et puis voilà, cette semaine, les résultats du « mouvement » sont sortis, tard un soir. Un mail me l’a annoncé sur mon téléphone, à peu près au même moment une collègue me laissait un message pour me dire que les résultats étaient tombés… Définitifs, après de nombreux rebondissements, modifications, changements de dernière minute, comme toujours.
Je reste dans l’école.
C’est un peu long à expliquer, mais disons pour résumer qu’un collègue qui devait revenir dans l’école et où son poste était réservé a finalement décidé d’aller dans une autre école, libérant un poste qui ne pouvait donc que me revenir.
Voilà. Tout ça pour ça.
Bien sûr je suis content, heureux même : je vais pouvoir reprendre ma place, continuer à construire, à apporter ma contribution dans une équipe qui fonctionne pas trop mal et dont le travail évolue dans le bon sens. Je vais pouvoir me concentrer sur ma fin d’année libéré, sans arrière-pensée.
Mais je pense aussi beaucoup depuis hier à tous mes collègues, un peu partout en France, dont le poste a été supprimé et qui n’ont pas eu la chance de voir un autre poste se libérer dans leur école. Eux ont du plier bagage et aller voir ailleurs. Je pense à Quintaneiro, une lectrice du blog, et à son témoignage : « Cher collègue, j’avais un poste de décharge de direction depuis 4 ans et cette année une classe a fermé et la directrice perd sa décharge. Et malgré mon ancienneté dans l’école et la profession : 15 ans, je dois partir de l’école où mes enfants sont scolarisés. Comme je suis seule pour les emmener le matin, cela signifie changement d’école, plus de copains… Ce n’est pas la fin du monde, mais cela bouleverse toute ma famille ».
La semaine dernière Les Echos annonçaient une première projection syndicale pour l’année prochaine : aux 1500 fermetures de cette année devraient succéder 5000 fermetures pour la rentrée 2012. Ce devrait être pire en 2013. Le nombre d’élèves continue lui d’augmenter.
Lundi dernier, 23 mai, l'Association des Maires de France (AMF) annonçait dans un communiqué son intention de saisir le gouvernement pour contester la carte scolaire 2011 et demander la fin des suppressions de postes dans le primaire.
En réponse, jeudi dernier, 26 mai, Luc Chatel nous refaisait son habituel numéro d'équilibriste : "Je vais demander au premier ministre et au président de la République un traitement différencié pour le primaire. Il n’y aura pas de moratoire sur le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Mais, tout en réalisant le schéma d’ensemble, nous devrons veiller à fermer le moins de classes possible". On est curieux de voir comment il va se débrouiller.
En attendant, ce dimanche 29 mai, Chatel annonce les chiffres : - 16 000 postes dans l'éducation nationale pour 2012.
La France reste, rappelons-le, le pays de l’OCDE qui a le taux d’encadrement le plus faible, avec 5 profs pour 100 élèves dans le primaire.
df
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