Cette semaine débute une large consultation dans toutes les écoles primaires de France. Les professeurs des écoles sont conviés à se pencher sur les programmes, actuels et à venir, à donner leur avis et à faire des suggestions. On va donc faire ce qu’on nous demande, en espérant que ceux qui nous le demandent sont conscients de ce qui suit…
Encore des programmes…
Les programmes à l’école. Soupir… Je suis prof depuis à peine plus d’une décennie et ces programmes, applicables en 2015 si tout va bien, seront les troisièmes depuis que j’enseigne : 2002, 2008, 2015. Chaque ministre de l’éducation nationale ou presque fait ses petits programmes, plus ou moins bien ficelés, plus ou moins bien préparés, plus ou moins orientés politiquement, plus ou moins pédago ou républicain, souvent moins et rarement plus. On est habitué, sur le terrain, à faire avec. On assiste régulièrement à l’arrivée de nouvelles matières, histoire des arts chez Darcos, morale laïque chez Peillon, tout le monde applaudit sans se demander si on a le temps de faire ce qu’on nous demande… D’où un certain fatalisme, une certaine lassitude prise de distance des enseignants vis-à-vis de ce que chaque ministre annonce peu ou prou être « les programmes qui vont tout changer, avec lesquels les enfants vont enfin réussir ».
Je me souviens d’une discussion, lors de ma première année d’enseignement, avec un collègue que je tenais pour excellent professeur, pertinent d’un point de vue didactique, fin d’un point de vue pédagogique, humainement riche, et il me confiait dans un éclat de rire que les derniers programmes qu’il avait lus étaient ceux de 1979 (je crois d’ailleurs qu’il n’y en pas eu cette année-là). Ignorer ce qui était advenu ensuite était une faute professionnelle, c’était un choix personnel, et cela ne l’a pas empêché de former des générations d’élèves. De là à dire que les programmes n’ont pas d’importance, il y en un sacré pas que je ne saurais franchir, mais me souvenir de mon collègue m’aide toujours à relativiser.
Une chose est sûre, les éditeurs, eux, adorent les nouveaux programmes.
Consulter n’est pas écouter
« Oui mais cette fois-ci, on vous consulte ! », peut-on lire / entendre ici ou là. Certes oui ! On peut d’ailleurs être surpris que le fait de consulter les enseignants soit considéré comme un événement, non ? Si d’aucuns possèdent une petite expertise de l’enseignement et des contenus, ce doit être ceux qui les pratiquent, fichtre, heureusement qu’on les consulte !
Sauf que là-aussi, on nous excusera de ne pas sauter de joie. C’est qu’on a une petite expérience de la consultation, et qu’elle n’inspire pas forcément confiance. La faute à la grande consultation lancée par Darcos en 2007 et liminaire aux programmes de 2008. Je me souviens très bien de cette demi-journée banalisée, un samedi matin. J’avais potassé les programmes proposés, les avais annotés, on avait discuté entre instits de l’école, comme partout en France. Bref, on avait planché sur nos devoirs, comme de bons élèves bien dociles. Au final, un an plus tard la copie était à peine revue, faussement raturée, Darcos avait beau insister sur les changements opérés, cela ne sautait pas aux yeux. On découvrait alors la consultation sarkozienne, qui ne vaut que pour ce qu’elle permet d’annoncer qu’elle a eu lieu.
Quant à Vincent Peillon, auteur de la grande concertation de l’été 2012, où seuls les experts et les personnes ayant la carte furent consultés, jamais la base, il n’a pas toujours semblé très à l’écoute de ce qui lui remontait (rythmes scolaires, formation initiale et continue, etc…).
Les programmes sont ce que les enseignants en font
Le problème des nouveaux programmes, c’est qu’ils ne sont pas aidés. Je veux dire par là qu’au ministère, ils semblent croire qu’une publication généreusement offerte aux enseignants suffit à valider l’application stricte des programmes qui y figurent. Billevesées. D’une, parce que les enseignants ne sont pas formés aux nouveaux programmes : il n’y a jamais, une fois les programmes pondus, de pédagogie de leur application par le ministère. Les programmes sont ce que les enseignants en feront, cela paraît une évidence, mais le ministère ne semble pas encore l’avoir compris. S’il veut réellement les voir appliqués, pleinement, dans toute leur potentialité, il faut vaincre les archaïsmes et les réticences de ceux sur le terrain qui savent que le problème est pour bonne partie ailleurs, il faut tout bonnement prévoir un SAV des programmes pour ceux qui sont chargés de les appliquer. Cela nous renvoie directement à la formation continue, à deux titres ; d’abord parce qu’il faut former les profs à l’application des nouveaux programmes, sur une journée ou deux, en circonscription, ensuite parce que des nouveaux programmes, quels qu’ils soient, demandent formation : on ne peut pas se contenter de décréter que les instits doivent désormais enseigner l’anglais et ne pas les former à ça, on voit bien la vaste supercherie qui en découle – mais c’est bien ainsi que fonctionne l’Education Nationale.
Nouveaux rythmes scolaires = allègement des programmes
Réfléchir à de nouveaux programmes n’aura de sens, cette fois-ci, que si on inclut à cette réflexion les nouveaux rythmes scolaires. On a déjà dit ici maintes fois à quel point les uns (contenus) dépendent des autres (contenant). Si on veut que les enfants n’aient pas des journées trop chargées, il ne faut pas les programmes le soient trop ! Sans quoi on a le choix entre faire tout et pas très bien ou faire bien mais pas tout, quadrature du cercle. Or, on fonctionne depuis la suppression du samedi matin et ses trois heures de classe, avec un contenant trop petit pour les contenus ! Et ce ne sont pas les nouveaux rythmes, où le contenant change seulement de forme, pas de contenance (toujours 24 h par semaine) qui ont réglé le problème. Il faudra bien un jour faire face à cette question à la fois simple et particulièrement complexe : comment alléger des programmes trop chargés ? Chaque prof aura sans doute son avis sur la question. Ça tombe bien, on lui demande, son avis.
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